Durant l’été 2023, des moustiques tigre ont été repérés dans un hameau proche de Sardent. Restée longtemps zone blanche au milieu d’une France intégralement colonisée par l’aedes albopictus, la Creuse semble encore résister à l’invasion. Une prospection a été organisée jeudi, à l’endroit où il avait été repéré l’été dernier, afin de vérifier s’il avait survécu à l’hiver.
« On était dehors, on n’arrêtait pas de se faire piquer et on a eu le réflexe de se taper sur le bras. On a vu que c’était un moustique tigre et on l’a pris en photo »raconte Véronique Cousin, à l’origine du premier recensement officiel de moustique tigre en Creuse en 2023.
Elle l’a tout de suite reconnu, un corps noir strié de petites rayures blanches très contrastées. Une amie présente avec elle a alors envoyé une photo de l’insecte sur le site de signalement de l’ARS, qui, après vérification, a bien identifié l’espèce.
Vérifier si la colonisation est établieL’été dehors était devenu insoutenable pour Véronique Cousin. Les moustiques envahissaient son jardin et ils étaient particulièrement agressifs. L’agressivité est l’une des caractéristiques des moustiques tigres. Diurne, il n’est actif que le jour contrairement à ses cousins locaux. Et d’origine tropicale, il peut aussi être vecteur de maladies comme la dengue, le chikungunya ou du virus Zika.
L’année dernière, ce village proche de Sardent a été le premier en Creuse à révéler la présence officielle d’un foyer de moustiques tigres. Suite à ce signalement citoyen, l’ARS a contacté la société Altopictus, entreprise spécialisée dans la surveillance et la lutte contre le moustique tigre, afin d’organiser une première prospection et traitement antimoustiques en septembre 2023.
Toujours recouvrir ses containers d'eau d'une moustiquaire @Julie Ho Hoa
Jeudi, une nouvelle prospection a eu lieu afin de vérifier si le moustique tigre, plus précisément d’éventuels œufs, avaient résisté ou non à l’hiver creusois. Les adultes et les larves ne survivent généralement pas sous nos latitudes. Savoir aussi si la Creuse allait passer en rouge sur la carte de répartition des moustiques tigre ou si elle restait épargnée par l’invasion.
Guillaume Boisramé, technicien de lutte anti-vectorielle chez Altopictus précise qu’« un département est décrété colonisé à partir du moment où une commune est colonisée. ». Mais après l’intervention de son collègue en septembre, qui a traité les gîtes larvaires, Guillaume Boisramé semble dire qu’« ils n’ont pas survécu ».
« J’ai vérifié aux mêmes endroits qui avaient été répertoriés et ensuite traités »
Des pièges avaient aussi été mis en place pour capturer des adultes. Ce sont de petits ventilateurs qui utilisent deux attractants : l’un imite l’odeur émise par un corps, une odeur de sueur et l’autre imite le CO2 expiré. Car ce sont les deux paramètres qui attirent les moustiques. Contrairement aux idées reçues, le moustique tigre n’est pas attiré par le sang ou la lumière car il est lucifuge. Et seules les femelles piquent pour trouver un apport en protéines, afin de pondre leurs œufs. @Julie Ho Hoa
Leur piqûre ferait « plus mal que celle d’un moustique ordinaire », rapporte Guillaume boisramé, la réaction serait plus forte car la salive est méconnue par notre corps. Le technicien assure aussi que « sa meilleure proie et son meilleur prédateur c’est l’homme ».
A quoi ressemble-t-il ? Le moustique tigre est reconnaissable à son petit corps et ses pattes noirs surpiqués de rayures blanches constrastées. Une ligne dorsale blanche est également présente sur son thorax.Plus petit que le moustique commun, il mesure 0.5 cm. La femelle est plus grosse et c’est elle qui pique. Son nom lui vient de son agressivité et de sa férocité. Mais il est plus silencieux que son cousin occidental. Contrairement au moustique commun, le moustique tigre vit la journée et pique le jour ou en soirée.Comment l’éviter ? Il aime les récipients d’eau, surtout les parois verticales sur lesquels il peut pondre. Arrosoirs, seaux, pots, il faut donc les vider pour l’empêcher de s’installer. Altopictus recommande de faire le tour au moins une fois par semaine pour vérifier les récipients. Il faut vidanger, retourner et mettre à l’abri tout ce qui peut contenir de l’eau et ne faut jamais vider l’eau au même endroit.
Un rayon de vie limitéDes plateaux du nord-Japon aux bocages creusois, le moustique tigre est arrivé en 2004 en France par la frontière italienne. Peu à peu, il a colonisé la moitié sud du pays, puis le pays entier. Cette introduction d’espèce se fait par le transport passif car de lui-même, le moustique tigre n’aurait pas pu se répandre aussi loin.
« Son rayon de vie est limité seulement à 150 mètres »
Minuscule et pourvu de petites ailes, il ne vole en effet pas très bien. Il emprunte les transports humains, comme l’avion, la voiture ou le train. Souvent, des personnes partent d’une région colonisée en revenant avec une femelle aedes albopictus prête à pondre. C’est de cette façon qu’il voyage d’une zone contaminée à une zone encore préservée.
