On n’en a pas fini avec la Covid-19. Plus contagieux, deux variants, apparus à des milliers de kilomètres de distance, au Royaume-Uni et en Afrique du Sud, se lancent à la conquête du monde.
Les campagnes de vaccination qui ont commencé, fût-ce ici ou là timidement, donnaient à penser qu’une bonne année, enfin, chassait l’autre. Mais deux nouveaux variants du Sars-CoV-2, l’un apparu au Royaume-Uni et l’autre en Afrique du Sud, sont venus doucher les enthousiasmes naissants.
Il fallait s’y attendre. C’est dans les gènes des virus de muter pour se propager. « Chez les mammifères, explique le virologue au CNRS Étienne Decroly, la reproduction est sexuée ; chez les virus, celle-ci profite de petites erreurs au moment de la réplication du génome. Ces mutations sont le plus souvent silencieuses, c’est-à-dire qu’elles ne changent pas les propriétés du virus. Mais, dans certains cas, elles peuvent les changer et le rendre plus infectieux et d’autant plus à même de se propager. Le Sars-CoV-2 a, depuis son apparition, connu de multiples mutations, la plupart sans conséquence. Là, les mutations ont doté les variants britannique et sud-africain d’une capacité plus grande à reconnaître le récepteur cellulaire ACE2 et donc à pénétrer dans les cellules. »
Vaccin« Cet avantage sélectif par rapport à la souche originale, poursuit le chercheur, peut permettre à ces variants de devenir progressivement majoritaires dans les populations proches du point d’émergence. S’ils partagent une partie de leurs mutations, ces deux variants en ont également des mutations spécifiques. Ce que l’on sait actuellement, c’est que la charge virale chez les patients infectés semble plus importante à celle de la souche originale. D’où une contagiosité augmentée de 40 à 70 %. On connaît bien désormais, grâce aux études de biologie structurale, la protéine "Spike" qui donne cette forme caractéristique au coronavirus et lui permet de se lier à certains récepteurs de la cellule hôte. À partir de celle-ci, on peut faire des hypothèses sur le rôle des mutations observées, notamment donc sur celles qui permettent de reconnaître le récepteur au virus donnant ainsi accès de la cellule au virus. »
De fil en aiguille, surgit la question de l’efficacité du vaccin : « Deux études sur les variants britannique et sud-africain, pointe le virologue, ont montré que le vaccin Pfizer n’avait pas les mêmes capacités de neutralisation face à l’un ou l’autre des variants. Le sud-africain semble davantage réduire ses capacités de neutralisation. Ce qui veut dire qu’une personne déjà infectée par la souche initiale ou vaccinée contre peut être plus facilement contaminée une seconde fois par le virus mutant. Les études expérimentales montrant que le variant sud-africain échappe davantage à la neutralisation, tout porte à croire que celui-ci est plus problématique que le variant anglais dans le contexte de la vaccination. Un vaccin, en effet, peut s’avérer efficace contre des mutations ponctuelles ou pas. »
Se pose alors une autre question, celle de l’échéance à laquelle il sera éventuellement nécessaire de modifier le vaccin. « Heureusement, rassure le chercheur, les vaccins conçus sur une “technologie” ARN sont plus faciles à modifier. En six semaines, c’est possible selon Pfizer. S’agissant de la modification à la marge d’un vaccin, on peut raccourcir les différentes phases nécessaires à son élaboration initiale. C’est ce qu’on fait chaque année pour le vaccin contre la grippe. »
SéquençageCes deux variants interrogent aussi les stratégies de lutte contre le coronavirus. « La stratégie de l’immunité collective, tranche le virologue, n’est manifestement pas opportune car, en l'absence de contrôle, la circulation intense du virus favorise l’apparition de nouveaux variants du virus. Accélérer les campagnes de vaccination me semble nécessaire pour mieux limiter la propagation du virus et éviter l’apparition de mutants. »
Ces deux variants interpellent enfin la France sur la question du séquençage à partir de tests PCR. Celle-ci, dit-on, serait en retard. « La France, détrompe Étienne Decroly, se situe dans la moyenne européenne. Les Britanniques sont nettement au-dessus. On peut sans doute faire plus car le séquençage du virus SARS-CoV-2, à partir de tests PCR, permet de détecter la présence d’éventuels variants sur le territoire. S’agissant des trois tests PCR utilisés en France, notons que l’un d’eux semble d’une moindre efficacité pour la détection du variant britanique.»
Jérôme Pilleyre(*) Directeur de recherche au Centre national de la recherche scientifique (CNRS) au laboratoire Architecture et fonctions des macromolécules biologiques (CNRS/Aix-Marseille Université)