« C’est plutôt rare de voir des spécialistes, qui nous ont proposé des conférences extrêmement pointues, se marrer en disant : “Bon, ça, c’est pas important, parce que c’est pas vrai”. » Et c’est vrai, comme l’a dit ce samedi Francesca Isidori en introduisant la table ronde de ces 19e Rencontres de Chaminadour, à Guéret, autour d’Homère : oui, c’est rare et ça fait du bien.Autour de la table, ces « Dieux de l’Olympe », a-t-elle encore dit : Barbara Cassin, François Hartog, Pierre Michon, Olivier Rolin n’avaient, sur le papier, qu’à répondre à une seule question. Iliade ou Odyssée ?
"C’est moi qui ai fait la programmation de ces Rencontres et j’étais un peu dans l’embarras alors je me suis rabattu sur cette question. Et Barbara Cassin m’a dit : c’est un peu brochette ou merguez ?"
« Oui, c’est un peu : papa ou maman ?, enchaîne alors l’helléniste et membre de l’Académie française. L’Iliade, c’est le seul texte que j’ai appris un peu par cœur. J’étais en 4e et dans le métro, je récitais L’Iliade. L’Iliade, ça pourrait être tellement emmerdant mais on a envie de tourner la page, c’est ça qui me plaît. Samuel Butler, dans Erewhon, imagine que L’Odyssée a été écrite par une femme. Et je trouve ça très intéressant. L’Iliade, c’est tellement un truc d’hommes que c’est écrit par un homme et L’Odyssée, tellement un truc de femmes, que ça a été écrit par une femme. » François Hartog, historien et auteur notamment des Mémoires d’Ulysse, raconte, lui, qu’il a « commencé par L’Odyssée. J’ai relu L’Iliade à l’occasion de ces Rencontres. Et j’ai été saisi par ce moment du passage de vie à trépas, cette mort que tout achève ».Dans la salle (comble) ce samedi matin, on a sollicité aussi l’avis du public. Alors, Iliade ou Odyssée ? Sans surprise et très largement, L’Odyssée l’emporte. Ça fait rire Pierre Michon. Pas étonné : « Mais oui, c’est un texte démagogique ».
Papa ou maman, le père ou le fils ?Lui ne choisit pas entre papa ou maman, brochette ou merguez. Non, ça serait plutôt entre « le père, L’Iliade, et le fils, L’Odyssée ». Et encore. « Je les ai lus pour la première fois dans la collection Contes et légendes tirés de L’Iliade et L’Odyssée, qui existait quand j’étais petit. Donc, je n’ai pas fait la différence. Aujourd’hui, je dirais que l’identification du lecteur se fait, dans L’Iliade, à des espèces de mono-maniaques : à Achille ou à Pâris quand on est coquin. Alors que, quand on passe à L’Odyssée, on s’identifie à une espèce de touche-à-tout bricoleur, qui n’a aucune mono-manie si ce n’est celle de rentrer chez lui mais bon, ça, comme tout le monde… »
Olivier Rolin, lui, a bien tranché. Jeune. « Comme tout le monde, je les ai découverts dans une édition, peut-être même un peu illustrée, quand j’étais gamin. Puis, j’ai eu une jeunesse politique belliqueuse et dans L’Iliade, ce qui me plaisait, c’était ce poème guerrier et comme on allait se battre tous les matins… Oui, L’Iliade a joué un rôle dans ma formation politique. Et je continue à être absolument fasciné par l’âpreté et la mélancolie affreuse de L’Iliade. Pour moi, le personnel principal de L’Iliade, c’est Hector. C’est un mélancolique, il aime sa femme, il sait qu’il va mourir. Mais la préparation, la relecture pour ces Rencontres et tout ce qui a été dit ici depuis jeudi me font apercevoir la beaucoup plus grande complexité de L’Odyssée. Et je l’estime plus que je ne l’estimais il y a encore quelque temps. » Ou quand on préfère les brochettes avant de passer à la table de ces Rencontres dont le sel vous donne aussi le goût des merguez…
Séverine Perrier
