"A quoi sert le management ?", interrogeait la Une de L’Express le 10 novembre 1969, alors que "le mot et la chose arrivés d’Amérique après la guerre" en étaient à leurs balbutiements dans les entreprises françaises. Cinquante-cinq ans plus tard, le management, son enseignement et sa pratique sont partout. Dans les open spaces, le sport, l’administration, les écoles de commerce, les librairies et parfois même dans des endroits où on ne l’attend pas, comme ces formations qui proposent "le travail à pied avec un cheval pour renforcer la cohésion d’équipe et la prise de décision rapide". Coaching à gogo, outils gadgets prisés des RH, livres de développement personnel… Jamais les cadres n’ont été autant inondés de discours et pseudo-techniques censés leur faciliter la tâche.
Comme toutes les sciences humaines et sociales, le management ne se prête pas forcément aux sciences dures. Mais les recherches, nombreuses, publiées depuis un demi-siècle - et trop souvent ignorées des entreprises - nous éclairent sur les méthodes qui ont fait leurs preuves ou pas. L’Express en passe quelques-unes en revue. Dans ce septième et dernier épisode, place aux présentations PowerPoint.
EPISODE 1. De Teams à WhatsApp… Les dégâts des notifications sur notre concentration au travail
EPISODE 2. MBTI, Disc, ennéagramme : la grande arnaque des tests de personnalité en management
EPISODE 3. L'écoute active, une technique qui a ses limites
EPISODE 4. Tous les feedbacks sont-ils bons à donner ou à recevoir ?
EPISODE 5. Réunions : quand les séances de brainstorming produisent zéro idée
EPISODE 6. Entretien annuel d’évaluation : pourquoi cet exercice génère "beaucoup de déception"
Le diaporama. Ses textes hasardeux, ses images floues, ses animations ridicules. Le logiciel PowerPoint, qui vient de fêter ses 37 ans, est omniprésent en entreprise : 30 millions de présentations sont créées chaque jour, selon Microsoft. Mais il ne cesse de diviser. Certains ne jurent que par lui. D’autres, comme le fondateur d’Amazon Jeff Bezos, le détestent. C’était aussi le cas de Steve Jobs, l’ex-patron d’Apple. Le général américain Jim Mattis, ancien secrétaire à la Défense de Donald Trump, estime quant à lui que PowerPoint tue la réflexion. L’outil est "dangereux" et crée "une fausse impression de contrôle", disait-il en 2010 au New York Times. Même la Nasa, l’agence spatiale américaine, y est allée de son avis. Sa prolifération aurait, soutient-elle dans un rapport, participé à la désintégration d’une de leur navette spatiale dans les années 2000.
Sa réputation n’a eu de cesse de hanter son fondateur, Dennis Austin, décédé en septembre dernier. A tort : "On a aussi dit ça des téléphones, de la télévision, de la radio. C’est une simplification sensationnaliste", rétorque Franck Amadieu, chercheur à l’université de Toulouse et spécialiste de l’ergonomie cognitive, c’est-à-dire comment la présentation des informations agit sur leur réception. Avec ou sans diaporama, les résultats sont globalement les mêmes, conclut notamment une méta-analyse publiée en 2018 dans Computers & Education, un recensement des études sur la question, quasiment toutes réalisées à l’école ou à l’université. "Tout dépend des utilisations. Certaines freinent la créativité, les échanges, l’écoute, et d’autres aident à comprendre et retenir", poursuit Franck Amadieu. Preuve de la confiance accordée au format, ses étudiants conçoivent de telles présentations pour les opérations de maintenance d’Airbus. Ils les testent sur des volontaires : "On peut aller jusqu’à traquer le mouvement des yeux", détaille-t-il.
Le mode d’emploi pour un PowerPoint réussi ? "Respecter le fonctionnement cognitif", complète Eric Jamet, chercheur en psychologie à l’université Rennes II. Un bon diaporama se compose de très peu de texte. Juste des titres, pour structurer la pensée. Quelques images, simples, sobres. Des schémas surtout. Pas de son. Pas de répétition. Pas d’effets. "Si quelqu’un parle, on ne peut pas lire, on passe de l’un à l’autre. En revanche, on peut assimiler du texte et de l’image en même temps. Ce ne sont pas les mêmes canaux cérébraux", vulgarise Eric Jamet. Associer deux sens aide, qui plus est, à la mise en mémoire.
Finalement, le problème, ce ne sont pas les diaporamas, mais ce qu’on en fait. "La plupart sont mal conçus et perturbent totalement la compréhension", poursuit Eric Jamet. Sans compter les fois où le PowerPoint est utilisé dans le mauvais contexte : "En faire un long dans une réunion de discussion, c’est le meilleur moyen de rendre passif", assure Ludovic Girodon, ancien manager, devenu consultant. A l’inverse, constituer un diaporama en direct, de manière interactive, peut faciliter les échanges. Diapositive suivante ?