Son programme, tout son programme, rien que son programme : la gauche, arrivée en tête aux législatives mais non majoritaire, se serait-elle montrée trop intransigeante quant au choix du futur ou, plutôt, de la future locataire de Matignon??
Cette question, deux jours après la nomination de Michel Barnier au poste de Premier ministre, le maire socialiste de Rouen Nicolas Mayer-Rossignol n’a pas manqué de l‘agiter. « À force de vouloir une gauche pure, on a eu une droite plus dure », a-t-il déploré, samedi, sur France Info.*
Connu pour ses positions hostiles aux accords avec La France insoumise, le premier secrétaire délégué du Parti socialiste visait sans doute moins la gauche en général que son parti en particulier. « Le prochain congrès, probablement en 2025, avant les municipales de 2026, explique largement cette posture, pointe Rémi Lefebvre, professeur de sciences politiques à l’université de Lille. L’opposition interne à Olivier Faure s’ingénie à attribuer le faux échec d’un gouvernement de gauche à l’actuelle direction alors que Nicolas Mayer-Rossignol sait, comme beaucoup, qu’Emmanuel Macron n’a jamais voulu d’un Premier ministre de gauche. La piste Bernard Cazeneuve écartée par le PS n’a jamais été envisagée par le président de la République ni, d’ailleurs, par Bernard Cazeneuve qui s’est vite rendu compte que le chef de l’État n’était prêt à aucune concession, notamment sur sa réforme des retraites. »
Conflictualité culturelle« C’est un jeu de dupes, abonde Arnaud Benedetti, rédacteur en chef de la Revue politique et parlementaire. Emmanuel Macron ne veut pas de l’abrogation de la réforme des retraites, donc de Bernard Cazeneuve. Et le PS, en interne, avait jugé que l’hypothèse Cazeneuve n’était pas viable. Mais il y avait eu débat. La fracture entre ceux qui sont favorables à des accords avec LFI (La France insoumise) et ceux qui ne le sont toujours pas perdure. Les premiers dénoncent une vassalisation du PS, les seconds mettent en avant un ancrage à gauche et des gains électoraux. »
« Cette conflictualité, tempère Rémi Lefebvre, fait partie de la culture du PS. Son fonctionnement est plus démocratique que celui de LFI. Il faut d’autant moins lui donner d’importance que ce parti a connu des périodes plus tendues. Et il va mieux : il s’est remis des 2 % d’Anne Hidalgo à la dernière présidentielle, il a deux fois plus de députés, il a enregistré 10 % d’adhésions en plus et son image est meilleure que celle de LFI. »
Mais la gauche a-t-elle vraiment voulu de Matignon?? Entre un président jaloux de son pouvoir et une chambre basse en plein remue-ménage, le doute est permis. « La gauche surjoue son indignation, fût-elle légitime, note Rémi Lefebvre. Certes, le NFP (Nouveau Front populaire) constitue le bloc le plus important à l’Assemblée nationale, mais il n’a pas, tant s’en faut, la majorité absolue. Dès lors, l’exercice du pouvoir aurait été une épreuve aussi courte qu’inutile au regard de la faible marge de manœuvre dont la gauche aurait disposé et d’une motion de censure qui n’aurait pas tardé à être adoptée. »
Un PS plus à gauche« En outre, poursuit-il, il lui a été si difficile de s’accorder sur le nom d’un Premier ministre qu’on n’ose imaginer pour un gouvernement au grand complet… Le mieux pour la gauche est de capitaliser sur l’alliance contre-nature entre le RN (Rassemblement national) et la Macronie qu’a dénoncée LFI. »
Et, au-delà des ambitions et des inimitiés personnelles, la gauche est plus unie qu’il n’y paraît. « Le PS est plus à gauche que sous François Hollande, constate Rémi Lefebvre. Les convergences sont réelles entre les composantes du NFP, notamment sur le plan économique. Les divergences sont plus sur la forme que sur le fond. Et si LFI et, singulièrement, Jean-Luc Mélenchon sont plus tournés vers la présidentielle, EELV (Europe Écologie Les Verts) auquel Marine Tondelier a donné plus de visibilité médiatique n’oublie pas les municipales, tout comme le PS aujourd’hui d’abord un parti d’élus locaux. »
« La gauche, rappelle Arnaud Benedetti, n’a accédé au pouvoir sous la Ve République que portée par la ligne réformiste. Or, depuis, le rapport de force s’est inversé. La ligne radicale y est d’autant plus forte qu’une part de l’aile droite du PS a rallié la Macronie. Les verts?? Marine Tondelier a pesé pour l’émergence du NFP dont le barycentre s’est déplacé plus à gauche. » Bref, il y avait, pour la gauche, plus à perdre à collaborer avec Emmanuel Macron qu’à gagner.
Jérôme Pilleyre
Lire. Didier Demazière et Rémi Lefevre, Des élus déclassés??, PUF, 2024, 11 €?; Arnaud Benedetti, Aux portes du pouvoir. RN, l’inéluctable victoire??, Éditions Michel Lafon, 2024, 18,95 €.