Les ovins élevés sur cette exploitation kazakhstanaise n’ont rien à voir avec ceux que l’on croise dans l’Hexagone. Hauts sur pattes, les mâles peuvent atteindre les 231 kg, les femelles 200 kg, alors qu’un agneau pèse en moyenne 8 à 10 kg à la naissance et 62 à 72 kg à trois mois (contre 38 à 41 kg en France).
Autre trait caractéristique : la boule de graisse visible sur leur arrière-train qui se balance au rythme de leurs déplacements et qui leur permet de passer l’hiver, lorsque les températures peuvent atteindre les - 30 voire - 40 °C. Nabi Nabiev et Halil Li élèvent 60 mères, 40 agneaux et agnelles et 6 béliers sur cette exploitation située dans la région d’Almaty. Quatre personnes vivent de cette activité. Fièrement, l’un des éleveurs saisit un bélier reproducteur de 183 kg. "On l’a acheté 110.000 dollars", annonce-t-il.
Races françaises"Nous importons les animaux vivants du Kirghizistan. Les agneaux naissent en février-mars, et d’autres fermiers viennent nous en acheter pour la sélection. Au Kazakhstan, l’objectif n’est pas de trouver une race pour des croisements afin de diminuer la graisse, on préfère cette viande pour la consommation quotidienne. C’est dans la culture", disent les deux associés.
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70 % des races du pays sont des races avec des bulles de gras, 24 % des races à laine fine. La plus représentative et qui fait la fierté des habitants, c’est l’edilbay, vieille de plus de mille ans. La génétique et les races françaises ont pourtant du potentiel au Kazakhstan, chez les ovins comme chez les bovins. Des négociations sont ouvertes depuis un an pour pouvoir importer des reproducteurs. Mais la mise en place d’un certificat sanitaire reste compliquée. L’Ile de France, la blanche du Massif Central, la romane ou la lacaune intéressent tout particulièrement le pays. L’Ile de France, la plus répondue dans le monde et la plus exportée, y a déjà été introduite. Quelques troupeaux ont été livrés depuis le Bélarus. Ses avantages principaux ? Le dessaisonnement et la vitesse de croissance élevée des agneaux.
Ile-de-FranceDix-sept élevages kazakhstanais travaillent déjà avec de l’Ile de France. "La conversion d’aliment et la qualité de la viande sont ses deux atouts majeurs, comme l’absence d’odeur et le rendement de la viande", acquiesce Aibyn Torekhanov, président de l’Institut kazakh de recherche sur l’élevage et la production fourragère. C’est le plus important du pays. Il a été créé il y a 90 ans et tous les secteurs sont présents : ovins, bovins, caprins, équins... "On fait de la sélection, des études génomiques et tout ce qui est lié au génotype", poursuit Aibyn Torekhanov. La deuxième direction de l’institut, ce sont les fourrages et les pâturages, dans ce pays où seuls 81 des 187 millions d’hectares de pâturages sont utilisés. "Ce sont deux questions importantes. Nous sommes ouverts à tous types de partenariats possibles", abonde le président de l’Institut kazakh.
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"Le moment d’être ici"Neuvième plus grand pays du monde, premier producteur de viande ovine en Asie centrale et sixième producteur mondial de blé, le Kazakhstan a fait de l’agriculture l’une de ses priorités, avec notamment d’immenses marges de progression possibles à l’export. Le secteur agricole représente 5,1 % de son Produit intérieur brut (PIB), employant 12,7 % de la population active.
"C’est le moment d’être ici. L’agriculture est une priorité politique. Il y a un énorme marché qui est la Chine et une demande interne avec une forte croissance."
La France figure dans les cinq premiers investisseurs, avec la présence d’entreprises telles que Total, Danone, Lactalis, Alstom, Saint-Gobain ou encore Soufflet. "Dans le secteur agricole, il y a un énorme potentiel d’exporter. Il y a un besoin de modernisation", reprend l’ambassadeur. Malgré la concurrence allemande, américaine, chinoise et des Pays-Bas, il y a de la place pour tout le monde selon lui. Sans compter que le sous-sol du pays est particulièrement riche. Le Kazakhstan est le premier fournisseur en uranium de la France et le deuxième en pétrole brut.
