Ils sont nombreux à témoigner – majoritairement des hommes dans les médias – de leur déprime post-olympique : le skieur Nick Goepper et ses envies de suicide post médaille de bronze aux JO de 2014, Michael Phelps, athlète olympique le plus décoré ayant subi une grave dépression, plus récemment Nina Christen également dans ce vertige suite à ses médailles aux Jeux de Tokyo. Dans un documentaire diffusé en octobre dernier, Strong, Camille Lacourt (natation), Ysaora Thibus (escrime), Valentin Porte (handball) et Perrine Laffont (ski de bosses) évoquent leur démotivation et leur moment de dépression. Cette dernière raconte avoir surmonté ce mal-être, suite aux JO de 2018 en Corée du Sud, notamment grâce au soutien de sa préparatrice mentale, Cécilia Delage, qui a su trouver les ressorts pour qu’elle remonte à skis.
Les chiffres ne trompent pas, 24 % des sportifs britanniques ayant participé aux Olympiades déclarent ressentir une détresse psychologique élevée ou très élevée après les Jeux selon une étude réalisée en 2021 publiée dans le British Journal of Sport medecine. On parle ici de troubles du sommeil, d’une perte de repères, d’un sentiment de tristesse déroutant après tant de joie, d’une sensation d’« être mis dans une machine à laver » comme l’exprimait en octobre 2021 à Ouest-France la handballeuse Allison Pineau. Il y a aussi une nécessaire réadaptation à un autre rythme de vie, comme en témoigne Hélène Defrance, ex athlète de voile olympique, médaille de bronze à Rio en 2016 : « Arrêter d’aller à l’entraînement 10 h par jour, découvrir un monde professionnel si les Jeux signent la fin de sa carrière sportive… c’est surtout ça qui n’est pas facile et demande de s’adapter d’un coup ».
Ça grimpe et ça dégringole… La perte progressive du statut de célébrité, la magie du moment vécu qui s’estompe, la vie normale qui reprend sans une routine sportive drastique… ces changements provoquent ce que Meriem Salmi, psychologue anciennement à l’Insep, avait appelé le « post-blues olympique » dans les tribunes de Ouest-France en septembre 2021, des « épisodes dépressifs contextuels liés à un évènement », et pas une profonde dépression. Or, avant tout ça, le sportif n’y pense pas, tellement il est obnubilé par sa quête. Alors qu’il arrive à peine au sommet de cette montagne qu’il a mis des années, voire une vie, à grimper, l’athlète fait face à de nouveaux horizons, ce qui a de quoi démunir.
« Quand vous participez aux Jeux, c’est l’euphorie, mais forcément, à un moment, elle retombe. Comme pour revenir de vacances idylliques, c’est le retour à la réalité avec un coup de déprime. C’est normal car après les émotions les plus fortes, la suite est plus délicate. Mais cette déception s’anticipe », pose Anaëlle Malherbe, psychologue et préparatrice mentale auprès d’équipes de France (escrime, aviron, boxe, paracanoë…) au sein du pôle performance de l’Insep.
Bonjour psycho, ciao tableaux… « Ça ne s’évite pas, ça s’anticipe, précise la psychologue clinicienne Anaëlle Malherbe en détaillant sa stratégie d’accompagnement. En début d’année, nous avons déjà réalisé des 1ers ateliers en petit groupe avec des athlètes de différents sports pour évoquer l’après-JO. En amont, il faut déjà que l’athlète soit clair sur son ‘‘pourquoi’’. Ce n’est pas juste ‘‘faire les JO parce que j’ai toujours rêvé d’être champion ou championne’’, c’est plus profond que ça. Une fois qu’on est allé à la découverte de cette symbolique derrière la recherche de performance, cela permettra de mieux vivre les Jeux, d’être aligné par rapport à sa motivation intrinsèque. »
Il ne faut pas se tromper de combat : on parle ici plus de psychologie que de préparation mentale pure sur la performance, « pas sur le psychologique et l’inconscient mais bien sur la connaissance de soi, en lien avec son environnement. Car quand on connaît mieux son environnement, on sait mieux s’adapter », détaille l’experte de l’Insep.
Pour bien connaître son athlète, l’accompagnant intervient dans tous les champs de vie possibles, comme l’explique Cécilia Delage, psychologue clinicienne et psychologue du sport. Elle est demandée par des athlètes de sports d’hiver notamment (ski de bosses aux côtés de Perrine Laffont, biathlon, ski freestyle) mais aussi en plongeon.
