« Le secteur textile reste fragile », admet Geoffroy Millet. Le patron de D’Ennery (Saint-Germain-Laprade) reste malgré tout confiant en l’avenir. Forte de son expérience dans les tissus matelassés, son entreprise a réussi depuis deux ans une percée dans le monde de la mode. Coup d’œil à cette société que L’Éveil de la Haute-Loire vous propose de découvrir dans le cadre de sa série dédiée à la filière textile locale.
Lors des braderies de la société D’Ennery qui attirent chaque année sur la zone d’activité de Saint-Germain-Laprade des dizaines de visiteurs, le dirigeant Geoffroy Millet n’est désormais plus surpris d’entendre invariablement la même remarque : « On ne savait pas qu’il y avait ici une telle activité ». Ou mieux encore d’aucuns interrogent : « Il n’y a pas longtemps que vous êtes implantés ? » D’apprendre que la création de l’entreprise remonte à 1946 et son installation sur la zone à 1972 surprend la clientèle de passage. Le secteur du textile véhicule une image encore passéiste que les fermetures en cascade de franchises dans la confection ne contribuent pas à redorer.La société fut l’une des premières à s’installer sur la zone.La Haute-Loire est pourtant riche de ces entreprises, certes de moins en moins nombreuses, qui défendent bec et ongles une production de qualité et innovent. Une quinzaine d’entre elles est réunie (les membres actifs) au sein de l’association Dynamique textile 43 dont le dirigeant de D’Ennery est le président. Le groupement, initié il y a quelques années par la Chambre de commerce et d’industrie de Haute-Loire, a été repris au début des années 2010 par l’association.
« Le textile n’est pas mort, il cherche à se donner un nouvel élan »« L’objectif est d’échanger entre nous sur la filière, les aides dont on peut bénéficier, les problèmes de recrutement ou de formation. En un mot, éviter la solitude du chef d’entreprise », résume Geoffroy Millet. La dernière réunion de l’association a permis de mettre au point la participation de quatre des membres au salon du Made in France à Paris, Sahuc, Bonnefoy, Héraud et D’Ennery.Lors de ce salon qui s’est déroulé il y a quelques semaines, le musée de la toile de Jouy, Hermes équitation, un studio de décoration, entre autres, ont « flashé » sur les fabrications de la société de Saint-Germain-Laprade. Des groupes au nom prestigieux reçoivent des demandes pour de la confection avec la difficulté souvent désormais de trouver en France des ateliers pour réaliser leurs projets. Si l’on devait trouver un fil conducteur pour relier toutes ces sociétés, ce serait sans doute la volonté de produire Français.
« Le secteur textile reste fragile. On le voit pour notre part, alors que nous travaillons depuis deux ans dans la mode. On décroche de belles commandes à livrer très vite. Il nous faut être très réactif ».
Il n’est pas rare que des marques comme Givenchy viennent frapper à la porte de la PME de Haute-Loire qui emploie 11 salariés. Mais quel est le secret de la petite entreprise pour attirer à elle de grands noms ? Comment peut-elle rivaliser en termes de prix ? Réponse de Geoffroy Millet : « Quand j’ai repris l’entreprise en 2010, indique le patron, les prix étaient sept fois inférieurs en Asie. Aujourd’hui, le différentiel est tombé à trois. Notre force reste la réactivité : quand un client parisien nous réclame un prototype à livrer dans une semaine, on le fait et là, le prix ne compte plus. Et puis, une fois que la série est lancée, c’est plus facile pour nous. Nul besoin pour le client de prendre un container dont je ne parle même pas de l’impact carbone ! » Réactivité, moins de frais de douane, et de trésorerie engagés… Le « Made in France » a du bon. Il n’y aurait donc pas que la qualité pour faire pencher la balance.Reste que D’Ennery est fière de son label « Entreprise du patrimoine vivant », renouvelable tous les cinq ans. La société met en avant un savoir-faire « rare » et « d’excellence ». « Un audit est depuis peu confié à un organisme privé. Il serait dommage que “les petits” perdent leur label pour des raisons financières », regrette Geoffroy Millet qui s’est impliqué localement pour défendre leur cause. D’Ennery possède un autre label, Ateliers d’art de France.La société de Saint-Germain-Laprade, connue pour son activité de matelassage, spécialisée dans les beaux couvre-lits à l’origine (beaucoup continuent chaque année de trouver leur bonheur lors des braderies dans le stock d’invendus parmi la production destinée aux hôtels de luxe) ne cesse de se réinventer. De l’ameublement, D’Ennery (qui est connue dans le monde de l’hôtellerie et des maisons de retraite) est passée à la mode, et pourquoi pas, demain, au bâtiment ? Le dirigeant ne cache pas ses ambitions : « On parle de plus en plus d’isolation thermique et phonique. Or, la ouate absorbe l’air et le son. » La société espère convaincre les prescripteurs que sont les architectes. Mais D’Ennery soigne sa nouvelle conquête, la mode, qui ne représente pour l’heure que 15 % du chiffre d’affaires. Un secteur extrêmement mouvant. L’entreprise de Saint-Germain-Laprade privilégie le contact avec des start-up de manière à se positionner sur de nouveaux créneaux, de nouvelles niches de production. Elles maîtrisent la communication, la société, le savoir-faire. Aucune piste n’est écartée.Geoffroy Millet insiste : « Le textile n’est pas mort, il cherche à se donner un nouvel élan ». L’habillage du lit reste le socle de l’activité de D’Ennery qui travaille avec nombre de professionnels : décorateurs, architectes d’intérieurs, agenceurs, confectionneurs qui eux-mêmes ont pour clients les grands hôtels, les chaînes de maisons de retraite et les magasins de tissus. En ce moment, l’entreprise du bassin ponot peaufine une commande pour le Plaza Athénée et le Crillon, le palace de la place de la Concorde à Paris. En Savoie et Haute-Savoie, l’entreprise confectionne parallèlement des housses de canapés pour les locations de vacances. Côté mode, D’Ennery collabore avec des confectionneurs.
