Co-produit par l’inclassable et protéiforme Nick « Fury » Cage qui incarne ici un psycho-killer grimé, siliconé et saupoudré absolument terrifiant (le fameux « Longlegs » du titre, alias « Jambes-longues ») que l’on n’est pas prêts d’oublier, ce thriller indépendant (produit par la petite boîte Neon pour 9 millions de dollars) en forme de jeu de pistes diabolique est l’œuvre d’Oz Perkins, le fils de l’immense Anthony Perkins, inoubliable Norman Bates dans le Psychose d’Hitchcock, le maître du suspense auquel on pense évidemment beaucoup ici, au milieu de quantité d’autres influences. Citons pêle-mêle Le Sixième Sens (Manhunter) de Michael Mann, Le Silence des agneaux de Jonathan Demme, Cure de Kiyoshi Kurosawa, The Cell de Tarsem Singh, The Pledge de Sean Penn, Seven et Zodiac de David Fincher, Prisoners de Denis Villeneuve, Heredity d’Ari Aster, Black Phone de Scott Derrickson, sans oublier une atmosphère globale vénéneuse et cotonneuse très lynchéenne… Et bien d’autres références encore.
Mais le film possède heureusement sa propre personnalité et affiche un tempérament plutôt radical et, disons-le, complètement désarçonnant ! Précisons que pour ce rôle, Nicolas Cage s’est inspiré de sa propre mère, décédée récemment à l’âge de 85 ans, victime hélas de sérieux troubles schizophréniques et identitaires durant toute sa vie. « Elle a été en proie à la maladie mentale pendant la majeure partie de mon enfance, précise l’acteur oscarisé pour Leaving Las Vegas, et a été placée en institution pendant des années en subissant des traitements de choc. Le plus dur était d’aller lui rendre visite dans les institutions notamment pendant mes jeunes années. Parfois, elle oubliait tout ce qui avait pu arriver – que son père était mort ou que j’étais devenu acteur. »
On suit dans cet authentique cauchemar pelliculé l’enquête chaotique et on ne peut plus glauque que mène une jeune profileuse du FBI dotée de pouvoirs médiumniques (impressionnante Maika Monroe/ agent Lee Harker en petite sœur de Jodie Foster/ agent Clarice Starling) dans une Amérique profonde banlieusarde triste à mourir dont l’insignifiance charrie une terreur de tous les instants. Cette « inquiétante étrangeté », comme disait Freud, est renforcée par les hallucinants partis pris de cadrages et de mise en scène décidés par notre réalisateur « arty ». Plans fixes, grands angles, lents travellings, mais surtout insertion systématique de « cadres dans le cadre » qui obligent le spectateur à scruter l’arrière champ en permanence afin d’y trouver un indice caché ou distinguer une ombre qui bouge anormalement dans un décor pourtant paisible et familier (le salon d’une maison, la pelouse enneigée d’une propriété, la bibliothèque du FBI…).
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Toute l’enquête est filmée du point de vue de la jeune héroïne aux méthodes hétérodoxes, dont on comprend vite qu’elle se situe dans un état second, comme shootée et sous médocs, suite à une enfance compliquée avec sa mère bigote et modeste qui l’a élevée seule. Lee Harker vient épauler un responsable du FBI de l’Oregon qui tente de mettre la main sur un serial-killer suspecté de massacrer des familles depuis le début des années 70 sans laisser aucune trace derrière lui, à l’exception de lettres avec messages codés et cabalistiques, évoquant évidemment le Zodiac de Fincher.
Plus l’investigation progresse, plus l’on comprend que Lee Harker entretient, à son insu, un lien trouble et pervers avec le tueur, l’obligeant à replonger dans les affres et les traumas de son enfance… Il ne faut évidemment pas aller plus loin dans la divulgation du récit, mais contentons-nous de noter et de nous délecter de la fascination que nourrissent les réalisateurs américains pour l’incroyable période-charnière fin 60’s-début 70’s, point de bascule de l’Amérique vers les ténèbres de la violence et de l’irrationalité suite notamment à l’enlisement au Vietnam, aux meurtres politiques, à la radicalisation de la société dans le sillage notamment de l’horrible meurtre de Sharon Tate par la « Manson family » (été 1969), clairement évoqué ici… Un trauma (à la fois fascinant, obsessionnel et répulsif) pour toute une génération de cinéphiles que s’était également approprié avec brio Quentin Tarantino dans sa démonstration métaphorique de la grande bascule américaine avec son excellent Once Upon a Time in Hollywood (2019)… tout en nous gratifiant au passage d’une relecture fantasmatique du carnage de Ciello Drive (la fameuse et funeste nuit du 9 août 1969) qui avait en son temps déchaîné les polémiques et propos outranciers contre l’auteur de Reservoir Dogs…
Au-delà du passionnant versant occultiste et satanique de l’énigme (accrochez-vous bien pour le dernier quart d’heure… vous ne verrez plus jamais des poupées de cire de la même façon !), l’exploration sociologique et topographique de cette Amérique profonde, délaissée et marginale, peuplée de mères célibataires élevant seules leurs enfants et « que personne ne vient jamais voir », ou de simples d’esprit en plein désarroi dans des villages loin de tout, se raccrochant à la religion chrétienne (bientôt dévoyée et extrémisée), s’avère profondément touchante et transmet une réelle émotion.
Le mal radical et contagieux peut ainsi naître de la solitude extrême, comme l’a démontré dans nos contrées un auteur comme Maupassant avec ses recueils de contes d’angoisse: « C’est la solitude qui engendre les monstres »…
On pourra toutefois regretter dans le film quelques plans symboliques parfois lourdement appuyés (la vision infernale, résumée par ces nœuds de serpents se mouvant dans le sang impur des suppliciés, par exemple), mais Longlegs possède un insidieux pouvoir hypnotique et aura pour effet de vous dévorer le cerveau pendant plusieurs jours après la projection… D’autant que la fin suffisamment ouverte et totalement imprévisible laisse place à une hypothétique suite que les excellents chiffres actuels de démarrage en salles devraient sous peu placer sur de bons rails. Les rails d’un train fantôme, conduit par Satan himself !
1h41
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