Elle sera la deuxième femme française à partir en orbite. Sophie Adenot, originaire de la Nièvre, vient d'apprendre qu'elle a été sélectionnée pour se rendre en mission dans l'ISS en 2026.
La bonne nouvelle est tombée mercredi 22 mai. Avez-vous réussi à bien dormir cette nuit après tant d'émotions ?
Oui, oui ! (rires) Mais quand je me suis réveillée ce matin, je me suis dis "whaou, c'est quand même dingue ce qui m'arrive !".
Comment l'avez-vous appris et comment vous sentez-vous aujourd'hui ?
Je l'ai appris en compagnie de tous mes collègues de promotion. C'est le directeur de l'agence spatiale européenne qui nous a donné l'information. Ça a été une grande joie partagée entre nous cinq. Il y a eu beaucoup de joie mais aussi de la concentration ! Car être la première à partir, c'est une grosse responsabilité. Ça va être très intense, il n'y a pas beaucoup de marge vis-à-vis de l'entraînement. On va avoir deux ans pour passer toutes les qualifications opérationnelles. Et ça va donc être très intense.
Vous êtes originaire de la Nièvre. Pour les Nivernais, vous êtes l'enfant du pays qui va s'envoler dans les étoiles... Que représente la Nièvre à vos yeux ?
La Nièvre, c'est mes racines. Là où j'ai grandi. J'ai toujours une chouette pensée pour elle. J'y reviens autant que possible. Mais le programme d'un astronaute en entraînement est assez dense donc je ne peux pas y revenir autant que je le voudrais.
J'ai hâte d'envoyer une photo de la Nièvre depuis l'espace !
Vous êtes un modèle pour toutes les petites filles en France. Que diriez-vous à une fillette qui rêve de faire le même métier que vous ?
Je leur dirais qu'il ne faut pas se limiter dans leurs rêves. Les rêves qu'on a toutes demandent du travail, d'être concentrées, de faire des choix parfois d'orientation, de chemin professionnel ou personnel... Mais il ne faut pas en avoir peur.
J'aimerais aussi leur envoyer un message d'espoir. Si elles savaient, ces jeunes filles, le nombre de fois où on m'a dit "redescends sur terre, ton rêve, ce ne sera jamais possible ! Statistiquement, c'est impossible Sophie. Cela n'arrive jamais..." On m'a dit tout ça de nombreuses fois. Donc, à ces jeunes filles, je veux leur dire : vous allez entendre ces phrases. Il faut que ça rentre dans une oreille et que ça sorte par l'autre ! (rires). Il faut rester concentrée sur son chemin.
Justement, quand on vous disait que c'était impossible, que répondiez-vous ?
Parfois, quand on accueille ce genre de phrases, on se dit "flûte, ils ont peut-être raison..." Et d'autres fois, la Sophie combattante et gagnante se disait : "ce n'est pas grave, je vais quand même essayer !" Et c'est parti, j'y vais, je fais tout pour y arriver." Le tout, c'est de faire que le positif gagne sur le côté négatif. C'est un équilibre subtil à trouver.
Astronaute, c'est un métier à part, à risques. Est-ce que vous avez peur ? Et comment gère-t-on cette angoisse ?
La peur, c'est complètement normal. Elle fait partie des émotions qu'il faut accueillir. Il ne faut surtout pas la rejeter. Je peux parler de mon métier de pilote d'essai et oui, on a parfois peur. Mais c'est sain, ça nous permet de nous protéger du danger, de se préparer, de savoir comment réagir en cas de panne moteur sur un hélico par exemple.
Mais aujourd'hui, je n'ai pas peur. Je suis sereine. Je prends les choses étape par étape. Je sais que dans le voyage spatial qui va arriver, il y aura certainement de la peur. Mais là, maintenant, il n'y a aucune raison d'avoir peur. Il y a des procédures qui sont hyper bien faites. On va nous apprendre toutes les procédures d'urgence. On va nous préparer avec des stages de survie, en milieu maritime, en montagne (on l'a déjà fait dans notre entraînement d'ailleurs).
La peur ? Pas pour tout de suiteDans le métier d'astronaute, tout comme celui de pilote, on se prépare à tous les cas d'urgence. C'est d'ailleurs là la plus grande partie de l'entraînement. On va apprendre à réagir à un feu à bord de la station, à la pollution atmosphérique ou à l'ammoniaque, à la dépressurisation rapide de la station... Je vous assure que les procédures sont tellement bien faites qu'on saura quoi faire dans chaque situation. On anticipe tous les cas qui pourraient arriver.
La station tourne depuis plus de 20 ans, avec une occupation permanente. Ils ont déjà rencontré plusieurs cas différents et les process sont bien rodés. Il y a de quoi être sereine, opérationnellement parlant.
Mais oui, je reste humaine, je sais qu'à un moment j'aurai peur. Je ne sais pas quand. Après la mission, on en reparlera et vous me demanderez de vous raconter les moments où j'ai eu peur !
On vous compare souvent, forcément, à Thomas Pesquet. Cela vous fait-il plaisir, sourire ? C'est un modèle ?
Thomas m'a épaulée depuis le début de cette aventure, il m'a donné plein de conseils. Il est génial. On a des instructeurs super, passionnés, qui connaissent l'espace de manière incroyable. On apprend énormément de choses avec eux. Mais les instructeurs ne sont jamais partis dans l'espace... Les seuls qui peuvent partager les vraies émotions, les vrais ressentis sont les astronautes qui sont déjà partis dans l'espace. Et Thomas l'a fait d'une manière incroyable. J'ai beaucoup de gratitude envers lui.
Vous êtes actuellement à Houston, en entraînement à la NASA. Quelles sont les différences avec l'ESA à Cologne où vous étiez pendant une année ?
C'est à la fois dans la continuité tout en étant un bond de géant. Continuité dans l'apprentissage, avec une transition très souple entre Cologne et Houston. Mais ici, tout est plus grand. À l'ESA, on allait de pièce en pièce pour notre entraînement ; ici on navigue de bâtiment en bâtiment.
Il y a quelque chose qui m'a marquée quand je suis arrivée à Houston : au pied du bâtiment, où se situent tous les bureaux des astronautes, il y a noté : "Giant leap starts here" ce qui veut dire "Le bond de géant commence ici." Et j'ai vraiment eu ce sentiment !
Vous allez atteindre votre rêve d'enfant. Avez-vous encore des rêves ?
Oh oui ! Je suis une grande rêveuse ! (éclats de rires). Je fais les choses étape par étape donc pour l'instant, j'en laisse de côté. Mais oui, j'ai encore plein d'autres rêves. C'est ça qui me fait vivre.
Les rêves permettent de se sentir vivant. Pour moi, devenir astronaute était jusqu'à présent un rêve inatteignable, il ne faut pas se leurrer. Mais les rêves permettent de maintenir la petite étincelle !
Propos recueillis par Lara Payet
