Il sait à peu près tout faire. Et il n’a jamais arrêté. Biberonné au rock et au blues anglo-saxon, Louis Bertignac déroule, depuis la deuxième moitié des années 70, une carrière impeccable. D’abord un groupe culte, Téléphone, et des valises de tubes intemporels. Puis l’aventure avec les Visiteurs, avant de tracer sa route en solo.
Aujourd’hui, à 70 ans, il marche dans les pas de ses idoles quasi-immortelles, les Rolling Stones. Il continue de composer, d’écrire, de chanter, de jouer, avec un bonheur absolument intact. La preuve, avec la sortie de son dernier opus, Dans le film de ma vie. La preuve, aussi, avec cette tournée qui guidera ses pas jusqu’à l’Opéra de Vichy, vendredi 11 octobre. Histoire de partager son bonheur avec le public, justement. Entretien avec un artiste majuscule. Et un homme heureux.
Vous allez jouer à l’Opéra de Vichy à guichets fermés. Êtes-vous familier de ce genre de salle ?
"Il paraît que c’est un endroit fabuleux. C’est toujours un plus, j’ai hâte d’y être et de voir ça, j’espère que les gens vont se lever dès le premier morceau, et qu’ils vont rester debout jusqu’à la fin."
Avant d’entrer dans votre dernier album, on note déjà la pochette, avec votre visage coupé en deux, moitié jeune et moitié… plus âgé. Seriez-vous un peu nostalgique ?
(Rires) "Oui, il y a de ça, c’est vrai, je trouve que c’est important de dire merci au jeune Louis Bertignac, qui a choisi ce chemin, qui n’a pas voulu prendre la voie qui était écrite, et qui a voulu faire ce qu’il aimait. Quand même, je lui dois beaucoup, à ce petit-là. Grâce à lui, j’ai une vie “semée de fleurs”, comme je le dis dans une chanson. Je me régale, j’ai 70 ans, je n’ai aucun regret, je ne regrette pas une minute de cette vie. Et si c’était à refaire, je signerais tout de suite pour exactement la même."
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Le petit Bertignac, il serait fier de vous, aujourd’hui ?
"J’espère ! Ouais, quand même, ce serait la moindre des choses. J’ai fait ce qu’il rêvait de faire. Et puis je n’ai pas été salaud, je n’ai pas été méchant, j’ai fait au mieux."
Ce qui transparaît aussi dans le disque, c’est cette envie de bonheurs simples, de prendre la vie comme elle vient…
"Ouais, bien sûr. Mais j’ai compris un truc, c’est que j’ai une vie géniale, je ne vais pas courir pour avoir une vie encore plus géniale. Elle me convient à 100 %. Si je ne me contente pas de ce que j’ai là, c’est que je suis complètement cinglé, que j’ai un problème psychologique (rires)."
Vous n’avez aucun regret ?
"Je prends tout. J’ai choisi de lâcher médecine pour faire de la musique, c’est très bien. À un moment, j'ai choisi d’arrêter Téléphone parce que ça ne me convenait plus, c’est très bien. Non, tout va très bien, j’ai du bol quand même, je ne vais pas cracher dans la soupe, c’est une très bonne soupe !"
Pour revenir à la musique, vous proposez dans cet album ce que vous faites depuis toujours, du rock et du blues. C’est la bande-son de votre vie ?
"Oui, c’est ce que j’ai toujours aimé. Déjà, quand j’étais tout petit, mon père écoutait Ray Charles, et j’ai complètement craqué pour lui, sa voix, ses chansons. Plus tard, j’ai découvert les Beatles, les Stones, c’est ça que j’ai toujours aimé. Je ne vois pas pourquoi je m’emmerderais à faire des trucs que j’aime moins. Donc c’est ça que je fais, et depuis le temps, je sais le faire. Et c’est un vrai plaisir, parce que quand je monte sur scène, je suis entouré de gens qui aiment ça. Les mecs avec qui je joue, ils sont à tomber par terre, je me régale à chaque fois."
