"The Girardeaus : an eighteenth century french colonial family in upper Lousiana". C’est le titre du livre que vient de consacrer l’universitaire Charlotte Young Slinkard (publié par la presse de l’Université de l’État du Missouri) à Jean-Baptiste Girardeau, ce Moulinois qui a fait partie des 7.000 Français partis entre 1717 et 1721 dans l’empire colonial embryonnaire de Louisiane.
Issu d'une famille de petite bourgeoisie moulinoiseJean-Baptiste Girardeau, né le 4 avril 1684 à Moulins, et baptisé en l’église Saint-Pierre des Ménestreaux (actuelle place Max-Dornoy, derrière la mairie), est le troisième enfant de l’artiste peintre Jean Girardeau et de Marguerite Goin.
« Tout ce qu’on sait, c’est qu’il a reçu une éducation, sans doute grâce à son grand-père maternel, procureur, ce qui lui permettra de devenir officier. On ne sait rien de lui jusqu’à mars 1717 », explique Alain Compagnon, ancien professeur d’histoire au lycée Banville, et membre de la Société bourbonnaise des études locales, qui a l’intention de faire une conférence sur cette famille.
Un parcours reconstitué grâce aux archivesAlain Compagnon a déjà évoqué la famille Giraudeau lors du récent colloque sur les Bourbonnais partis aux Amériques au XVIIIe, à Moulins. Mais compte poursuivre les recherches. Photos Séverine TREMODEUX « Le livre donne un aperçu de la vie de l’époque en Haute-Louisiane et raconte la présence française en Louisiane, sur deux générations », souligne-t-il. Charlotte Young Slinkard s’est appuyée sur les nombreuses archives à sa disposition. Des archives paroissiales, en France, grâce à l’aide d’une Moulinoise, Marie-Jo Chatelier et aux États-Unis. Mais aussi militaires, judiciaires.
« À 33 ans, il débarque à l’île Dauphin, actuel comté de Mobile, à l’est de la Nouvelle-Orléans, qui ne sera fondée que l’année suivante, après un trajet qui l’a mené de Rochefort à Aix, puis Saint-Domingue. Pour payer son voyage, il travaille trois ans, c’est comme ça qu’on faisait à l’époque. C’est le tout début de l’occupation de la Louisiane, il faut imaginer sur place quelques milliers de personnes. En 1720, il devient enseigne dans les Compagnies franches de la marine. Il remonte le Mississipi, passe au fort de Kaskaskia où se côtoient Français, Franco-Canadiens et Amérindiens, et atteint Fort de Chartres. Il faut de trois à six mois suivant le courant, la saison et l’énergie des rameurs ».
Il épouse une Canadienne et s'élève socialementEn 1722, à 38 ans, il épouse Céleste Thérèse Nepveu, 22 ans, Canadienne, dont une grande partie de la famille a été massacrée par les Indiens. « Le manque de femmes dans ces territoires est un problème récurent et l’envoi de prostituées n’empêche pas les hommes de prendre pour compagnes des Amérindiennes ou des Africains, ce qui est théoriquement interdit. Ils auront trois enfants : Jean-Pierre, né en 1723 ; Marthe, née et morte en 1725 et Pierre, né en 1726. Jean-Baptiste Girardeau paraît bien intégré à cette communauté, souvent parrain lors des baptêmes ou témoin aux mariages ».Lors de l'inauguration du programme culturel et mémoriel Bourbonnais aux Amériques, initié par la plantation d'un Pacanier de Jefferson, à la date anniversaire de la bataille de Yorktown, à Yzeure, le 19 octobre 2023. Photo Corentin GaraultJean-Baptiste Girardeau avance dans la hiérarchie militaire. Il devient enseigne surnuméraire, puis sous-lieutenant. En plus de son activité militaire, il obtient en 1722 une parcelle de terre, puis une seconde en 1725 pour nourrir les troupes et la population de la Nouvelle-Orléans. Ces 12 hectares, en 1726, nécessitent un serviteur et deux esclaves. Il reçoit en 1730 une nouvelle concession pour nourrir une expédition de 200 mineurs chargés de trouver des minerais. En plus de cette activité agricole, il fait commerce de peaux. « Il s’agit d’un mini comptoir. Il achète des peaux aux Indiens, les revend. Il construit quelques cabanes en bois pour stocker ses peaux, il a un bateau pour aller à la Nouvelle-Orléans et c’est tout ».
