La 56e édition du Festival d’été de Québec (FEQ), qui a eu lieu du 4 au 14 juillet, a vécu une grande première. Le lundi 8 juillet, Alexandra Stréliski, compositrice et pianiste montréalaise de néo-classique, a donné le tout premier concert instrumental de l’histoire du FEQ sur la scène Bell, sa principale. Comment captiver pendant une heure et demie les dizaines de milliers de personnes qui s’agglutinaient au creux de ces mythiques plaines d’Abraham et qui ne s’étaient pas encore remises du passage de 50 Cent pendant le week-end d’ouverture ?
Qu’à cela ne tienne, la musicienne n’a pas eu froid aux yeux et a allumé sans demi-mesure le public avec ses airs de vraie rockstar. “Y a limite un côté punk à jouer de l’instrumental aux plaines d’Abraham”, confiait ainsi Alexandra Stréliski, croisée dans la zone artistes le matin du spectacle. En sirotant son café glacé – une vraie nécessité dans la moiteur suffocante québécoise –, elle souhaitait pour son “plus gros concert à vie”, accompagnée d’une vingtaine de musiciens, revisiter ses trois albums (Pianoscope, Inscape et Néo-romance) de façon à “être intimes en grand”.
Ce soir-là, la force du nombre lui a donné raison à elle, mais aussi au FEQ d’avoir misé sur l’artiste pour une tête d’affiche. Alexandra Stréliski a enchaîné ses tubes (Burnout Fugue, Lumières, The First Kiss ou encore Dans les bois), aussi contemplatifs et introspectifs soient-ils, et exaucé ses rêves les plus inimaginables pour une musicienne classique en s’adonnant à du bodysurfing ou en ayant une demande bien spéciale pour la foule, dans une atmosphère déjà surréelle : “Est-ce que ça vous tente de me faire vivre le moment où tout le monde allume son petit briquet ?” Voir les minuscules lumières s’étendre à perte de vue pour l’enfant du pays était à la fois électrisant et bouleversant.
Le concert a également été marqué par une pluie d’hommages. À la grand-mère d’Alexandra Stréliski, récemment disparue, que la musicienne a honoré en interprétant sa chanson préférée, Le Départ, d’abord. Mais aussi au très regretté, et encore adulé, auteur-compositeur-interprète local Karim Ouellet par sa sœur, la rappeuse Sarahmée, invitée par la pianiste à se joindre à elle sur scène un instant. Une ovation de plus, et beaucoup d’yeux humides…
“Il y a un rêve que je ne peux pas réaliser, c’est de faire chanter les gens”, a ajouté Alexandra Stréliski, avant de finalement reprendre au piano Les Étoiles filantes, des Cowboys Fringants, qui ont perdu leur chanteur, Karl Tremblay, en novembre dernier. Face à une telle émotion, encore bien vive malgré le temps qui a passé, les spectateur·rices n’ont pas semblé arriver à prononcer les paroles de ce morceau pourtant connu de tous les Québécois·es, seulement à en fredonner la mélodie dans un élan de tendresse et de pudeur. “Vous êtes le plus beau public de l’univers”, s’est-elle émerveillée.
À remonter le temps légèrement, cette fameuse soirée avait magnifiquement commencé avec la performance de Beyries, suivie de celle d’Elisapie. Cette dernière a notamment offert au public plusieurs chansons de son album Inuktitut, dans lequel l’autrice-compositrice-interprète et réalisatrice inuk du Québec reprend d’immenses succès en les traduisant dans sa langue autochtone, l’inuktitut.
Les derniers rayons du soleil ont conféré une aura éclatante à une Elisapie qui a rendu hommage à son cousin suicidé avec Qimatsilunga (soit I Want to Break Free de Queen) et a revisité en acoustique Wish You Were Here, de Pink Floyd, dans Qaisimalaurittuq.
Le lendemain, le ciel se fait plus hostile, jusqu’à mettre à exécution la menace de sa sombreur. Le verdict tombe en début de soirée : tous les concerts sont annulés pour cause de chaleur, d’orage et de pluies diluviennes qui finissent par s’abattre sur la ville de Québec aux alentours de 21 heures. Tant pis pour celles et ceux qui attendaient impatiemment de voir Nas, TOBi ou Fleet Foxes live. Une autre fois, peut-être.
Une question brûlait toutefois les lèvres des festivalier·ères : qu’en était-il du spectacle tant espéré de Karkwa ? Il sera maintenu à 22 heures, mais pour tous·tes et gratuitement, finalement. Si les fans du groupe ont la réputation d’être des inconditionnel·les, peu ont malheureusement bravé l’humidité ambiante pour applaudir leurs chouchous. Sur le chemin menant aux plaines d’Abraham ce soir-là, force était de constater que le site du FEQ était désert…
“Quelles drôles de montagnes russes ont été les dernières heures”, a avoué le chanteur, Louis-Jean Cormier, au début du spectacle. Et de poursuivre : “Attache ta tuque les plaines, on décolle pour vrai !” Les quelques irréductibles de l’assemblée n’ont eu que faire des aléas climatiques et étaient près à taper du pied avec enthousiasme au rythme de Dans la seconde, Marie tu pleures, Les Chemins de verre, etc., au gré des apparitions sur scène de Klô Pelgag, Talk et des Hay Babies.
Après quelques comparaisons entre Karkwa et le vin (“Québec, tu as le plus grand millésimé que Karkwa aura jamais été capable d’offrir”), Louis-Jean Cormier a prévenu son public : “T’es probablement en train de voir le dernier concert de Karkwa aux plaines à vie.” Les tristes circonstances de la soirée n’ont donc rendu l’événement que plus délectable et mémorable.
Si les concerts sur les plaines d’Abraham sont sans aucun doute les incontournables du FEQ, des trésors cachés parsemèrent aussi la dizaine de jours de la manifestation. Le dimanche 7 juillet, par exemple, le Malien Vieux Farka Touré a fait de la Scène Hydro-Québec une grande party familiale, tandis que Helena Deland, Québécoise d’adoption, a enchanté son public à la tombée de la nuit avec des titres de ses deux disques, Someone New et Goodnight Summerland. “Je suis contente d’être là, car j’ai plein de souvenirs ici”, a-t-elle raconté. Et nous aussi.