Avec six autres Seilhacois, François Leyris a été tué par la Das Reich le 9 juin 1944. Pour ses petits-fils, il est temps que ce drame soit mieux connu.
L’histoire tient parfois à quelque hasard. La mémoire aussi. Celle des sept fusillés de Seilhac pourrait tenir à ce jour de 2023, quand Pierre Chaumeil plonge dans deux boîtes en carton qui contiennent d’anciens courriers.Des lettres notamment que son père avait envoyées à sa mère alors qu’il était prisonnier en Allemagne dès 1940 et jusqu’à la fin de la Seconde Guerre mondiale. « Dans ces courriers, je n’ai pas appris grand-chose », admet-il. « Des banalités du quotidien, ou quand il croisait des gars d’ici. »
Une coupure de presseL’essentiel est ailleurs, dans une coupure de presse - le journal France, l’organe du Mouvement de Libération nationale en Corrèze -, datée du 5 novembre 1944. Un article, illustré du portrait de quatre hommes, Gabriel Besse, Louis Busson, Barthélémy Farges et François Leyris, qui, avec trois autres (les deux maquisards Sommelet et Martinet et le jeune Courteix, de Chamboulive), furent, les 9 et 10 juin 1944, « sauvagement assassinés par des SS de la sinistre Division Das Reich, qui pillèrent et incendièrent de nombreuses maisons », résume, en entame, l’article.
« Je connais certains événements. Je savais qu’un homme Farges avait été tué à 100 m de chez ma grand-mère. Chaque fois qu’on passait à l’endroit, elle avait un air de dégoût, elle détournait les yeux, elle disait, en pointant sa canne “ça s’est passé ici”. Mais on en disait très peu, j’entendais des choses à la veillée, mais les anciens ne racontaient pas, c’était tellement horrible. »
Chez les Leyris, on ne racontait pas grand-chose non plus. Le grand-père d’Henri et François a fait partie pourtant des sept Seilhacois tués par la Das Reich.« Ils étaient huit de la famille présents à la ferme ce jour-là, mes parents, ma sœur et moi, bébé, mes oncles de 12 et 18 ans et mes grands-parents, raconte Henri. Les maquis étaient passés le matin, ils avaient coupé des chênes sur la nationale tout près de La Lignade » - la maison est toujours là, au bord de la route entre Tulle et Uzerche. « Après, ils ont cassé la croûte et quand les Allemands sont venus, ils ont compris. Ils ont tout détruit dans la maison, ils ont pris l’argent et amené le grand-père à l’extérieur. »
La famille Leyris a quitté la maison du drame dans les années 1980.« C’est mon père Charles qui l’a retrouvé, défiguré, poursuit François. Il est sorti en premier » (les fils Leyris étaient partis se cacher dans les bois environnants, ndlr). Dans la maison aujourd’hui délabrée de La Lignade, abandonnée depuis les années 1980, il désigne l’escalier qui monte au grenier. « Après le drame, les Allemands sont revenus. Ils ont fait tourner mon père (il avait 12 ans à l’époque, ndlr) une mitraillette pointée sur lui, de la cave au grenier. Ils cherchaient les deux fils après avoir eu le père. Ça aurait pu être pire. »« Il n’y avait plus de retour après ça. De temps en temps, il avait des petits flashs, il disait “c’est là que j’ai trouvé le corps” à l’un de ses petits-fils », reprend François.« Ma grand-mère était discrète, mon père aussi, poursuit Henri. Est-ce que c’était la douleur ? »
« J’avais 6 mois alors, je ne me souviens de rien, glisse Henri. Mais quand un ami de mes parents venait en habit de militaire, je ne pouvais pas le voir. Pourquoi ? Il montait à moto aussi… » « Quand ma mère entendait des bruits de motos ou d’engins, elle se bouchait les oreilles, reprend François. Elle avait peur, d’avoir entendu passer les colonnes allemandes. »
Un rosier pour se souvenir« Avec l’âge, glisse Henri, on aimerait bien savoir ce qu’il s’est passé. Avec nos parents, on ne parlait de rien, seulement des bribes. » Seul signe extérieur du souvenir, un rosier planté par la famille à l’endroit où François Leyris, le grand-père, a été retrouvé. Et un buis, à quelques pas de là. « Les trois frères allaient au cimetière ensemble chaque 9 juin, se souvient François. Puis les enfants et les petits-enfants ont continué. La grand-mère y allait toute seule, le Jour des Morts. Une telle histoire, ça marque, c’est inévitable. Mais il n’y a pas un jour où on ne se souvient pas. Il y a des petits flashs qui reviennent, même en faisant une autre tâche. »
"Pour s’en souvenir, c’est maintenant ou jamais"À Seilhac, il n’y a jamais eu d’hommage officiel. « On va commémorer Tulle, les 80 ans, c’est normal. Mais il y a quand même sept Seilhacois qui ont été fusillés le même jour. Ce serait normal qu’on s’en souvienne aussi. »Une seule plaque, apposée sur l’ancien atelier du charron, honore les morts de la guerre. « Pour beaucoup, on ne sait pas comment ils sont morts », note Pierre Chaumeil. Seuls trois des fusillés du 9 juin 1944 y figurent, François Leyris, Gabriel Besse et Louis Busson. « Pour s’en souvenir, c’est maintenant ou jamais », glisse François Leyris.
Les sept. François Leyris a été fusillé le même jour que Gabriel Besse et Louis Busson, volontaires pour prévenir les chefs de la Résistance de l’arrivée des SS?; Sommelet et Martinet, deux jeunes maquisards tués à proximité de la route nationale?; Courteix, 17 ans, de Chamboulive, venu aider son frère aux travaux des champs. Barthélémy Fages, 47 ans, fut le septième?; parti se cacher, il fut aperçu traversant son champ alors qu’il revenait voir sa femme. Il fut achevé d’une balle explosive dans la tête quelques heures plus tard.
Blandine Hutin-Mercier