« En tant que psychologue, on s’attache à ce que l’athlète soit bien sur l’aspect sportif mais aussi humain. On met de l’équilibre pour qu’il se sente bien et qu’il puisse aller chercher ses performances ». Pour ça, Cécilia travaille longtemps en amont. « J’anticipe souvent entre deux et trois ans avant l’échéance des Jeux. Souvent la dernière année, on est focus sur la préparation ».
Il faut dire que, pour certains, les JO conditionnent leur vie d’après. Les experts à leurs côtés doivent composer avec ça. « S’ils n’ont pas un minimum anticipé, ils risquent de se retrouver face à un vide. Ça ne veut pas dire qu’on va figer les choses, mais on réfléchit aux chemins possibles. On s’adapte nous aussi aux objectifs que l’athlète s’est fixé. Car le niveau d’implication, l’intensité et donc l’impact psychologique ne seront pas les mêmes si c’est la dernière fois qu’il peut participer aux Jeux, s’il veut chercher à tout prix une médaille ou s’il veut faire le meilleur résultat possible en faisant d’autres olympiades derrière. Néanmoins, quel que soit l’objectif, il y a quasi systématiquement un phénomène de ‘‘blues olympique’’. »
Les experts le savent bien, ce temps difficile est presque incontournable. C’est un évènement quadriennal, ça crée de l’attente, explique la psychologue Cécilia Delage : « L’athlète se prépare comme un fou durant quatre ans avec l’espoir de réussir, et quelques mois après, c’est l’épuisement, le relâchement. Quand il n’a pas de médaille, l’effondrement arrive parfois plus vite. La sollicitation des médias et du public s’arrête nette. Les questions tournent en boucle dans son esprit et un temps de deuil doit se faire avant de pouvoir repenser à la suite. Mais cette période – dont la durée d’un mois, trois mois, un an ou plus varie selon chacun – , est essentiel pour rebondir, assimiler, mieux comprendre. C’est le temps adaptatif. »
Pour ce faire, Cécilia Delage observe le temps de « deuil » nécessaire à chaque athlète. « Certains veulent en parler tout de suite, d’autres ont besoin de recul pour comprendre ce qu’ils vivent. Je me charge de rester vigilante sur leur santé mentale durant les semaines qui suivent avant d’intervenir ».
« L’erreur chez un athlète peut être de se limiter à la facette d’athlète de haut niveau, en oubliant tout l’équilibre autour – vie sociale, familiale… Si vous vous êtes construit par rapport à une médaille et que vous ne l’avez pas, si vous avez mis tous vos oeufs dans le même panier, le risque est de s’identifier à son résultat. C’est pourquoi on travaille sur les différentes identités, de sportif, mais aussi de femme, de compagne de… », détaille Anaëlle Malherbe.
Cela est d’autant plus difficile dans les sports très médiatisés, d’après Meriem Salmi, toujours pour Ouest France, où toute la vie du sportif est tournée vers ça, notamment dans le football ou le tennis. Ce déclic arrivera souvent plus facilement chez les sportifs dont le sport impose déjà de travailler à côté par exemple : « Ces sportifs-là sont plus présents dans le tissu social classique. Ils disposent d’un ensemble de ressources qui rendent le rapport au succès moins violent », a-t-elle déclaré au journaliste Clément Commolet.
C’est plus facile quand on anticipe, longtemps à l’avance. Ce qu’a fait Hélène Defrance, puisque plusieurs années avant ses derniers JO en 2016, elle s’était formée à la diététique sportive : « En 2013 déjà, je commençais à travailler. Je savais que la préparation de Rio signerait probablement la fin de ma carrière. En plus j’ai été médaillée, c’était pour moi l’aboutissement de ma carrière et m’a permis de passer à autre chose ».
Pour éviter une rupture trop brutale, Anaëlle Malherbe tâche d’opérer une continuité entre la fin des Jeux et l’après. Elle reste disponible quoi que l’athlète décide. Mais avant ça, la psy préconise une période incontournable de repos post-JO, même pour ceux qui feront le choix d’arrêter définitivement. Perrine Laffont a déclaré faire une pause et avoir besoin de « fraîcheur » pour se préparer aux Championnats du monde de 2025 et aux JO de 2026. C’est rare de voir un sportif l’admettre, et ça paraît sain.
« La vie d’un athlète tourne autour de sa casquette de sportif, déplore Cécilia Delage qui suit notamment la skieuse. Il faut être en capacité de se recentrer sur soi, de pouvoir vivre autre chose qu’à travers le sport uniquement. C’est salutaire pour faire à nouveau émerger l’envie, le désir de rechausser ses skis, ces sensations simples de sentir la puissance de la balle qui frappe sa raquette… sans les obligations de réussite, juste les sensations. »
C’est d’ailleurs ce manque de repos dont avait souffert Émilie Andéol, lorsqu’elle est devenue championne olympique de judo. Elle avait déclaré avoir dû reprendre rapidement, ce qui était contraire à son souhait de s’accorder six mois de repos, comme elle l’a raconté à Alain Goujon en juillet 2021 dans les colonnes de Sud-Ouest : « Je me suis rendu compte que je n’étais plus Émilie Andéol mais juste la championne olympique. C’était un manque de respect ».