Vous proposerez encore, comme à vos débuts en solo, des reprises des standards, justement ?
" Moins qu’avant. Parce que grâce au dernier album, j’ai beaucoup de morceaux que j’aime jouer. Avant, j'avais un déficit de morceaux qui me plaisaient, et aujourd’hui plus trop, alors j’aime autant jouer mes chansons.Alors autant faire plaisir aux gens qui sont là. Longtemps, on m’a reproché de faire trop de reprises, alors là, je fais mes chansons (rires)."
On sent un bonheur intact, à l'idée de monter sur scène...
« Oui ! Mais c’est quand même une question de musiciens. Pendant longtemps, il y avait toujours un truc qui ne me plaisait pas, je me retournais vers le batteur, je lui disais “fais plutôt ci, fais plutôt ça”, et là c’est vraiment que du bonheur. C’est plus facile. C’est vrai que j’aime monter sur scène, parce que c’est une sorte de médicament pour moi. J’ai l’impression que ça me garde jeune et en bonne santé. Dès qu’il y a quelque chose qui ne va pas, je peux avoir mal à un genou, après le concert, je n’ai plus mal du tout. C’est vraiment un super médicament, autant pour la tête que pour le corps. »
C’est pour ça que vous faites des disques, c’est pour monter sur scène ?
"Ouais, bien sûr. Les disques en eux-mêmes ne me servent pas trop, je ne les aime plus. Je ne les réécoute jamais, ça ne m’intéresse pas, je préfère écouter les Stones ou Oasis, ou n’importe quel groupe, ça me plaît davantage. J’ai l’impression que je suis au bureau, quand je m’entends (rires). »
Vous allez sûrement durer autant que les Rolling Stones, vous aussi ! Ça vous plaît, cette génération qui résiste, plusieurs décennies plus tard ?
"Le dernier album des Stones, c’est un bonheur. Bien sûr, ça donne envie de continuer. Bon, quand je réécoute Lennon et les Beatles, ça me fait regretter qu’ils ne soient plus là, ils auraient été exceptionnels…"
Alors Bertignac sur scène, avec ce groupe fantastique, ça va donner quoi sur scène ?
"Alors en gros, d’abord, c'est le dernier album, ensuite de l’ancien Bertignac, et en général ça finit par Téléphone."
Ça reste malgré tout une figure imposée, Téléphone ?
"Disons que ça fait monter l’ambiance un peu plus (rires)."
Pour rester sur Téléphone l’aventure Insus a été incroyable, c’était juste une parenthèse ? Une seule ?
"Oui, on l’avait dit, ça n’était pas la reformation de Téléphone. On n’avait pas dit au revoir, on voulait le faire bien. Malheureusement, ou heureusement, je ne sais pas, il n’y avait pas Corinne (Marienneau, la bassiste de Téléphone, ndlr) dans l’histoire… Mais c’était bien de le faire."
Que c’est ce que rêveriez de faire, que vous n’avez pas encore fait ?
"Pas grand-chose, parce que ce j’aime le plus, c’est faire du rock. J’ai une famille très agréable, des enfants que j’adore. Je suis assez comblé."
Vous ne vous sentez pas trop d’un autre monde dans ce paysage actuel, notamment francophone ?
" Un peu, bien sûr. Mais déjà, c’est une très belle chanson, Un autre monde (rires). Moi ça me va, c’est la vie. Quand je monte sur scène, les salles sont pleines et les gens s’éclatent, je n’en demande pas plus. Effectivement, si j’écoute la radio, il n’y a pas grand-chose qui me passionne. Mais grâce à internet, maintenant, je peux écouter des radios du Texas, de New York, et là j’entends des trucs qui me plaisent toujours. »
Propos recueillis par Matthieu Perrinaud
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