La chronique du temps présent de Mazarine M. Pingeot : "D’Auvergne en Islande"

Profitant du très mauvais temps parisien du mois de juillet, je suis partie en Islande où le temps n’était guère plus favorable, mais au moins était-ce prévisible. J’ai aimé aussitôt ces terres volcaniques – dont certains paysages me rappelaient l’Auvergne et la chaîne des puys, de la Vache à Lassolas en passant par le puy Mary, du lac d’Aydat à celui de Servières où enfants nous allions nous baigner. Certes, l’Auvergne a été reboisée quand la terre islandaise résiste encore, gelée la moitié de l’année, à la main mise de l’homme, qui voulant arrêter l’érosion, recouvre l’horizon. La lave a cependant une présence plus tellurique encore, séchée dans sa coulée, portant les stigmates de ses anciennes incandescences.

C’est ainsi qu’elle apparaît, violente, puissante et … presque vivante, sur l’île de Heimaey qui subit l’éruption du volcan Eldfell le 22 janvier 1973 en pleine nuit. La veille, le vent avait soufflé, empêchant les pêcheurs de sortir en mer, ce qui a sauvé la population qui a eu le temps de fuir sur les bateaux amarrés et de rejoindre les côtes de sable noire, observant de l’autre côté de la mer le combat entre le feu et les pompiers dont le seul objectif était de freiner l’avancée de lave pour qu’elle ne détruise pas toute la ville. Ils en sauvèrent la moitié.

Depuis, au-dessus des maisons encore vaillantes, s’est pétrifiée dans un chaos indompté une lave qu’il faut escalader pour arriver jusqu’au volcan lisse quant à lui, recouvert de pouzzolane rouge et noire. Et dans cette lave figée est creusé un chemin qui mène de tombes en tombes : ce sont les sépultures des maisons dont on rappelle qu’elles furent habitées par le boulanger, le maire, une famille de huit enfants ou encore le pasteur. Sur des pierres tombales sont inscrites leur histoire succincte, une date de naissance et une date de mort, parfois une photo. Nulle victime n’était à déplorer, seulement des souvenirs : lieux de vie, albums rangés dans les tiroirs, vêtements, chaussures de toute taille, objets fabriqués à la petite école et offerts pour la fête des mères, table sculptée par le grand-père, porte de la salle de bain où chaque année est gravée la taille des enfants qui grandissent, photos de mariage, de baptême, de naissance, bijoux de famille et fantômes.

Moi qui me demande souvent ce que deviennent les lieux quand on les a quittés, et s’ils gardent d’une façon ou d’une autre trace de notre passage, j’avais ici une réponse inversée.

Un cimetière à même le lieu de la catastrophe, rappelle que là avaient été édifiées des maisons – non - que là avaient vécu des maisons, abritant l’intimité de vies dont les images avaient été recouvertes de cendre. L’expérience de quitter un lieu est banale, souvent tragique – c’est le cas de l’exil. Mais l’expérience d’être quitté par un lieu est si singulière qu’il fallait arriver sur cet archipel pour en saisir l’étrange et douloureuse poésie.

Mazarine M. Pingeot

Les chroniques du temps présent s'inscrivent dans la tradition créée par Alexandre Vialatte.