Le modèle d’élevage extensif du Massif central est porté par des races bovines qui sont le fruit de décennies de sélection. Cette qualité génétique est-elle un gage de pérennité ?
Il faudrait s’interroger sur la forte spécialisation de nos systèmes de production agricole, avec notamment des races très spécialisées. Le nombre de vaches allaitantes a énormément augmenté en France depuis quarante ans, au moment où se sont mis en place les quotas laitiers. Un troupeau spécialisé viande s’est développé sur toute la zone grand Massif central, ainsi que dans les pays de Loire et dans le Grand Est. Ce n’est peut-être pas le modèle le plus durable. Ce sont des élevages qui ne sont pas très rentables. Beaucoup d’éleveurs ont abandonné la vache laitière en raison des contraintes et des conditions de travail. Je pense qu’on est peut-être allé trop loin dans le modèle de la spécialisation “viande”. Pour les bovins, on a des races mixtes comme la montbéliarde, la normande, la simmental qui vont produire et du lait et de la viande. On a l’exemple dans le Massif central de l’AOP laguiole qui a choisi la race simmental, une vache mixte, qui produit aussi beaucoup de viande. Ce sont des pistes qui bousculent beaucoup les filières.
Le pâturage, c’est vertueux mais les émissions de méthane des bovins font l’objet de critiques. Peut-on les réduire ?
Il faut noter que si une vache produit à la fois du lait et de la viande, sa production de méthane est en quelque sorte diluée sur les deux productions. Quand la Cour des comptes reprend l’idée qu’il faut réduire de 50 % le nombre de vaches pour réduire de moitié les émissions de méthane, c’est un raisonnement simpliste, car si on réduit moitié la production et que les gens continuent à manger dans les mêmes proportions, on importera et le bilan global ne sera pas meilleur. Et on perdra d’autres apports positifs. Si on veut garder des ruminants à l’herbe, c’est qu’on veut garder des prairies. Il y a plein de « services » environnementaux procurés par l’élevage herbivore. Pour diminuer les émissions de méthane, il y a le levier génétique en sélectionnant des animaux sur ce critère. Ça peut permettre de réduire les émissions d’1 % par an. Ce qui paraît peu mais sur vingt ans ça fait 20 %.
Ensuite il y a le levier de l’alimentation. C’est ambivalent. Si on leur donne plus de concentré, les vaches émettront moins de méthane, mais c’est contradictoire avec l’ambition de valoriser les fourrages. On peut aussi donner de l’herbe plus jeune, de très bonne qualité, ce qui permettra de produire moins de méthane par kilo de lait ou de viande. Il existe aussi des additifs alimentaires qui modifient le fonctionnement des fermentations animales mais cela pose une question sociétale. Il y a, enfin, les leviers de gestion du troupeau. L’idée c’est d’avoir moins d’animaux improductifs. Les vêlages précoces peuvent y participer. On peut faire fait vêler une vache plus jeune et la conserver huit ans au lieu de cinq ans. Plus on renouvelle rapidement le troupeau, plus on a d’animaux en croissance qui ne sont pas encore productifs. Si on cumule tous ces leviers, et s’ils se combinent bien, on peut espérer réduire de 20 à 30 % les émissions de méthane.
Les éleveurs de bovins-viande ne sont-ils pas encore trop dépendants de l’exportation de broutards ?
Le système de maigre avec des animaux qui sont engraissés en Italie, ça fait quarante ans qu’il fonctionne et ça fait vingt ans qu’on dit qu’il va s’arrêter. Cela dit, on pourrait engraisser plus d’animaux en France pour mieux valoriser l’herbe et développer à nouveau des systèmes mixtes. On a un problème, avec la charolaise, la limousine ou la salers : ce sont des animaux qui s’engraissent lentement. Si on veut les engraisser à l’herbe, c’est long ce sont des animaux tardifs, donc c’est difficilement rentable. On a fait des expérimentations à l’Inrae sur des croisements avec une race précoce telle que l’angus. On peut obtenir des animaux un peu moins lourds et qui s’engraisseront plus vite, notamment à l’herbe. Il y a plein de leviers, il faut accepter l’idée qu’il faut faire bouger les systèmes. Les freins sont souvent plus socio-économiques que techniques.
Renseignements au 06.80.17.04.11.
Julien Rapegno