Ses enfants voient la naissance des États-UnisLe livre retrace le parcours de la famille Giraudeau, sur deux générations. Photos Séverine TREMODEUX
Mais les conflits se multiplient avec les Indiens, pour des multiples raisons : « luttes entre peuples amérindiens, soutien des Anglais à certains peuples, appropriation des terres indiennes par les colons ». En 1729, Les Natchez massacrent les 230 habitants de Fort Rosalie. Des expéditions punitives sont organisées auxquelles le Moulinois participe, et c’est sûrement au cours de l’une d’elles qu’il meurt. « On ne possède pas d’acte, mais à partir de 1730, son épouse est nommée veuve ».Elle se remarie en 1731 avec Louis Marie Charles Dustiné, elle a deux nouveaux enfants, mais son mari est tué, et elle se remarie une troisième fois à l’âge de 41 ans avec Pierre-René de Gautrais. Elle s’installe en 1746 à La Nouvelle-Orléans, et meurt en 1759.Que deviennent les enfants Girardeau ? Tous deux sont militaires avec leur demi-frère Louis Dustiné. Lorsqu’éclate la guerre avec le Royaume-Uni en 1757, ils sont affectés à différents forts. Ils participent à la défaite de Belle Famille, mais arrivent à s’échapper. Démobilisés en 1763 après le traité de Paris qui abandonne la rive gauche du Mississipi aux Anglais, ils reçoivent une pension du Trésor.Les Anglais recrutent Jean-Pierre Girardeau et son beau-père pour les aider. « Les Français sont indispensables. Ils connaissent les tribus indiennes et la géographie de la région. Même après la défaite de la France, leur influence perdure. Ils sont le ciment de la région, et ça va durer jusqu’au début du XIXe. Cette présence se lit dans les noms des villes ».
L’apparition du nomDeux officiers cartographes britanniques arrivent au Fort de Chartres en 1765, et publient des cartes à partir de 1770 où le poste de commerce fréquenté par les Indiens, les trappeurs et les marchands est baptisé Girardo ou Girardot.À la même époque, Pierre Girardeau, marié à une veuve, s’installe sur la rive droite du Mississipi, sous administration espagnole depuis le traité secret de Fontainebleau en 1762, tout en maintenant de bonnes relations avec les Anglais, commerçant avec les Indiens et expédiant ses marchandises via la Nouvelle-Orléans comme son frère. Il est même nommé juge par les Anglais, un des deux Français sur six juges.
Morts sans descendanceEn 1776, éclate la guerre d’indépendance des États-Unis et en 1778, une colonne venue de Virginie s’empare de Kaskaskia et les villages alentour grâce à l’aide des Français. Les frères Girardeau approvisionnent les troupes des insurgés. Pierre est conforté à un poste de juge par les insurgés. Il meurt peu après, sans descendance directe, il a un beau-fils. « Quant à Jean-Pierre, il poursuit une activité de juge et son nom disparaît après septembre 1782. Survit-il encore quelques années ? Migre-t-il à la Nouvelle-Orléans où vivent ses demi-frères et où sa mère est morte ? A-t-il des enfants ? Rien n’est connu, faute de document ».Un autre trappeur Franco-Canadien, Pierre-Louis de Lorimier, qui s’installe le long du Mississipi, déplace le comptoir légèrement au sud du comptoir originel en 1796 ou 1797 et l’appelle Nouveau Cap Girardeau. Il fait fortune, sa maison devient le centre gouvernemental de la ville. Le cimetière près du fleuve porte son nom.
Une ville de 40.000 habitantsCap Girardeau (ou Cape, en anglais) est aujourd’hui une ville de 40.000 habitants, deux fois Moulins, dans le sud-est du Missouri. « Cap » fait référence à un monticule rocheux, surplombant alors le fleuve Mississipi. « Elle est connue pour son architecture ancienne, à la mesure des Etats-Unis. Le film de David Fincher, Gone Girl, y a été tourné. Il n’y a pas beaucoup de Moulinois qui ont laissé leur nom à une ville, à ma connaissance », souligne Alain Compagnon.
À quand une rue Girardeau à Moulins pour rappeler un Moulinois presque inconnu, mais qui a laissé une trace de l’autre côté de l’Atlantique ? Et puis, c’est le premier Bourbonnais qui ait émigré aussi tôt aux États-Unis, dont on ait connaissance.
L’historien lance un appel aux Bourbonnais qui s’appellent Girardeau, quelle que soit la manière dont le nom s’écrit, pour essayer de reconstituer l’arbre généalogique de cette famille, depuis le XVIIIe, jusqu'à nos jours.
Contact. Pour écrire à Alain Compagnon, transmettre des documents ayant trait à la famille Girardeau, dans l'Allier : compagnon.alain.pr@wanadoo.fr
Ariane Bouhours