Depuis les attaques terroristes du 7 octobre perpétrées par le Hamas, le conflit israélo-palestinien n’en finit pas d’occuper le devant de l’actualité. Cette lugubre succession d’aujourd’hui, de présents à la fois dilatés et contractés, enlève à ce conflit son épaisseur historique au risque, avéré, de creuser un peu plus la tranchée séparant les tenants de l’un et l’autre camps.C’est dans ce temps long, pourtant, que se nichent les causes du conflit et, donc, les solutions quand bien même l’offensive de Tsahal s’est-elle, depuis la bande de Gaza, étendue au Liban voire au Yémen.Car si l’actualité se repaît des guerres et des tensions, le temps long dit aussi la paix possible. « Du XVIe au XIXe siècle, la Palestine a été le foyer d’une coexistence harmonieuse entre les différentes communautés, rappelle ainsi Vincent Lemire, professeur en histoire contemporaine à l’université Paris-Est/Gustave Eiffel. Jérusalem était même dirigée par une municipalité mixte de 1863 à 1934, partagée entre chrétiens, musulmans et juifs. Le conflit n’est vieux que d’un siècle. Pendant 2.000 ans, jusqu’à la fin du XIXe siècle, la Palestine a appartenu à plusieurs empires. Jérusalem n’était alors qu’une ville de province parmi d’autres. »
Vain mandat britannique« Or, poursuit le chercheur, un empire n’est pas un royaume. Le premier rassemble des peuples et des communautés qu’il s’ingénie en dépit de leurs différences à faire vivre ensemble. À rebours de cette hétérogénéité constitutive, le second se veut plus homogène. A la fin du XIXe siècle, les empires, austro-hongrois, russe et ottoman se sont effondrés. Les États-nations se sont multipliés avec des difficultés d’autant plus grandes que les régions, à l’exemple des Balkans, étaient hétérogènes. »En Palestine, les deux guerres mondiales ont battu, puis rebattu les cartes : « Dépêchée par la SDN (Société des Nations) créée à l’issue de la Première Guerre mondiale, la Grande-Bretagne a ensuite rendu son mandat à l’ONU (Organisation des Nations unies) qui lui a succédé à la fin de la Seconde Guerre mondiale. Puis, alors que l’idée d’un État binational aménageant une cohabitation entre juifs et Arabes faisait aussi l’objet des réflexions de la communauté internationale, seul, finalement, le plan de partage de la Palestine entre un État juif et un État arabe a été soumis au vote de l’ONU du 29 novembre 1947. »On en connaît les conséquences. Mais à chaque guerre, à chaque négociation, l’histoire aurait pu prendre un autre chemin.
« Il y a trois semaines, reprend l’historien, Benjamin Netanhayu, le Premier ministre israélien, aurait pu accepter un cessez-le-feu à Gaza actant la libération des otages, la prise en charge sanitaire de la population civile de Gaza et la sécurisation de la frontière nord de l’État hébreu. Il a d’ailleurs fait semblant de l’accepter auprès de son allié américain avant de le rejeter. Ses déboires judiciaires qui reprendront sitôt la guerre terminée nourrissent son opportunisme mortifère tout autant que la proximité des élections américaines. Car, aux États-Unis, seul l’électorat démocrate est divisé sur la guerre que mène Israël. L’électorat républicain est, lui, tout entier ou presque derrière Benjamin Netanhayu. »
Culpabilité occidentale« La Seconde Guerre mondiale, rembobine Vincent Lemire, a véritablement été un tournant. L’extermination de six millions d’entre eux a tragiquement confirmé l’intuition de Théodore Herzl sur la nécessité d’un État-refuge pour les Juifs du monde entier menacés par l’antisémitisme. La culpabilité de l’Europe occidentale et des États-Unis a également accéléré le processus. »Sitôt proclamé, le 14 mai 1948, sitôt en guerre, l’État hébreu n’en finit pas de repousser et ses ennemis et ses frontières. Conflit après conflit, le sentiment d’abandon s’est peu à peu imposé chez les Palestiniens.
« Les mots ont un sens, observe l’historien. Ainsi est-on passé d’un “conflit israélo-arabe” à un “conflit israélo-palestinien”. Les Palestiniens, dès les années 1970-1980, ont commencé à s’organiser seuls. La première intifada (guerre des pierres), en 1987, a confirmé qu’ils ne pouvaient plus guère que compter sur eux-mêmes. Les accords d’Abraham, en 2020, qui normalisent les rapports diplomatiques entre Israël et les Émirats arabes et le Bahreïn, ont levé les derniers doutes sur l’absence de solidarité réelle des États arabes… Quant aux proxis de l’Iran - Hamas à Gaza, Hezbollah au Liban, rebelles Houthis au Yémen – ils ne servent qu’à protéger les intérêts de l’Iran et non l’inverse. Le régime de Téhéran ne pense qu’à sa survie et à la réalisation de son programme nucléaire militaire. »
Retour du religieux« Le 7 octobre, poursuit l’historien, a changé beaucoup de choses, mais pas les équilibres démographiques entre juifs et Arabes, de l’ordre de 7 millions chacuns en Palestine. Et les 800.000 colons juifs sont toujours là, en Cisjordanie et à Jérusalem-Est. Le radicalisme religieux travaille la société israélienne comme la société palestinienne. Car si la première phase de construction de l’État hébreu a été initiée par les travaillistes, la gauche israélienne, les religieux sont désormais au pouvoir. Ce terreau religieux a toujours été présent. On l’oublie souvent mais, porté par des protestants et des évangélistes américains, une idéologie proto-sioniste a précédé le manifeste de Théodore Herzl publié en 1896. Bref, mis sous le boisseau par l’OLP (Organisation de libération de la Palestine), créé en 1964, ou par les pionniers de la construction d’Israël, le religieux a depuis ressurgi sous différentes formes. »
Quand la révolution fait sa révolution
Et la géographie a partie liée avec l’histoire. « L’étroitesse du territoire entre Méditerranée et Jourdain, conclut Vincent Lemire, est de nature à produire des effets de frottement qui poussent les populations soient au dialogue soit à la guerre. L’histoire nous révèle que les deux sont possibles… »
Jérôme Pilleyre
Lire. Thomas Snégaroff et Vincent Lemire, Israël/Palestine. Anatomie d’un conflit, Éditions les Arènes, 2024, 17 € ; Vincent Lemire et Christophe Gaulthier, Histoire de Jérusalem, Les Arènes BD, 2022, 27 €.