Célèbre pour l’autoportrait qu’elle réalise dans la baignoire d’Hitler le jour même de son suicide, la photographe américaine Lee Miller fait sans doute partie des figures féminines les plus surprenantes du XXᵉ siècle. D’abord égérie surréaliste et mannequin dans les années 1930, elle passe rapidement de l’autre côté de l’objectif et devient l’une des premières grandes correspondantes de guerre. Présente lors de la découverte des camps de concentration de Buchenwald et de Dachau, elle révèle pour la première fois en images l’horreur de la Shoah et continue de photographier la dévastation de l’Europe jusqu’en 1946. Traumatisée, Lee Miller restera profondément germanophobe jusqu’à sa mort en 1977.
Il faut donc une certaine audace pour réduire une personnalité et une histoire aussi complexes à une représentation dénuée de profondeur. Et pour sa première apparition au cinéma, on aurait espéré mieux pour Lee Miller qu’un scénario qui s’obstine à croire qu’il suffit de la montrer buvant et fumant à chaque plan pour lui conférer du caractère. On salue par ailleurs le courage de Kate Winslet, qui tente, sans succès, de donner un peu de substance à une série de clichés, tels que : “Je suis née déterminée” ou encore “Seule une femme pouvait prendre ces photos”.
En couple avec l’artiste surréaliste Roland Penrose, avec qui elle finit par se marier, Lee Miller entretient parallèlement une liaison avec son équipier David Sherman, photographe du magazine Life, formant ainsi une sorte de ménage à trois. Un matériau scénaristique riche que le film s’applique pourtant à occulter soigneusement, tout en accordant une place disproportionnée à Sherman (interprété par Andy Samberg). Sous la direction d’Ellen Kuras, Lee Miller reste la femme d’un seul homme, qui finit toujours par retourner chez elle pour éplucher des patates entre deux batailles. Effrontée et moderne, oui, mais infidèle ? Sûrement pas ! Jusqu’ici, Lee Miller est simplement un biopic décevant, et on en serait resté là si la maladresse du film ne devenait pas véritablement problématique dans sa seconde partie.
ll y a d’abord ce refus de hiérarchiser les faits historiques, en mettant tout sur le même plan dans le “panier des horreurs de la guerre”, avec une succession d’images d’enfants allemands affamés, de suicides au cyanure des familles nazies, et d’ouverture de camps. Mais le film frôle l’indécence lorsqu’il retarde, à coups de violons et avec un horrible suspense, le contrechamp de ce que voit Lee Miller lorsqu’elle découvre les corps entassés des victimes à Dachau, balayant d’un revers de main toutes les réflexions sur l’esthétisation et la fictionnalisation d’événements historiques d’une telle ampleur.
Avec un casting impressionnant (Josh O’Connor, Alexander Skarsgård, Marion Cotillard, Noémie Merlant, entre autres), le film réussit l’exploit triple de rendre médiocres de bon·nes acteur·ices, de nous ennuyer avec un sujet aussi riche, et enfin de passer complètement à côté de son thème principal, à savoir la photographie de guerre, jamais vraiment interrogée et reléguée au rang de simple activité.
Lee Miller par Ellen Kuras avec Kate Winslet, Andy Samberg. En salle le 9 octobre