Le chat forestier — ainsi décrit par un agent de l’Office français de la biodiversité à l’audience correctionnelle du mercredi 2 octobre, à Nevers — fait l’objet d’une protection depuis 1979. « Celui-ci avait, d’après les prélèvements, une génétique de chat forestier à 99,7 %, c’est très rare. »
L’infortuné se retrouve, le 20 février, dans la campagne de Brinay, enfermé à l’intérieur d’une cage avec appât posée contre les renards par un piégeur agrémenté. Une promeneuse le découvre et envoie une vidéo à l’OFB. Les agents arrivent sur place vers 13 h. Ils ne peuvent rien faire…
« Nous ne pouvions pas agir avant 12 h 01 »« Tous les pièges doivent être relevés, chaque jour, avant midi », explique l’un des intervenants. « Comme nous sommes arrivés après, nous n’avions pas de preuve d’une infraction. Nous n’avions donc pas d’autorité pour libérer l’animal. »
Ils constatent qu’il est en bonne santé, sans blessure apparente, même particulièrement vif. « Il n’y avait pas de gel à moins dix, ni de canicule au programme, alors nous sommes revenus le lendemain, à 6 h 30. On n’a pas laissé le chat là-dedans pour piéger Monsieur, mais parce que nous ne pouvions pas agir avant 12 h 01. Croyez bien que ça nous a tiraillé… »
D’autant que la suite des événements est rocambolesque. Le piégeur, un retraité de 75 ans, arrive à 10 h 30. Il n’est pas venu la veille, parce que son 4x4 ne démarrait plus. De peur que ça se reproduise, il laisse le moteur tourner.
Le bruit du 4x4 couvre les cris d’alerteLes agents sont « à 140 mètres ». Ils voient le prévenu descendre de voiture, jeter un coup d’œil, retourner dans le véhicule et en sortir… une carabine ! Ils courent dans sa direction, ils crient, mais il n’entend rien, à cause du moteur. Et, d’une balle en pleine tête, il tue le chat forestier.
Pour le coup, ce n’est plus une contravention pour un piège non-relevé, c’est un délit de destruction illicite d’une espèce protégée.
Le septuagénaire chasse depuis 50 ans et piège depuis 20 ans. Il dirige le Groupement cynégétique du Bazois et œuvre, bénévolement, pour « repeupler la zone de lapins, de faisans… ».
« Pas tellement pour les chasseurs de petits gibiers », explique-t-il, « car il n’y en a pas beaucoup dans le coin [il y a quand même lui]. Non, c’est plus pour les gens. Ils sont contents de voir des animaux près de chez eux. »
« Quoi ? J’ai tué de la vermine, c’est tout »Son intérêt pour la faune ne semble pas aussi vif quand les agents de l’OFB le rejoignent. « Quoi ? J’ai tué de la vermine, c’est tout », leur déclare-t-il.
« Je ne leur ai pas dit ça », se défend-il à la barre. Il s’inscrit en faux aussi (c’est devenu une désagréable habitude pour les inspecteurs de l’environnement de voir leurs rapports contestés et leur probité mise en cause par des justiciables) sur la description de l’animal. Selon lui, le chat était « amorphe, inerte, en mauvais état ». « Bref, je ne pouvais pas le libérer comme ça. »
La procureure de la République, elle, soutient les agents assermentés. « De toute évidence, Monsieur a vu dans ce chat forestier un parfait concurrent pour son activité de chasse », estime Anne Lehaitre. Elle regrette que le stage de citoyenneté environnementale ne soit pas encore possible dans la Nièvre, elle en aurait bien requis un contre le prévenu. Ce sera finalement une amende de 300 € et un retrait du permis de chasse durant deux ans.
En défense, maître Vincent Billecoq peste contre « l’inversion de l’ordre de la preuve » : « Ce n’est pas à moi de démontrer que le chat était amorphe, c’est au parquet de démontrer qu’il ne l’était pas ». Il avance que l’animal a pu se blesser pendant la nuit. Pourtant, l’OFB avait regardé la cage, il n’y avait pas de partie coupante ou dangereuse.
« Vous n’aviez pas à attenter à sa vie »« Qu’est-ce qui me dit que le chat était assoupi à 6 h 30 [au moment où l’ont contrôlé à nouveau les agents] et pas mourant ? », rattaque l’avocat. « Ils ne lui ont pas fait passer un électrocardiogramme non plus ! » Il termine sur son client : « Si ç’avait été un viandard, il serait descendu de la voiture directement avec son fusil ».
« Peu importe, finalement, qu’il ait été ou pas en mauvaise santé », établit le juge, Valentin Mesbah, « vous n’aviez pas à attenter à sa vie. » Il condamne le retraité à 500 € d’amende et trois ans de privation de son permis de chasse. « À titre d’exemplarité, parce que vous êtes piégeur officiel, la décision sera affichée à vos frais à la mairie de Châtillon-en-Bazois et dans le journal. »
Bertrand Yvernault