C’est pourquoi elle décide plus tard de couper durant un an pour revenir au judo plaisir et se rapprocher de sa famille. C’est ainsi que le staff qui entoure les athlètes s’efforce à leur rappeler que non, récupérer n’est pas une perte de temps, loin de là.
Chose qu’aurait aimé faire aussi Hélène Defrance : « J’aurais adoré être accompagnée par quelqu’un qui m’aurait prévenu en amont : ‘‘Tu passes une vraie transition de ta vie. Ça fait 20 ans que tu te prépares pour ton sport et maintenant tu vas entamer ta carrière pro’’. Je ne me suis pas reposée après les Jeux. J’ai tout de suite voulu travailler. Je n’ai pas déprimé car j’étais déjà mobilisée par mon projet pro, mais j’étais épuisée. Médaillée en août, je déménageais en octobre pour une proposition de travail. Je n’avais aucune notion de comment mener ma carrière pro. J’ai perdu du temps, de l’énergie. Si c’était à refaire, je me poserais un an, réfléchirais à comment construire la suite. J’aurais dû ralentir. »
« Les notes à l’école, les résultats en entreprise… nous sommes dans une société qui focalise sur la performance, ce qui génère de la souffrance. En haut niveau, cette perception est poussée quelques crans au-dessus. Or, vous identifier à votre résultat vous coupe de vous-même », analyse Anaëlle Malherbe. L’experte a connu ceux qui, après Tokyo, ont eu un bébé, sont devenus entraîneurs, ou ont fait d’autres projets car ils ont pu rebondir. Pour ça, ils ont mis en pratique leurs qualités d’athlètes de haut niveau d’après elle.
C’est aussi ça un bon sportif, celui qui apprend à rebondir ? « Dans le métier, il n’y a pas que des victoires. Certaines compétitions sont assimilées à des échecs pour le sportif. Le sport, qui plus est d’élite, vous apprend à rebondir vite, vous êtes obligé de trouver des ressources pour avancer, pour apprendre à mieux revenir, précise Cécilia Delage. Cet apprentissage se fait tout au long de la carrière du sportif. On le rencontre à tous niveaux, c’est pourquoi le sport est porteur de valeurs, ce qui est décuplé quand on le travaille intensément ».
« J’ai grandi avec le volley assis, j’y resterai ! »
La volleyeuse Lynda Medjaheri fait partie des présélectionnées aux Jeux Paralympiques de Paris pour le volley assis. Elle qui n’a « jamais été très sportive de base mais a toujours bougé » a découvert la discipline à la trentaine bien entamée, en 2019, un an après son amputation de la jambe gauche. Alors pour elle, aucune appréhension de l’après JO. S’ils se confirment : c’est que du bonus !
« J’ai réalisé ce qu’il se passait lorsqu’on est entré en équipe de France. ‘‘Oh réveille-toi, c’est toi qui va y aller, il n’y a personne au-dessus !’’ ; ça procure un gros caillou dans le ventre. Mais ça va être kiffant, exceptionnel, grandiose. La compétition et ce qui se passera autour sera énorme, même si je reste les pieds sur terre.
Surtout, je souhaite que ce moment participe à faire connaître davantage le volley assis. Non ! ce n’est pas du volley en fauteuil ! C’est mixte, on a besoin de rien, c’est tellement inclusif ! Je n’ai pas peur de la redescente derrière car je n’ai pas changé depuis mon accident (en 2014, suite à un accident de moto, Lynda perd l’usage de sa jambe gauche, NDLR), je suis une battante.
Quand on me dit ‘‘Tu ne feras pas’’, je pense tout le contraire. Puis on n’a pas le même caractère à notre âge. À 40 ans, on a eu nos accidents, notre famille. Quelque part, j’ai changé aussi : je suis persuadée qu’on peut toujours se dépasser physiquement, même si on n’a plus 20 ans !
Après les Jeux, j’aurai plus de temps : je veux entraîner les gens, pousser les personnes handicapées à sortir de chez elles, à ne pas se cacher derrière leur handicap ! Quoi qu’il arrive, où que ce soit, je continuerai le volley assis, le plus longtemps possible. Ici, c’est un bout de ma famille. »