La petite bête fait preuve d’une grande capacité d’adaptation. La population de moustique tigre originaire du Japon est capable de diapause, ce qui lui permet de survivre dans des climats plus tempérés et moins tropicaux comme en France. La diapause est un processus qui lui permet de stopper son activité métabolique, d’arrêter son développement à l’état d’œuf ou de larve, pour émerger quand les conditions météorologiques seront plus idéales. C’est ainsi que l’aedes albopictus a pu survivre et s’adapter chez nous.@Julie Ho Hoa
Contrairement à ses cousins qui peuvent pondre à peu près partout, c’est un moustique de récipients artificiels. Il pond sur les parois verticales au-dessus de l’eau de récipients tels que les pots de jardin, les récupérateurs d’eau, les soucoupes, etc. Tout ce qui peut contenir de l’eau et qui n’est pas vidé régulièrement.
« En plein été, quand les conditions sont optimales il faut seulement sept jours pour passer d’une larve stade 1 à un adulte. »
Pour les reconnaître, quelques indices peuvent aider : une larve de moustique tigre possède « une petite queue noire, une tête plus claire et un siphon respiratoire ovale ». Elles sont plus faciles à éradiquer car il suffit de jeter l’eau dans laquelle elles se trouvent. Les nymphes de moustique commun et de moustique tigre sont, elles, impossibles à différencier. Et les œufs quant à eux supportent chaud et froid et peuvent survivre jusqu’à -12 °C.
Cette prospection printanière montre que rien n’a semblé survivre à l’hiver car aucune larve ni œuf n’ont été détectés dans cet ancien foyer. La Creuse reste donc pour l’instant exempte de colonisation. Mais Guillaume Boisramé rappelle qu’« il suffit d’un dé à coudre d’eau pour que le moustique ponde ses œufs »…
Quand la prévention est LA solution pour éviter la colonisationMême si la Creuse reste pour l’instant préservée, la prévention reste la meilleure arme pour éviter l’invasion. Plusieurs campagnes de sensibilisation sont organisées sur le territoire.Le Centre permanent d’initiatives pour l’environnement (CPIE) des Pays Creusois propose des temps d’information et de prévention sur le moustique tigre, en partenariat avec l’Agence régionale de santé.
@Julie Ho Hoa
Amélie Bodin, chargée de projet santé et environnement pour le CPIE explique que « ces temps d’échanges permettent de valoriser la plateforme et de communiquer le maximum sur le moustique tigre ». Plus les habitants sont informés en amont et plus la colonisation peut être évitée. Une fois l’insecte sur le territoire, il est impossible de s’en débarrasser. Il faut donc limiter sa prolifération.
« Surtout qu’en Creuse, on a un département superbe et le gros avantage c’est qu’on n’a pas de moustique tigre »
Donc, si jamais le doute s’installe face à un spécimen, il ne faut pas hésiter à le signaler pour contrer son expansion et préserver le département.Des gestes préventifs, comme vider les coupelles d’eau du jardin, les bacs contenant de l’eau non protégée par une moustiquaire ou les fonds d’arrosoirs, doivent devenir des réflexes.
Après la prospection de jeudi, où aucune larve de moustique tigre n’a été trouvée, la Creuse reste encore préservée par l’invasion, « d’où l’importance de détecter le plus tôt possible les premiers cas, pour qu’on puisse limiter tout de suite l’expansion ».
Le CPIE et l’ARS appellent ainsi la population à la surveillance de l’espèce afin de mieux connaître son front de progression via la plateforme dédiée : signalement-moustique.anses.fr.
Une analyse des larves et des pièges disposés sur le territoireDepuis 2018, l’Agence régionale de santé met en place chaque année un programme de surveillance entomologique des moustiques vecteurs de maladies humaines, tels que les moustiques tigres.
Les larves ou nymphes qu’Altopictus observent et n’identifient pas sont envoyées dans des laboratoires afin de déterminer si ce sont des moustiques tigres ou non. Dans le cercle de signalement sur le site signalement-moustique.anses.fr, la photo est envoyée à l’ARS qui la fait étudier en laboratoire et qui, si c’est un moustique tigre, transmet l’information à Altopictus qui s’occupera de la prospection et du traitement des zones infestées.
@Julie Ho Hoa
En plus de la prévention opérée sur le territoire, l’ARS fait de la surveillance dite “active”, qui s’est traduite en 2022 par la pose de pièges appelés “pièges pondoirs”. Déployés au nombre de douze dans le département, ils sont déposés pendant la saison d’activité du moustique, de mai à novembre.
Les trois communes les plus grandes du département, Guéret, Aubusson et La Souterraine disposent de pièges. Gouzon aussi en a trois, car son site de transport logistique peut être vecteur d’une introduction de moustiques.
Aude Collet, technicienne en sécurité sanitaire pour l’ARS explique que les pièges sont « des sortes de ventilateurs qui attirent les moustiques, comme ceux posés lors des prospections par Altopictus ». Tous les pièges sont relevés une fois par mois. En 2022, ce sont 84 relevés qui ont été réalisés, tous négatifs.
Encore à ce jour, les relevés faits par l’ARS sont négatifs et la vérification faite par Altopictus de jeudi maintient la Creuse dans une heureuse exception.
Comment le signaler ? Pendre une photo et l’envoyer sur le site signalement-moustique.anses.fr.
Marie Le Mauxmarie.lemaux@centrefrance.com
