Mazarine M. Pingeot est écrivaine et professeure de philosophie à Sciences Po Bordeaux. Elle a écrit une quinzaine d’ouvrages, romans et essais confondus, dont Bouche Cousue, Se taire, Théa, Le salon de massage, ou encore Vivre sans, une philosophie du manque. Elle a également signé des scénarios pour la télévision et le cinéma. Son berceau familial est l’Auvergne qu’elle n’a jamais complètement quittée. Elle a fait de la Nièvre son port d’attache.
J’écoutais comme chaque matin la matinale de France Inter, quand une entreprise fort originale fut mise en avant, son créateur et sa directrice de communication interrogées. Leur mission : reconditionner les sex-toys. Après tout, dans un monde où le mot d’ordre est à la décroissance et à l’anti-gaspillage, il n’y a pas de raison qu’après les iPhone, les vêtements, les légumes et les ordinateurs, les sex-toys échappent au marché de la seconde main. Jeu de mot involontaire, mais enfin c’est bien de cela qu’il s’agit : une deuxième vie pour ces objets très majoritairement made in China, possiblement par des Ouïghours eux aussi reconditionnés, voilà l’une des voies où l’écologie pourrait s’engouffrer.
Décroissance ?Évidemment, il y a plusieurs obstacles à cela : le premier est la probable réticence du consommateur à utiliser des objets intimes qui ont servi à d’autres. Raison pour laquelle les deux invités ont lourdement insisté sur les différents stades de nettoyage et de désinfection, cœur de métier de cette start-up. Le deuxième est l’alliance de plus en plus tendue entre le discours écologique jadis assez libertaire, aujourd’hui moralement rigoriste, et le jeu sexuel. Le mélange ne prend plus.
L’heure est plutôt à la mise en garde contre la sexualité potentiellement dangereuse et essentiellement agressive. Les couples ne font plus l’amour, et par conséquent plus d’enfants non plus.
Certes, le godemichet reconditionné ne répondra pas à l’appel du réarmement démographique. Mais il peut détendre l’atmosphère. Le troisième obstacle est sans doute le plus intéressant puisqu’il réside dans la contradiction même de l’entreprise : si le mot d’ordre est celui de la décroissance, comment assumer de vendre des produits dont la nécessité peut être mise en question, et ce faisant, de participer activement à la logique capitaliste dont le moteur est la croissance ? A cela, les deux interviewés ont fourni une réponse automatique scandée par les mots clés qui sont revenus en boucle : éthique, durabilité.
"Valeurs éthiques"Ainsi, l’entreprise participerait d’un programme plus vaste clairement annoncé comme écologique, voire militant : le but ne serait pas de faire du profit, à peine de vendre du plaisir, mais bien d’engager tous ses efforts contre la crise écologique, en produisant de façon éthique et durable. C’est fou comme des mots magiques peuvent tout faire avaler ! Et là encore, n’y voyez aucun mauvais jeu de mot. Désormais, il suffit d’accoler « éthique » et « durable » à ce que vous voulez vendre, et le tour est joué. Vous allez pouvoir vous adonner à vos jeux érotiques favoris de façon éthique et durable. Je ne sais pas si le sexe s’accommode sans problème de la nouvelle Morale du siècle, mais l’économie continuera de bien se porter tant qu’elle fera appel à des « valeurs éthiques » pour accomplir son programme où l’éthique et le durable ont assez peu de place, à moins d’en menacer le fondement même.
Mazarine M. Pingeot
Les chroniques du temps présent s'inscrivent dans la tradition créée par Alexandre Vialatte.