«Je ne suis pas un artiste. Je suis un tailleur de pierre avec plein d’idées dans la tête. » Emmanuel Hébrard est donc avant tout un artisan. Qui s’inscrit dans la tradition. Celle de la pierre volcanique de Bouzentès. Celle de sa famille aussi : chez les Hébrard, on taille depuis cinq générations, et la sixième est de la partie, puisqu’Enzo, son fils, a rejoint l’entreprise cette année.
ModernitéMais un artisan qui, fort de toutes ses idées, revendique une certaine modernité. « Quand je suis arrivé il y a trente ans dans l’entreprise, avec mon père on a eu l’envie de dépoussiérer nos méthodes de travail comme ce qu’on pouvait produire. Je ne suis pas compagnon, mais j’ai fait mon tour de France, dans des grosses entreprises, voir comment on travaillait ailleurs. Pour toujours essayer d’avoir un coup d’avance. »
ExpansionRésultat, alors qu’à l’époque l’entreprise ne comptait que deux salariés en plus de lui et ses parents, il y en a aujourd’hui 16. « Et cette année, pour la première fois, on a passé le cap des 2 millions d’euros de chiffre d’affaires. Cela reste modeste, on est une petite boîte. Mais c’est un chiffre qu’on ne pensait jamais atteindre. Et j’ai l’impression de ne jamais avoir eu autant de boulot qu’aujourd’hui. Notre seul frein, c’est la difficulté à recruter. C’est généralisé dans l’artisanat mais j’ai en plus l’impression que la taille de pierre fait peur. »
PatriotismeMais la pierre de Bouzentès, elle, plaît. « C’est marrant, ce produit, il y a 30 ans, personne n’en voulait. On a essayé de le démocratiser, de faire comprendre que c’était une matière première d’exception. » Et aujourd’hui, on la retrouve sur les principales places cantaliennes, mais aussi autour du tram de Paris. « Depuis quatre ou cinq ans, avant même la crise covid, on a senti que les décideurs publics voulaient à nouveau jouer le jeu de la pierre française. Alors que pendant des décennies, on était en concurrence avec de la pierre asiatique, contre laquelle on ne pouvait pas lutter en termes de coûts. » Précieux quand la commande publique représente 60 % du chiffre d’affaires.
DiversitéMais l’entreprise a aussi su se diversifier, et séduire des clients privés. La fierté d’Emmanuel Hébrard, dont les photos des réalisations s’étalent sur les murs de son bureau, comme autant de rêves d’enfants réalisés. On voit une piscine à Saint-Barth, sa fontaine monumentale à Saint-Gervais au pied du Mont Blanc, et bien sûr ses vélos, qui trônent en haut des cols, du Puy Mary comme du Grand Colombier. Bientôt, les futurs chantiers au Cap Ferret, en Corse rejoindront les images des récentes expositions dans les jardins du Luxembourg ou à la Villette, pour les JO.
« De plus en plus de gens nous appellent, des beaux clients, et ça fait chaud au cœur, on se dit qu’on n’est pas loin d’être dans le vrai » sourit-il. Avant d’expliquer que « cela a un coût, cette diversification. Il faut multiplier les machines, avoir une équipe polyvalente. Mais ça me correspond. Parce que je m’ennuie vite, surtout quand je fais la même chose. » Là, il n’en a pas le temps.
Yann Bayssat