Icône du cinéma international, ayant fait scandale avec La Grande bouffe, Andréa Ferréol confie "vivre très bien son confinement" dans sa maison d'Aix-en-Provence. Cela ne l'empêche pas de penser à son retour sur scène dans une comédie de boulevard jubilatoire et profonde.
Pas trop dur le confinement ?Je le vis de façon formidable, je suis en pleine forme. Ce sont des vacances actives avec mon jardin, mes appels quotidiens à des personnes âgées esseulées, mes démarches pour trouver des vivres pour des étudiants. Je donne aussi du tissu pour que la mairie fasse des masques. Sans oublier les apéros le soir (via visio-conférence) avec les amis !
Plusieurs stars réclament au ministre de la Culture des mesures pour répondre à la situation dégradée des intermittents du spectacle et, plus largement, de toute l'économie du spectacle. Vous partagez cette préoccupation ?Bien sûr, cela fait deux mois et demi que je ne travaille pas, alors que je devais notamment tourner dans une nouvelle série pour TF1. Les conséquences de cette pandémie vont être terribles et je suis solidaire des intermittents du spectacle. Je crains que des comédiens doivent changer de métier. Cela va être terrible.
Quel enseignement avez-vous tiré de cette période ?
J'ai appris la patience.
Et le jour d'après, comment le voyez-vous ?
Il va falloir garder des distances, je ne sortirai pas tout de suite de chez moi. Le virus ne sera pas parti le jour du déconfinement.
Vous avez été révélée au monde entier avec le scandale de La Grande bouffe, film très culotté de Marco Ferreri, en 1973. Regrettez-vous cette époque où tout semblait possible ?
C'était d'abord une époque où l'on avait la chance d'avoir des producteurs qui osaient. Jean-Pierre Rassam, producteur de La Grande bouffe, était un fou génial. C'est vrai aussi qu'aujourd'hui on ne peut plus rien dire. Il faut faire attention à tout. C'est ridicule. Il y a moins de libertés.
C'est-à-dire ? Le monde bouge, il faut bouger avec notre époque mais je trouve que l'on rétrograde. Ce qui est sûr, c'est qu'un film comme La Grande bouffe ou Le Dernier tango à Paris ne pourrait se faire en 2020. J'ai assisté il y a peu de temps à Cannes à une nouvelle projection de La Grande Bouffe. Les spectateurs étaient étonnés d'apprendre que le film avait fait un scandale. La projection les avait bien fait rire.
La parole s'est libérée à propos des scandales d'abus sexuels, en particulier dans le milieu artistique. Qu'en pensez-vous ?C'est très bien, il faut dénoncer les abus. Mais je suis favorable à ce que la dénonciation d'un pervers ait lieu le plus vite possible, pas 40 ans après, comme c'est le cas de certaines affaires. Je comprends aussi que cela soit dur de dénoncer un viol du jour au lendemain.
Vous même, avez-vous été victime de harcèlement sexuel, voire d'un viol ?Non... Je ne devais pas être assez belle (elle rigole). J'étais dodue, je ne suscitais par ce genre d'envie. Heureusement car cela doit être horrible.
"Omar Sharif, j'en étais folle amoureuse."
Mastroianni, Delon, Burt Lancaster, Belmondo,... : vous avez joué avec les plus grandes stars. Quelle a été le plus marquant ? Je tiens surtout à dire que les plus grandes stars sont à la fois très exigeantes sur elles-mêmes, tout en étant d'une grande modestie, d'une humilité remarquable. Par exemple, Marcello Mastroianni arrivait tôt sur le plateau, il se faisait maquiller... et attendait 4,5 heures avant de tourner ses scènes. Il patientait en buvant son café, tirant sur sa cigarette. Ugo Tognazzi faisait une sieste pour patienter. Toutes ces stars respectaient tout le monde sur un plateau.
Omar Sharif a-t-il été l'homme de votre vie ? J'étais fasciné par cet homme. J'en étais folle amoureuse. Il était très généreux. Au restaurant, il commandait pour tout le monde. Si tu n'avais pas faim, tu étais mal barré. Il choisissait pour tout le monde, il m'a fait découvrir les bons vins.
