Une voix hollywoodienne vous accueille. Pourtant ce n’est pas New York, ni L.A., mais un tout petit village de campagne entre Berry et Limousin. C’est là que Martine Irzenski, doubleuse, a choisi de faire son nid pour se ressourcer entre deux séances de travail dans les studios à Paris. Vous n’avez sans doute jamais entendu parler d’elle, mais vous l’avez forcément déjà entendue parler. Cela fait quarante ans maintenant qu’elle a embrassé ce métier aussi sous-estimé que surexposé.
Premier amour et prérequis : le théâtreLa voix est au cœur du jeu d’acteur. Martine Irzenski le sait bien, elle qui a commencé sa carrière en tant que comédienne. Elle fait ses gammes dans le quart sud-est de la banlieue parisienne, par des ateliers théâtres. « J’avais toujours voulu faire ça. On jouait des classiques à Ivry, Vitry, Saint-Maur des Fossés… Racine, Molière… » Si la jeune femme de 17 ans est trop jeune pour intégrer le Conservatoire, elle est engagée par une compagnie pour jouer Ophélie, dans Hamlet.
Elle prend le large, jusqu’à la Maison de la Culture de Grenoble. « C’était les années 80, la grande période pour la culture », se souvient-elle dans un mélange de nostalgie et de tendresse. Tendresse aussi en évoquant ses parents qui travaillaient à la Société parisienne de sonorisation, en charge de doubler Fellini, les Artistes associés, Disney. Elle évoque des mots et des métiers qui ne disent plus grand-chose aujourd’hui, même s’ils ont tout dit à l’époque : « Mon père était technicien repiqueur de son, ma mère, calligraphe, lui écrivait les bandes rythmos… Ils me faisaient des mots d’excuse pour l’école afin que je fasse des petites synchros… Par exemple un essai sur Les Aristochats », sourit-elle.
Un acteur hollywoodien en Haute-Vienne (2018)
Martine Irzenski en est aux babillements du doublage, mais il y a là plein de pistes qui tournent, dont celle qu’elle suivra jusqu’à aujourd’hui. Dans sa maison à la campagne, quelques DVD sagement alignés sur une étagère ne reflètent pas bien l’étendue et la richesse de ce parcours. Si vous vous souvenez de Meg Ryan dans Quand Harry rencontre Sally, c’est aussi grâce à la voix de Martine Irzenski…
C’est elle aussi qui est derrière la pétillante Carrie Bradshaw, alias Sarah Jessica Parker, dans la cultissime série Sex and the City. Elle encore qui prête sa voix à une Cate Blanchett glaçante dans Indiana Jones et le Royaume du Crâne de Cristal. Plus récemment à Jennifer Coolidge pour White Lotus ou au personnage de Gerri dans Succession… La création de la chaîne “La 5”, en 1985, puis l’éclosion du format séries, dans les années 2000, ont été deux moments très forts pour ce métier et la carrière de Martine Irzenski. Entrecoupé de moment plus creux.
« On m’appelle pour les nanas un peu barrées ! »En même temps que tout l’univers médiatique, le monde du doublage s’est considérablement étendu, numérisé, financiarisé. Durci peut-être aussi. « Avant, tout le monde se connaissait, aujourd’hui la concurrence est accrue », résume-t-elle. À l’image des acteurs qui peuvent laisser des plumes dans un grand rôle, la doubleuse avoue avoir peiné à relancer la machine après Sex and the City. « On me disait que j’étais trop associée à Carrie », explique-t-elle.
Mais Martine Irzenski, ça se sent, nourrit toujours une grande passion pour son drôle de métier. « On m’appelle souvent pour les nanas un peu barrées, un peu folles, ça me va bien !, s’esclaffe-t-elle. Et en même temps, j’aime quand c’est très doux, sentimental. » À ce propos, comment détermine-t-on qui double qui ? Et qui double bien quoi ? « Il faut que ça colle à l’énergie de la comédienne. On essaye de retrouver la même attitude, le même sentiment… »
Une sorte de mimétisme américainC’est ainsi, par exemple, que la doubleuse ne prend pas connaissance des textes à l’avance, afin de s’approcher au mieux des émotions initiales du comédien. La posture physique, l’oreille, sont aussi des éléments importants lorsqu‘elle se trouve face aux images et au texte qui défile en dessous. « Ce n’est pas du karaoké, mais il faut être musical, c’est compliqué car la musique d’une langue étrangère peut être très différente de la nôtre ! » C’est sans doute pour cela, par une sorte de mimétisme, que Martine Irzenski a quelques airs américains. Expressive, expansive, solaire.
Des qualités qui lui servent aussi dans le (vrai) monde, lorsqu’elle prend la tête du combat pour défendre le train dans son petit coin de campagne, ce “Polt” qui lui permet d’aller travailler, de passer d’un monde à l’autre. Martine Irzenski gère le collectif de défense de la gare d’Argenton depuis qu’elle s’est installée dans la région. Et, là aussi, c’est un rôle qu’elle prend avec passion.
Floris Bressy
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