Août 2023. C’est l’été à Murat et la gendarmerie est en ébullition : 35 vols dans des voitures et des commerces ont été recensés en à peine quinze jours dans un secteur ordinairement calme. À chaque fois, il n’y a que de l’argent liquide qui disparaît, de la monnaie et des cigarettes. Cela fait désordre.
Tous les matins, au bar-tabac, un homme vient prendre le café. Il est sympathique, parle un peu français avec un accent italien. Ce ressortissant roumain détonne dans la cité médiévale et à Neussargues où il fait la même chose. Tous les matins, il achète des jeux à gratter.
Cela dure depuis la fin du mois de juillet. L’homme vient et prend également le journal. Il peut rester là plus d’une heure, dépenser près de 300 € en petites pièces pour son addiction aux jeux. À Murat, le patron lui paye parfois son café.
Dans une cabane au fond d'un boisEn civil, les militaires le surveillent. Pour les vols, ils n’ont pas d’indice, sinon une silhouette d’environ 1,70 mètre, une démarche « chaloupée » et des baskets colorées qui apparaissent sur les rares vidéos qu’ils ont des méfaits. Pas de traces ADN, pas d’empreintes, pas de visage. L’homme correspond.
Une nuit, ils l’observent en train de tenter de rentrer dans la maison du tourisme, mais il s’échappe. Le lendemain, ils trouvent la cabane au fond d’un bois, où il vit, et des vêtements correspondant aux vidéos.
Interpellé dans la foulée, le quadragénaire reconnaît que ce sont ses affaires, mais nie tous les vols. Roumain, il a vécu en Italie, longtemps. Là-bas, il a été condamné à de la prison ferme, pour des vols, comme en Autriche. En France, il dit travailler au noir mais ne veut pas donner le nom de son employeur, ne justifie aucun revenu, sinon les jeux à gratter.
Renvoyé devant le tribunal correctionnel, ce lundi 7 octobre, il réitère : « Si on est prudent, on peut tout à fait gagner sa vie comme ça. » Au parquet, Adeline Gannac s’étonne encore. « Vous êtes le seul bénéficiaire de France sur les jeux à gratter… »
En recoupant, les gendarmes lui attribuent d’autres cambriolages, toujours avec le même mode opératoire, dans l’Allier, le Puy-de-Dôme et le Cantal. En tout, 182 faits en trois ans. Dès qu’il arrive quelque part, les vols augmentent. Il s’agace. « En France, vous payez en carte bancaire, mais j’ai toujours de l’argent liquide sur moi. C’est une question de mentalité. »
Un profil déroutantDès son arrivée dans le Cantal, il a coupé son portable. Les gendarmes notent qu’il n’est pas géolocalisable, sauf une nuit… à proximité de plusieurs vols. Une coïncidence pour ce prévenu intelligent, au mode de vie itinérant et au profil déroutant, qui dit choisir ses destinations… pour leur tranquillité. Sportif, il a également dérobé des baskets et il ne semble pas avoir d’autre addiction que les jeux à gratter et la cigarette.
Pied à pied, il se défend sur tous les détails du dossier. « On fait état de beaucoup de coïncidences, l’appuie son avocat Me Pierre Chavinier. Il est le suspect idéal, roumain, SDF, qui paye tout en espèces. Nous aussi, nous pourrions être à proximité d’un cambriolage, nous ne serions pas suspectés… »
Pour Adeline Gannac, c’est plutôt l’arrestation d’un voleur « chevronné, habile, quasi-professionnel. On était derrière lui depuis plusieurs années ». À l’encontre de Gheorge Moca, elle requiert sept ans de prison ferme et une interdiction définitive de résider sur le territoire national. Le tribunal a suivi les réquisitions.
Pierre Chambaud