En 2009, dans la revue Nature, des scientifiques posaient pour la première fois le cadre des neuf « limites planétaires » à ne pas dépasser au risque, sinon, d’affecter irrémédiablement la stabilité terrestre, sa capacité de résilience et donc son habitabilité.
Six de ces seuils physiques – en matière de changement climatique, de déforestation, de perte de biodiversité ou encore de quantité de produits chimiques synthétiques... – ont déjà été franchis. Un septième le sera « dans un avenir proche », selon le PIK, sous l’effet de l’acidification galopante des océans.
1. D’où vient le souci ?En 2023, les émissions mondiales de dioxyde de carbone ont encore atteint un niveau record, que le Global Carbon Project chiffre à 36,8 milliards de tonnes (+1,1 % sur un an). « Ce CO2 provenant des énergies fossiles – charbon, pétrole et gaz – ne reste pas intégralement dans l’atmosphère. 25 % des émissions totales se dissolvent dans les océans. Et en se dissolvant, ce CO2 forme de l’acide carbonique. C’est cette réaction chimique simple, basique, qui est à l’origine de ce que l’on appelle “l’acidification” », explique Fabrice Pernet, chercheur à l’Ifremer.
Conséquence mécanique : le pH des océans diminue. « La moyenne s’établit à environ 8,1 aujourd’hui, avec de fortes variabilités de la côte au large, de l’équateur aux pôles », précise Fabrice Pernet.
Par comparaison, ce même pH était de 8,2 à l’ère préindustrielle. 0,1 de moins, cela peut paraître dérisoire. Mais sachant que le pH s’exprime sur une échelle logarithmique, de 0 à 14, les répercussions en termes d’acidité sont majeures : celle-ci a augmenté de 25 % depuis l’avènement de l’ère industrielle, entre la fin du XVIIIe et le début du XIXe siècle selon les pays.
Et ce n’est pas fini, loin de là. « A l’horizon 2100, on prévoit une hausse de 110 à 150 %, c’est-à-dire un doublement, voire plus. » D’après le Giec, la moitié de la vie aquatique pourrait alors être affectée.
3. Est-il déjà trop tard ?Un recul des émissions de CO2 est amorcé dans certaines régions, comme aux Etats-Unis ou en Europe, qui affiche par exemple une baisse de 30 % entre 1990 et 2022. Un signal positif, certes, mais loin d’être suffisant pour inverser la (mauvaise) courbe toujours observée à l’échelle planétaire.
« Cette croissance persistante est le vrai problème, abonde Fabrice Pernet. Or, il faudrait une baisse de 5 % par an jusqu’à 2050 pour atteindre zéro émission nette de CO2 et maintenir le niveau du réchauffement climatique à +2 degrés. »
Impossible ? Oui, clairement, à l’instant T. « Il y a des raisons objectives d’être pessimiste, déduit le chercheur. Mais les gens doivent quand même savoir que si demain, on arrêtait nos émissions, les océans continueraient d’absorber l’excès de CO2 déjà relâché dans l’atmosphère et, le renouvellement des masses d’eau aidant, on réglerait le problème de l’acidification. »
Tout serait donc, comme toujours, question de choix et de courage. « On sait déjà que l’on peut produire autrement et “défossiliser” massivement notre industrie, insiste Fabrice Pernet. Mais cela suppose, derrière, une réelle volonté politique. »
Stéphane Barnoin