Bien assis dans son fauteuil Voltaire, le regard d’un enfant ayant fait l’école buissonnière, Pierre Michon tend lentement sa main aux veines foliaires pour allumer la cafetière. L’odeur du café se mélange alors aux effluves des pages jaunies des livres qui habillent la pièce comme un cabinet de curiosité. L’homme de soixante-dix-huit ans déploie alors ce corps fatigué par les années, mais à l’inertie ardente dont la pensée jaillit comme une fontaine de jouvence. Il y a quarante ans paraissait sa première œuvre, Vies minuscules.
« Pour moi c’était des noms de misères »(empty)
Tenter de faire de l’oubli qui menace les personnages de Vies minuscules la matière même du récit. Vies minuscules renferme huit histoires de Creusois à la vie peu particulière mais au destin spectaculaire, puisque gravé sur du papier. L’oubli, c’est peut-être ce qui aurait pu aussi toucher son manuscrit, perdu dans des querelles de bureaux chez Gallimard. Certains défendaient sa publication, tandis que d’autres trouvaient impensable qu’on puisse « employer une telle langue pour parler de ces gens misérables ». L’œuvre fut finalement publiée en 1984, trois ans après le dépôt.
Au fil des pages et des récits, une absence se ressent, mais jamais autrement qu’en la suggérant. L’absence de père est déployée en filigrane des récits : « quand j’ai écrit les vies minuscules, je l’ai exhaussé comme une présence surnaturelle, mais c’était plutôt un truc littéraire qu’un truc senti. ». Même s’il n’a pas souffert de l’absence de son père « les vies minuscules [l’ont] guéri comme une psychanalyse ». Pierre Michon confie :
« c’est pour ça que ce livre m’a bouleversé quand je l’écrivais, je ne me rendais pas compte que c’était la voix de ma mère qui parlait » (empty)
Pierre Michon, écrivain, Naillat, le 14/03, photo Bruno Barlier
Si le livre a été écrit en partie à Orléans, la Creuse et la maison des Cards, commune de Saint Goussaud, n’en restent pas moins des lieux importants pour l’écrivain. « C’était une émotion intense quand j’ai écrit, de nommer ces lieux et de se dire qu’ils vont peut-être être lus à l’échelon national alors que pour moi c’était des noms de misères ». Dans ce livre, l’écrivain parle de la Creuse, aimée mais jamais nommée. Ce livre est le souvenir de sa jeunesse, d’une enfance dans cette campagne vallonnée et granitique qu’il décrit sans horizon et qui alourdit les idées.
Pierre Michon, écrivain, Naillat, le 14/03, photo Bruno Barlier
Une vie de débauche puis l’ébauche d’une vieVies Minuscules est le symbole d’une identité trouvée pour Pierre Michon. Lui qui se décrit comme peu ragoûtant dans sa vie d’avant : « j’allais mal, je buvais trop, je me clochardisais ». L’écriture de ce roman a donc été un tournant. Obsédé par une nécessité d’écrire, il n’osait pourtant pas le faire. L’avoir écrit a finalement changé sa vie, « j’ai enfin osé, comme s’il m’avait donné une ossature, une identité ». Vies minuscules propulse alors l’écrivain directement dans l’étagère des classiques, alors qu’il n’était que son premier livre. Certains diraient qu’il est même son chef-d’œuvre.
Les rencontres qui comptent, qui marquent, qui bouleversent, même « sa femme définitive, rencontrée il y a peu », dit-il, c’est après, ou grâce à Vies Minuscules qu’il les a faites. « Ce livre sinistre m’a transformé en un être rieur. » Récit de vies, histoire d’une vie, Vies minucules est le livre qui a fait de l’existence de Pierre Michon une persistance dans un paysage littéraire exigeant.
Une librairie qui rend majuscule des Vies Minuscules
Il y a un an, la librairie au nom éponyme du roman de Pierre Michon, Vies minuscules, ouvrait ses portes, au 2 rue Jules Sandeau à Guéret. L’ancienne librairie des arcades, connue sous le nom Les Belles Images, a donc changé de lieu, de nom et de propriétaire.
Il est vrai qu’en passant la porte de la librairie, l’échelle de bibliothèque qui s’étend sur les étagères donne l’impression d’être minuscule, au milieu de toutes ces tranches de bouquins. Pour Elodie Soulé, librement nommée par le mot valise propriétaire-libraire de Vies Minuscules, c’est là toute l’âme d’une librairie :
« une librairie abrite plein de vies, de vies minuscules. Ce sont les livres qui rendent majuscule des vies minuscules »
Vies Minuscules, ce nom de librairie sonnait comme une évidence, non seulement parce qu’il est le titre d’un livre dont l’action se déroule en Creuse, mais aussi parce qu’Elodie aime les sonorités et le rythme de ces mots « j’aime, c’est redondant ». Celle qui aurait pu passer à côté de ce livre, en a finalement tourné les premières pages en arrivant en Creuse. « J’avais un a priori sur ce livre que je voyais dans les bibliographies pendant mes études de lettres, je pensais que c’était un roman de terroir ». Comble d’une libraire, ce livre a subjugué Elodie et l’a plongé dans un état tel qu’elle ne pouvait plus lire après. Dans l’expérience de sa lecture, « il y avait quelque chose de l’Absolu » décrit-elle.
Emmanuelle, collègue-libraire de Vies Minuscules raconte aussi l’histoire particulière qui la lie à ce livre. C’est dans ses partiels d’études qu’elle a découvert des citations de Pierre Michon, qu’elle ne connaissait pas. En arrivant en Creuse, elle s’est donc penchée sur cet ouvrage dense qui nécessite parfois d’avoir un dictionnaire sous le coude. Puis, le destin porta Emmanuelle à la librairie : « j’ai pris ça comme un signe quand j’ai commencé à travailler chez Vies Minuscules », pensée donc à ce professeur qu’elle avait et qui faisait de Michon son obsession.
Vies Minuscules, pour rendre hommage à un livre qui a porté Elodie dans une Creuse qui ressemble au Cher du temps de sa grand-mère et qui, pour Emmanuelle est symbolique du temps de ses études. La librairie a donc trouvé les lettres majuscules de son enseigne dans le titre de ce livre aux vies minuscules.
Pierre Michon, écrivain, Naillat, le 14/03, photo Bruno Barlier
Samedi 23 mars de 10h à 18h : rendez-vous à la Librairie Vies Minuscules, au 2 rue Jules Sandeau, à Guéret. Une lecture collective, populaire et joyeuse est organisée pour les 40 ans du livre dePierre Michon, Vies minuscules, ainsi que des écoutes radio avec Radio Vassivière.
Avec la participation de : Jean-Claude BRAY, conteur, de Hervé Herpe, directeur artistique de la Guérétoise, de Jean-Marie Chevrier, auteur, et de Martine Peucker-Braun, artiste et autrice. Évènement organisé par Radio Vassivière à l’initiative de Jean-Michel Arnaud et La Librairie Vies Minuscules.
Texte : Marie Le Maux (marie.lemaux@centrefrance.com)
Photo : Bruno Barlier (bruno.barlier@centrefrance.com)