Cette responsable du groupe Transfaire pour l’Asie centrale a également regardé de près les index bouchers des taureaux, en quête d’animaux à haute valeur ajoutée. Rocky, vainqueur chez les taureaux jeunes aubrac au Sommet de l’élevage 2023, a notamment été retenu et utilisé au Kazakhstan.
Dans le pays, l’association des éleveurs de races françaises aide également ses membres à être concurrentiels. Sur les 8,4 millions de bovins, on recense 1.400 charolais, 400 limousines et 200 aubrac. De bons résultats ont d’ailleurs été obtenus en croisant l’aubrac avec la race locale kalmyk, "avec notamment une bonne vivacité des veaux après la naissance", dit Bolat Seisenov, président du conseil d’administration du Centre républicain de bétail Assyl Tulik.
GénétiqueCe centre héberge la banque de semences sur la génétique de 24 races bovines et 18 races ovines. "Nous avons environ 7 millions de doses de reproducteurs." La semence des taureaux est prélevée deux fois par semaine. Après trente jours de quarantaine, au cours desquels les équipes du laboratoire effectuent de nombreuses analyses, la semence est placée dans des cuves azotées. Une dose sera ensuite vendue 1.500 tengués (environ 3 €).
Un partenariat existe avec la France depuis 2017 et en particulier avec Synetics, depuis 2022. La société française compte notamment des experts consultants pour la conception.
Semence sexée"L’idée est d’envoyer en France des embryons de la race locale aqbas et de les faire naître là-bas. On prendrait ensuite de la semence du taureau obtenu, toujours en France, que l’on enverrait au Kazakhstan. Le but pour nous est de recevoir de la semence sexée car personne ne nous autorisera à installer le matériel nécessaire ici", conclut Bolat Seisenov.
Les céréales cultivées dans les champs alentours arrivent sur une ligne totalement automatisée, installée en 2017 par la société Petkus. Elle permet d’obtenir les produits les plus purs possibles, notamment après avoir été passés au crible par une machine à tri optique.
Voyages en EuropeC’est lors de ses voyages en Europe qu’Arystan Rakichev a eu l’idée de démarrer l’export : "Quand j’ai vu les produits conventionnels et bio, j’ai commencé à réfléchir. Je me suis dit pourquoi ne pas lancer ces produits à Enbek ? La différence en termes de prix, c’est fois trois. Avant c’était fois cinq, mais depuis 2022, avec le coût des transports entre autres, c’est fois trois." Et la demande est en constante progression.
L’exploitation cultive du lin oléagineux, deux sortes de lentilles, des pois, du soja mais aussi des légumineuses ou du blé kamut, qui n’est autre que l’ancêtre du blé classique. "Il existe un brevet pour ce blé kamut originaire d’Egypte. Nous sommes la seule exploitation qui le produit au Kazakhstan", affirme le directeur adjoint. Les tourteaux obtenus servent à l’alimentation des animaux. Un séparateur de phases permet, lui, de séparer la fraction liquide et la fraction solide du lisier et de nourrir les plantes en direct, via une pompe et des tuyaux répartis sous terre jusqu’à 8 km.
Crédits carboneAfin de pousser la démarche encore plus loin, les exploitants ont décidé de lancer la première ferme bio robotisée du Kazakhstan, incluant la transformation jusqu’au produit final (lait, fromage), alors que le lait actuel est vendu à des laiteries, en conventionnel, avec 26 à 28 litres de lait obtenus chaque jour par tête. La traite robotisée permet de palier les problèmes de formation et de qualification du personnel.
Dès 2014, la ferme a aussi commencé à travailler sur les bovins viande. "On a acheté des simmental en Autriche, pour lesquelles on utilise l’insémination artificielle", retrace Arystan Rakichev. Depuis cet été 2024, la ferme d’Enbek planche sur des crédits carbone. Ces certificats permettraient d’apporter une valeur ajoutée, plutôt sur les céréales, évaluée à 25 à 30 € supplémentaires par tonne de production.
Gaëlle Chazal