L’histoire et la géographie de notre région se trempent de merveilleux. Alors que le printemps est copieusement arrosé, plongée dans l’eau miraculeuse et ces bonnes fontaines qui jalonnent le pays creusois.
Il ne faut jamais dire "fontaine, je ne boirai pas de ton eau". Si la tentation est grande de prendre le sujet à la légère à l’heure où le monde a perdu de la légèreté, il ne faut pas sous-estimer la valeur patrimoniale des bonnes fontaines et le poids du merveilleux dans notre histoire.
Ces lieux, et tout ce qu’on y rattache de légendes et de pratiques, en disent long sur les rapports que les hommes entretiennent avec l’eau. Celle qui coule est associée à la vie depuis l’aube des temps. Et cette filiation n’est pas anodine lorsqu’on regarde où sont apparus les premiers organismes sur Terre, d’où naissent les humains, et en quelle proportion leur corps est constitué d’eau – les trois-quarts !
De la magie païenne aux miracles chrétiensDe la même façon, l’eau imprègne quasiment tout dans la géographie du Limousin et sa société traditionnelle. Vu ainsi, les fontaines sont autant de petits points cardinaux du monde rural.
Et deviennent "bonnes" ou "miraculeuses" dans un état d’esprit de subsistance des communautés paysannes. Pour qui il importe de se désaltérer, abreuver les bêtes, cultiver le lopin. Éventuellement se soigner. Beaucoup d’espoirs donc, sur lesquels la religion devait greffer croix et statues de saints.
L’exemple de Chambon-sur-Voueize est marquant. Lorsque les moines limougeauds cherchent à mettre les reliques de sainte Valérie en sûreté face au risque des Vikings, c’est à Chambon, ce "champ bon" parce qu’il y a une bonne fontaine, qu’ils choisissent de s’installer. La fontaine que l’on peut voir aujourd’hui en périphérie du bourg fait la synthèse de cette histoire : un petit clocher, qui rappelle ceux de l’abbaye, surplombe une pierre de granit probablement travaillée à l’époque celtique. Elle est percée en son centre, d’où sourde une eau limpide.
Il y a encore deux ans on trempait les langes d’un bébé muet
Le lien entre bonnes fontaines et religion est notamment mis en valeur par la paroisse saint-Pardoux de Guéret, où l’on a recensé toutes celles qui existaient sur le territoire paroissial, leurs vertus, et les dates de pèlerinages qui y étaient associées. Par exemple, il y en a une sur la route de la Celle-Dunoise à Bonnat, aménagée en bassin, surmonté d’un édicule, avec pas moins de trois statues de saints et une croix.
Il y a aussi, bien sûr, la double fontaine du Mont de Sardent, où Pardoux vécut avant d’aller à Guéret. Le saint ermite était aveugle, et ces fontaines seraient notamment indiquées pour les problèmes oculaires. Pour les maladies infantiles aussi, des linges de bébés pouvant être pendus dans les arbres autour en ex-votos. À la frontière de la magie et des miracles, un grand nombre de pratiques qui nous paraissent aujourd’hui ésotériques étaient jadis indiscutables.
Balade d'été au fil du Thaurion creusois
Il y a encore deux ans, au Grand-Bourg, une femme cherchait la fontaine saint-Fort, près du bourg, pour y tremper les langes d’un bébé qui restait muet et le faire guérir.
Quant à la fontaine saint-Hubert, sur la route entre Guéret et Sainte-Feyre : on venait de cinquante kilomètres pour y tremper du pain le jour de la fête du saint (3 novembre). Que l’on donnait ensuite à manger aux animaux pour qu’ils passent l’hiver en bonne santé. Une pratique similaire, pour les humains cette fois, existait à l’autre bout de l’année, pour le Jeudi saint.
Des fontaines mal habitées et des fontaines à vœuxLes fontaines, quelques fois, sont mal habitées. Ainsi de la fontaine Piquerelle, en bas de la place du marché à Guéret, où se serait trouvé un loup garou. Ou, encore plus fou, de la fontaine aux sers, sur la route entre Guéret et Anzême, d’où l’on pouvait régulièrement voir jaillir des couleuvres. Et en avaler aussi sans doute.
