Qui était Roscoe Arbuckle ? Connu sous le sobriquet de “Fatty” (“grassouillet”, littéralement) et ce depuis sa plus molle adolescence (la grossophobie ne date pas d'aujourd'hui), cet acteur comique rondouillard (et extrêmement souple) originaire du Kansas est d’abord chanteur (talent inutile à l’époque du muet, convenons-en) avant d'être repéré par le cinéma au début des années 1910. Sa bonhomie et ses bonnes joues ne semblent faire qu'un : il répond à l'image caricaturale du "bon gros".
Il devient très vite la plus grande vedette de la compagnie cinématographique Keystone, spécialisée dans le burlesque et dirigée par le légendaire Mack Sennett. Arbuckle tourne des films avec la première vedette comique féminine de la Keystone, Mabel Normand, qui devient - quand Charlie Chaplin est embauché quelque temps après par Sennett - aussi l'une de ses partenaires fétiches. A l'époque, Fatty est aussi, voire plus populaire que Charlot. Doué d'un sens du comique et du rythme manifeste, ce fan de batailles de tartes à la crème réalise bientôt lui-même ses films, fait tourner pour la première fois Buster Keaton et devient son mentor.
En 1919, "racheté" par la Paramount, Roscoe tourne son premier long-métrage, qui rencontre le succès. On estime alors qu'il gagne 1 million de dollars par an, contre 40 dollars par jour six ans plus tôt, au moment de son embauche à la Keystone… Une ascension socio-professionnelle qu'on peut, sans exagérer, qualifier de foudroyante. Mais on lui prête aussi un goût prononcé pour les plaisirs de la vie qui ne s'arrête pas à la nourriture. On dit qu'il aime faire la fête, les alcools forts, les belles voitures, claquer son argent entouré de belles jeunes femmes.
Et puis le Labor day (la Fête du travail) de septembre 1921 arrive. Arbuckle a décidé de faire une virée à San Francisco avec deux copains. Ils logent au St Francis Hôtel, où ils prennent des suites. Ils décident d'organiser dans l'une d'elles une petite party qui durera trois jours. L'alcool, alors prohibé aux Etats-Unis (il l'est depuis un an et le reste jusqu'en 1933) va couler à flots (il est assez courant à l'époque de consommer l'alcool de contrebande dans un lieu neutre comme une chambre d'hôtel pour être plus discret). Des jeunes femmes sont invitées à participer à cette beuverie. Une jeune actrice et mannequin de vingt-cinq ans, nommée Virginia Rappe, et qui a déjà tourné dans une dizaine de films, se joint à eux le 5 septembre.
La “fête” bat son plein quand Miss Rappe se plaint soudain de maux de ventre très violents. Les autres fêtards les prennent au départ à la légère, persuadés qu'elle a tout simplement trop bu. On apprendra plus tard qu'elle a une eu péritonite aiguë… Elle meurt quelques jours plus tard à l'hôpital.
Roscoe Arbuckle est accusé par deux témoins d'avoir violé la jeune femme - une agression violente qui aurait pu causer la péritonite. Il nie. La presse à scandale, notamment celle de William Randolph Hearst (le magnat qui inspira le rôle de Kane à Orson Welles), s'empare aussitôt de l'affaire et prend parti contre l'acteur et contre la Babylone moderne que serait Hollywood. Tout un tas de fantasmes alimentent la presse à sensation et ses nombreux lecteurs·rices, partagés·ées entre le dégoût et la fascination pour des détails sordides sur la sexualité d'Arbuckle ainsi que sur les accusations de viol. La véracité de l'agression n'a jamais pu être établie mais, comme disait l'écrivain et scénariste Gore Vidal : "Vrai ou faux, tout ce qu'on dit sur Hollywood est vrai".
Charles Chaplin défend son ami Arbuckle : “Fatty est innocent. Il suffit de le regarder pour voir qu’il n’a rien du meurtrier”, croit-il savoir, comme le publie La Presse du 12 septembre 1921 (soit une semaine après les événements), reprenant une information du Chicago Tribune :
On note que la description des faits est assez précise : Arbuckle et Rappe seraient restés seuls dans une pièce pendant une demi-heure. Virgina Rappe affirme qu'elle a été attaquée et violée par Arbuckle. Et les médecins ont trouvé des traces de "meurtrissures" sur le corps de la jeune femme…