Le soleil tape fort sur la baie vitrée du Groupement agricole d’exploitation en commun (Gaec) Noir d’Abeilles au Mazel (Saint-Didier-sur-Doulon, Haute-Loire). Un insecte virevolte au-dessus d’une cuve sous l’auvent du hangar. En plein mois de février. Louis Marchand, apiculteur, collecte les données de ses ruches dans un classeur. Cette année, les visites de printemps ont commencé plus tôt. Chaque saison contient son lot d’aléas. Et d’adaptation pour les professionnels.
"Globalement, la saison va du 15 mars au 15 septembre", détaille le membre du Gaec. Le pic d’intensité se concentre entre avril et la mi-août. En période hivernale, les abeilles restent confinées, en grappe dans la ruche. "Elles maintiennent la chaleur et la reine arrête de pondre." Il faut attendre le retour des beaux jours et du pollen sur les arbres pour que les activités reprennent doucement.
Louis Marchand contrôle les aléas climatiques avec un dispositif de ruche connectée.
Charlotte Bompard, basée à Chilhac, s’occupe d’environ 200 ruches. Sa production s’écoule en vente directe, sur les marchés ou dans les magasins de producteur. L’hiver, elle en profite pour travailler dans la miellerie, réparer des cadres ou faire de la comptabilité.
L’apicultrice contrôle aussi l’intérieur de ses ruches.
"Je suis allée voir la semaine dernière. Il y avait des larves. Avec les après-midi chauds, les abeilles vont aller récolter le pollen pour les nourrir."
Les professionnels restent dépendants de la météo. "Les abeilles sortent à partir de 12°C, explique-t-elle. Comme en ce moment, les jours se suivent et sont chauds, elles vont s’activer et manger leurs réserves plus que ce qu’il faudrait." Dehors, les ressources alimentaires pour les insectes ne suffisent pas encore.
Sans compter les risques de gel. "Si tout d’un coup, il fait froid, les abeilles vont aussi taper dans ces réserves." À l’inverse, la sécheresse de l’été dernier a "grillé" les fleurs.
"On doit intervenir", assure Charlotte Bompard. Cette dernière ajoute une pâte épaisse faite de sucre, miel et eau, dans le nourrisseur. "Ce n’est pas avec du sucre qu’on fait du miel. Il s’agit d’une urgence. Je préfère que les abeilles soient autonomes."
Des outils de contrôleLe Gaec Noir d’Abeilles opte pour la transhumance. Une partie des ruches est mise en hivernage dans l’Hérault. "La colonie souffre moins du choc thermique, explique Louis Marchand. Il y a une avance de deux semaines." Les colonies se redéveloppent plus vite. Et le cheptel augmente. Les apiculteurs de Saint-Didier-sur-Doulon détiennent 300 ruches - jusqu’à 500 avec les ruchettes.
Quand l'observation des oiseaux des jardins aide la science
Pour les autres, restées entre Sainte-Florine et Lamothe, le Gaec utilise un système de ruche connectée. L’objet est posé sur une balance reliée à un téléphone et à un pluviomètre intégré. "Une pesée est effectuée toutes les deux heures et renseigne sur les précipitations." Les plantes ont besoin d’eau pour se développer et sécréter du nectar. "Il faut un stress hydrique pour favoriser les fleurs et pas les feuilles", illustre l’apiculteur.
Un cahier conserve toutes les données utiles aux apiculteurs du Gaec d'années en années.
Le suivi des ruches se fait d’année en année sur un document papier chez Noir d’Abeilles. Pour chaque emplacement, les apiculteurs notent les données récoltées lors de la visite de printemps, les traitements et les pesées. "On est allé voir les ruches le 8 février et elles étaient plus légères", observe-t-il. Tout est répertorié pour éviter au maximum les erreurs des années passées.
"L’an dernier, j’ai mis des ruches tout début juin en montagne mais cela s’est arrêté très vite. Le châtaignier en Ardèche n’a pas marché. La propriétaire m’a appelée pour me dire que les abeilles mangeaient les cerises."
En tout, elle n’a récolté que 8 kg de miel de châtaignier par ruche. "Je n’ai fait que quatre sortes de miel. D’habitude, c’est plutôt six."
Le choix de l’emplacement s’avère crucial. "On garde une trame fixe et on s’adapte au climat, expose Louis Marchand. On débute avec le colza, une miellée plus sûre, puis la montagne et les toutes fleurs." Chaque emplacement a sa caractéristique. Le sapin est réputé plus compliqué. "Si la miellée de sapin est mauvaise ou inexistante, on se tourne vers la lavande ou la bruyère en juillet août", énumère l’apiculteur. En dernier recours, le tournesol permet d’assurer des provisions pour l’hiver.
La propolis, ces grains rouges, se mâche telle quelle. "Il y a quand même de l’entraide entre les apiculteurs, reconnaît Charlotte Bompard. Je reste en lien avec les collègues pour trouver un emplacement ou des fleurs." Des groupements se constituent. Noir d’Abeilles fait partie d’une association régionale d’apiculteurs biologiques.
"Le miel n’est plus notre principal revenu. La propolis ou le nougat sont des bouffées d’oxygène. On sait que quelque chose va rentrer."
Une diversification essentielle pour répondre aux aléas climatiques et aux mauvaises années. « Une saison implique plein de choix stratégiques et d’énergie », admet l’apiculteur depuis 6 ans. Charlotte Bompard renchérit : "Mais quand toutes les conditions sont réunies, c’est assez bluffant !"
Lucile Bihannic