Mais dans l’immense majorité des cas, les fontaines et leurs eaux sont bienfaisantes. En Creuse comme à Rome, avec l’iconique fontaine de Trévi, cela nécessite de lancer quelque chose dedans pour formuler le vœu. Une pratique systématique liée à celle, annuelle, du 1er janvier : on l’a oublié, mais les Creusois "portaient étrennes" aux fontaines et aux puits en déposant morceaux de pain, de chocolat, noisettes, pour la bonne fortune. Concernant les souhaits, il s’agit parfois de pièces. Plus souvent d’épingles à cheveux, en particulier pour les jeunes filles voulant se marier.
Le couple et la fertilité sont deux grandes causes que les bonnes fontaines peuvent faire avancer. À Saint-Plantaire, tout près de Crozant, un sculpteur belge (!) a installé voici quelques années une statue en granit de Saint-Guerluchon pour couronner la fontaine du village.
L’eau jaillit entre les jambes, pour la fertilitéL’eau jaillit d’entre ses jambes et la statue tout entière a elle-même une forme très suggestive… C’est une référence, un peu malicieuse, à la légende selon laquelle ce sacré personnage (vivant au Moyen Âge dans les Ardennes belges, dit-on) pouvait permettre aux femmes n’arrivant pas à concevoir de tomber enceinte. À condition... qu’elles aillent passer un moment "de prière" avec lui au fond des bois. Vous souriez. Il n’en reste pas moins que plusieurs fontaines à Guerluchon existent désormais dans le nord de la France, jusqu’en Sologne et Berry, où d’ailleurs le mot "greluchon" est synonyme d’amant !
Il y a aussi une certaine malice entre les lignes qu’un visiteur de la Creuse écrit à sa cousine pour relater son voyage durant l’été 1922. À propos des fontaines, soucieux de précision, il s’appuie sur les travaux de la Société des Sciences qui s’occupe de décortiquer tout cela depuis déjà près d’un siècle (elle a été fondée en 1832).
Et en cite près de 80, avec leurs propriétés supposées, en deux lettres fleuves. Qu’il conclue ainsi : « inutile, chère cousine, de vous préciser que je n’ai expérimenté aucune de ces fontaines prétendues bonnes, leur préférant les eaux chaudes de l’établissement thermal validées par la médecine ». La science et la rationalisation sont passées par là.
L’industrie du tourisme aussi, puisque l’auteur fait bien sûr référence à Évaux-les-Bains où il séjourne. L’unique cité thermale du Limousin vient alors de permettre à 3.000 poilus de cicatriser plus vite durant la Grande guerre. Les vertus de ces sources jaillissant jusqu’à 60° C ont été redécouvertes aux XVIIIe et XIXe siècles : un médecin conseiller des eaux d’Évaux a été nommé par Louis XV, préfigurant la création en 1830 d’une société thermale qui développera le site moderne en exhumant le site ancien.
Évaux et ses 60 sources, une bonne fontaine géanteL’archéologie est alors en plein essor. Et l’on découvre que d’importants thermes romains ont existé là entre le premier siècle avant J.-C. et le IIIe siècle de notre ère. Une galerie couverte de 700 m permettait de relier la cité (le bourg actuel sur les hauteurs) au site où près de soixante sources étaient captées dans une vingtaine de salles avec bassins en marbre, d’Italie s’il vous plaît.
2000 ans d'histoire aux thermes d'Evaux
Parmi les vestiges, est d’ailleurs retrouvée une inscription latine : "Je remercie Ivaos d’avoir soigné les maux de mes jambes". Il se trouve qu’Ivaos est la déesse celte des sources et de la santé. Et l’origine étymologique d’Évaux. Où les eaux chaudes sont aujourd’hui attestées pour leurs bienfaits en rhumatologie, phlébologie, gynécologie. Propices aussi pour attirer, le Tour de France, autour de son Grand Hôtel rénové, dont on attend bien des miracles économiques. Dans un sens, il y a bien là matière à faire d’Évaux la plus grande et la plus célèbre des bonnes sources de Creuse.
Floris Bressy
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