Comment vivez-vous avec tous ces disparus ayant peuplé votre vie ?
Ils sont vivants en moi. A Aix-en-Provence, j'ai un festival de théâtre, intitulé Flâneries d'art contemporain dans les jardins aixois. Il m'arrive souvent de regarder le ciel et de demander à mon père, Paulo, de tout faire pour qu'il ne pleuve pas pendant les représentations. Et à chaque fois, le public s'adresse à lui en scandant "Paulo" pour que la pluie ne tombe pas. Et ça marche !
Vous-même, quel rapport avez-vous avec la mort ?
J'aimerais savoir quand elle arrivera. Comme j'ai encore beaucoup de choses à faire, ce serait pratique de connaître cette issue. Si c'était le cas, j'arrêterais peut-être la scène ou le cinéma pour voyager, retourner en Italie. Mais bon, on ne sait jamais.
"Je ne regarde pas trop mes comptes."
Andréa Ferréol
Quelles sont vos envies artistiques ?Que l'on me propose des choses. Que l'on ait de l'imagination !
Vous préparez votre retour sur scène avec la pièce Très chère Mandy. Le théâtre de boulevard, c'est assez nouveau pour vous ?
Je suis surtout une femme de cinéma et de télévision : 120 films et presque autant de téléfilms. J'ai reçu dernièrement 4-5 pièces. Coup de flouze, s'est imposée à moi. Car elle est drôle... même s'il y a un moment très dramatique. J'incarne une star de cinéma très riche, qui dépense et finit par être ruinée... Avec Très chère Mandy, on rit bien sûr, mais on réfléchit aussi sur des thèmes comme la notoriété, l'image de l'artiste, le sens de la vie, etc. Photo : Compagnie Les enfants terribles.
Rien à voir avec votre vie personnelle ?
Le seul point commun, c'est le fait que je ne regarde pas trop mes comptes. C'est un proche qui s'en occupe. Je suis un peu comme mon personnage... mais je ne suis pas encore ruinée ! Mais la vie d'artiste a des hauts et des bas. On travaille par intermittence. On peut gagner beaucoup en quelques jours, mais cela ne dure pas toujours. Moi, je n'ai pas trop connu de creux dans ma carrière.
Le théâtre, est-ce une façon de rebondir ?
Peut-être, cela ne m'empêche pas d'avoir des projets au cinéma. J'ai la chance que l'on me demande encore car j'ai une carrière atypique : j'ai joué dans des films scandaleux, drôles, psychologiques, avec des réalisateurs très différents, de Peter Greenaway à Ferreri, en passant par Fassbinder... J'essaye de surprendre en permanence.
"La curiosité, cela empêche aussi de vieillir."
L'amour et la fidélité, c'est essentiel pour vous ?La fidélité. Je suis quelqu'un de très fidèle en amitié. C'est la base, la construction de ta vie, ton entourage. Quant à l'amour, c'est différent. Il peut y avoir une belle soirée qui passe, comme disait Musset.
La retraite ?
Il n'en est pas question. Tant que je peux m'exprimer, je n'ai pas envie de m'arrêter. Le travail, c'est la santé. Quand on se lève le matin avec un but, aller au théâtre, au bureau, dans une boutique ou ailleurs, c'est un gage de bonne santé. Si la tête va, la santé va. Combien de personnes à la retraite tombent malades quand ils ne sont plus dans la vie active ? Tout d'un coup, le manque d'objectifs fait que leur état de santé se détériore. Je ne néglige pas le fait qu'un pépin de santé peut arriver en pleine activité. On ne le sait jamais.
On ressent chez vous l'enthousiasme d'une fille de 15 ans. Quel est votre secret ? L'enthousiasme, la curiosité, cela maintient en vie, cela t'empêche de vieillir. Comme un enfant. Quand je suis dans une ville, j'ai toujours envie de découvrir les monuments, le patrimoine local... La curiosité, cela empêche aussi de vieillir.
Olivier Bohin
olivier.bohin@centrefrance.com
Une tournée de Très chère Mandy, avant des représentations parisiennes en 2021, est programmée à partir d'octobre, mais les dates restent à confirmer compte tenu de la crise sanitaire.