Munie de son sac à dos, de son smartphone et de sa caméra, elle s’est rendue à Wuhan au tout début de la pandémie de Covid-19, en janvier 2020. Elle est une des premières, et surtout une des seules journalistes indépendantes à documenter jour par jour la situation inédite à laquelle sont confrontées des centaines de millions de Chinois.
Pendant plus de trois mois durant, l’ancienne avocate Zhang Zhan, originaire de Shanghai, montre dans des reportages publiés sur ses réseaux sociaux, les couloirs d’hôpitaux débordant de patients sur des brancards, les rues d’une ville de plus de onze millions d’habitants désertes, et les rayons de supermarchés vides.
Dans une vidéo diffusée deux semaines après son arrivée à Wuhan, elle dénonce le flou qui pèse sur la réalité statistique de ce qui n’est encore qu’une épidémie chinoise. "La ville est paralysée parce que tout est caché. […] Nous ne devons pas parler aux étrangers, c’est dangereux. Sans la vérité, tout n’a pas de sens. Si nous ne pouvons pas atteindre la vérité, si nous ne pouvons pas briser le monopole de la vérité, le monde ne signifie rien pour nous".
Des commentaires et des images qui lui valent d’être arrêtée quelques semaines plus tard, en mai 2020, avant d’être condamnée à quatre ans de prison pour "provocations aux troubles". Un chef d’accusation régulièrement utilisé contre les opposants politiques au régime, note le quotidien britannique The Guardian.
"Le juge a déclaré que son crime consistait à se rendre à Wuhan pour y mener des entretiens et des enquêtes. Mais en réalité, ce que le juge n’a pas apprécié, c’est qu’elle ait rassemblé ces documents et les ait mis sur Twitter (désormais X, NDLR)… Et qu’elle ait reçu des interviews de ce qu’on appelle les médias ennemis", a déclaré l’un des avocats de Zhang Zhan, radié de l’ordre des avocats depuis, faisant référence à des entretiens accordés à Radio Free Asia, un média financé par le gouvernement américain.
Incarcérée dans la prison pour femmes de Shanghai, Zhang Zhan a entamé plusieurs grèves de la faim. En quelques mois, la journaliste âgée d’une quarantaine d’années aurait perdu plus de 30 kilogrammes. "Les gens m’ont demandé de convaincre Zhang Zhan de manger quelque chose, mais elle a insisté", déterminée à poursuivre son combat, avait alors expliqué son ancien avocat. Façon pour la journaliste de dénoncer les conditions de détention, jugées indignes par ses proches.
En 2021, la mère de Zhang Zhan a déclaré que sa fille était si fragile "qu’elle ne pouvait pas tenir sa tête en l’air par manque de force". Ce, quelques mois après qu’Amnesty international a révélé qu’elle a été enchaînée et nourrie de force. Un traitement qui s’apparente, selon l’ONG, à une forme de torture. Des accusations balayées d’un revers de la main par le gouvernement chinois, qui nie en parallèle avoir réprimé des journalistes qui auraient "exercé leur droit à la liberté d’expression sur Internet" pendant la pandémie.
Après avoir passé quatre ans derrière les barreaux sans pouvoir recevoir de visite de sa famille, la journaliste s’apprête à être libérée. Une sortie de prison est prévue ce lundi 13 mai. "Un soulagement" pour Maya Wang, directrice associée pour l’Asie à Human Rights Watch qui reste toutefois sceptique : il est possible que Zhang Zhan ne recouvre pas une liberté totale à sa sortie de prison.
Deux alternatives sont particulièrement craintes par son entourage. Premièrement, le placement en résidence surveillée. "D’après mon expérience […], il y aura une période pendant laquelle elle ne sera pas autorisée à avoir des contacts avec le monde extérieur, ni à se déplacer", explique l’ancien avocat de la journaliste. Deuxièmement, l’interdiction pour Zhang Zhan de communiquer avec des individus résidants en dehors de Chine.
Raison pour laquelle, le programme chinois d’Amnesty international demande "aux autorités chinoises de veiller à ce que Zhang Zhan soit totalement libre à partir du 13 mai", et soit "autorisée à se déplacer librement, à communiquer avec des personnes à l’intérieur et à l’extérieur de la Chine, et à retrouver sa famille" qui ne doit en aucun cas "faire l’objet d’une surveillance ou d’un harcèlement". Et d’ajouter : "Les autorités chinoises doivent également veiller à ce qu’il n’y ait aucune restriction à son accès à un traitement médical après l’épreuve traumatisante qu’elle a subie en prison."
Reste que pour l’heure, les associations de défense des droits de l’Homme, et les avocats de Zhang Zhan assurent n’avoir reçu aucune confirmation de sa libération. "Nous attendons encore", s’impatiente l’avocate Jane Wang ce lundi matin.
Mais l’inquiétude grimpe à mesure que les heures défilent. Et se cristallise après une conférence de presse donnée par le ministère chinois des Affaires étrangères, qui a refusé de confirmer sa libération ce lundi après-midi. "Ce que je peux vous dire, c’est que la Chine est un pays régi par l’Etat de droit", a déclaré le porte-parole du ministère, assurant que les droits des prisonniers étaient "pleinement respectés"…