En quête de nouveaux marchésD’Ennery travaille à façon pour nombre de clients. Des liens se sont établis avec une autre société on ne peut plus proche géographiquement, à savoir Thévenon ou Yak (ancienne Peausserie Sabatier) au Monastier-sur-Gazeille : « Obtenir un métrage pour faire un prototype est rapide, de plus les collections de Thévenon sont très belles, les clients sont ravis. Avec Yak, on fait des têtes de lit, on est dans le circuit court », se réjouit Geoffroy Millet. Dans sa quête aux nouveaux marchés, D’Ennery peut s’appuyer sur un site de vente en ligne, Mademoiselle D’Ennery. On y trouve les dernières réalisations comme les couettes confectionnées à partir de laine du Massif Central, cardée à Limoges ou bien encore les cartes imprimées sur tissus enduits. Geoffroy Millet commente : « Je suis passionné de bateaux, la mer est un peu loin d’ici (sourire). Le tissu remplace avantageusement le papier. On a travaillé sur les cartes IGN et maintenant sur les cartes de la Bibliothèque nationale de France, une carte de France gourmande et une carte de Paris » .Série textile D'EnneryLa création de nouvelles collections dans l’ameublement ou la mode représente un réel investissement pour D’Ennery qui s’est attaché les services d’un programmeur. « Si le textile se maintient en France, c’est aussi grâce à la recherche et au développement », assure Geoffroy Millet. Dans une PME, chacun à son niveau participe à la Recherche et développement. L’entreprise de Saint-Germain-Laprade s’est même distinguée avec une couette accueillant des capteurs pour mesurer les troubles du sommeil, couette qui n’en est qu’au stade des essais. Ce produit constitue une voie de développement au même titre que des tapis de selle pour l’équitation, les couettes garnies de laine, les bains de soleil pour lesquels D’Ennery fournit l’habillage et tout dernièrement des gilets conçus avec de la laine de Saugues. Patronage, coupe, choix des couleurs, tout le monde a son mot à dire au sein de l’entreprise. « Trouver les bons patrons, les bonnes couleurs, les bons piquages réclame du temps », explique Geoffroy Millet. Seul bémol : une seule taille est disponible dans le gilet. La société doit se fixer des limites à moins de devoir embaucher, ce qui n’est pas à l’ordre du jour. Comme la plupart des entreprises textiles, il lui est difficile de trouver les compétences à l’extérieur. En matière de formation, il lui faut aussi s’adapter. Geoffroy Millet assure : « Les gestes s’acquièrent en interne. Au sein de l’équipe, on s’efforce d’être polyvalent ».
Philippe Suc
Des séries limitées ou la capacité pour l’entreprise de s’adapter
Depuis plus de soixante-dix ans, l’entreprise textile du bassin ponot n’a cessé de s’adapter. Que de chemin parcouru depuis l’activité dentellière au Puy-en-Velay. Comme beaucoup, le secteur du luxe lui offre de nouvelles opportunités.L’entreprise D’Ennery faisait à l’origine dans la dentelle au Puy-en-Velay. D’aucuns se souviennent peut-être de ses napperons qu’on étalait religieusement sur les tables et sur les lits. D’Ennery fut la troisième société en 1972 à s’installer dans la zone d’activité de Blavozy/Saint-Germain-Laprade, après Michelin et MSD. L’association des familles D’Enjolras et Richaud a donné par contraction le nom de D’Ennery. Le napperon est devenu dessus de lit. Le parc de machines a été adapté en conséquence et jusqu’à ces dernières années.Geoffroy Millet est toujours en quête de nouveautés. Ainsi, l’entreprise a réalisé des cartes en tissu.Geoffroy Millet en veut pour preuve : « En 2019, grâce à des fonds de la Région, on a, par exemple, acquis une nouvelle machine avec un bras de trois mètres pour faire de la couture ». Le dirigeant, pour sa part, s’est, lui aussi, reconverti, en passant de la ferronnerie d’art, son premier métier, au textile en travaillant tout d’abord pour l’entreprise Thévenon. « Je suis passé d’un matériau dur à un souple », se plaît-il à remarquer avec une pointe d’humour. Thévenon et D’Ennery, installées sur la même zone industrielle, entretiennent des liens cordiaux. Du dessus-de-lit, D’Ennery est passée à la tête de lit puis au cache-sommier, aux rideaux, aux coussins et aux bains de soleil.Un nouveau virage a été pris avec l’accessoire, les sacs molletonnés, les tapis de selle pour l’équitation. Pendant le Covid, la société de Saint-Germain-Laprade a mis à disposition ses ateliers pour la fabrication des masques. De là, une nouvelle orientation industrielle s’est imposée : la mode est venue renforcer le secteur de l’ameublement, de l’habillage du lit. Une première commande de Chanel pour l’habillage de vitrine a offert une belle carte de visite à D’Ennery. À la célèbre marque, d’autres comme Courrèges, Givenchy ont emboîté le pas. À chaque fois pour des séries limitées. Par exemple pour la réalisation de vêtements de style doudounes. Des projets pour Hermes ont suivi et continuent aujourd’hui.
