Comment vous appréhendez ce rôle de “guide” ? Mon rôle, c’est d’abord de faire la conférence inaugurale, qui sera celle d’un écrivain, pas d’un historien. J’ai aussi choisi les intervenants, aidés par François Hartog, un historien, et Pierre Judet de La Combe. Et j’interviendrai dans la présentation de chacun des intervenants mais ensuite, je me ferai plus discret.
Comment choisissez-vous vos invités, les thèmes sur lesquels vous allez échanger ?Le public des Rencontres est un public cultivé, mais pas de spécialistes. Donc, il fallait bien sûr poser des questions très anciennes comme celle de l’existence d’Homère. Il y a un certain nombre de thèmes qui me paraissaient indispensables pour que le public fasse le tour des grands aspects d’Homère. Et puis, il y a des personnes plus ou moins spécialistes qui m’ont suggéré des choses comme Vincent Delecroix, Victor Bérard.
Homère « le voyant, l’aveugle dont on peut douter qu’il ait existé » dîtes-vous dans le livret de présentation. Êtes-vous du côté des savants modernes qui croient à un personnage inventé ?Je m’en remets à des gens plus savants.
Moi, je ne crois pas qu’il y a une personne unique derrière L’Iliade et L’Odyssée.
Je vois au minimum – les deux œuvres sont si différentes – deux auteurs, sinon plusieurs ensuite rassemblés.
Comment résonne-t-il aujourd’hui ? Que peut-il nous enseigner sur notre XXIe siècle par exemple ?Il résonne sur tous les siècles. Dans L’Iliade par exemple, la description des horreurs de la guerre est l’une des plus fortes dans la littérature mondiale mais aussi dans la beauté que les hommes y trouvent. C’est un livre sur le courage guerrier. C’est aussi – du moins c’est comme ça que je le lis – un poème sur le malheur de la guerre.
Ce n’est pas une exaltation de la violence. Ce qui est bien aussi, c’est qu’il ne donne pas de leçons, il ne juge jamais.
Quant à L’Odyssée, elle inaugure un genre immense qui est toujours contemporain. Moby Dick, la lutte entre l’homme et le cachalot, ça découle un peu de cette lecture. L’Odyssée, c’est aussi comment est-ce qu’on passe de la guerre à la paix. Comment on essaie de retrouver la paix.
Une table ronde, vendredi, pose justement la question : L’Iliade ou L’Odyssée ? Et vous, si vous ne deviez n’en garder qu’un ?J’ai une espèce de préférence pour L’Iliade, même si ce n’est pas la position la plus fréquente, certains préférant L’Odyssée, car plus d’aventures.
Dans L’Iliade, il y a une espèce de grandeur, de mélancolie, de chagrin dans la guerre qui m’émeut encore plus. Les personnages sont plus grands. Ulysse, c’est un homme qui essaie de revenir à la vie de tous les jours.
C’est un personnage qui nous touche plus parce qu’il est plus commun.
Toujours dans la présentation, vous concluez en citant Peguy, « Homère, c’est le plus grand, c’est le patron, c’est le père » Pourquoi ?Déjà, parce que c’est l’inventeur, dans notre partie du monde, de notre littérature. Et ses personnages continuent à inspirer des écrivains, dont le plus célèbre, Joyce. C’est un peu un modèle, un inspirateur et pas que dans la littérature : on le voit au cinéma dans Le Mépris de Godard. Enfin, moi qui suis plus un lecteur de livres modernes, des XXe et XXIe siècles, la littérature très ancienne compte beaucoup pour moi. Je fais le grand écart, je suis un grand lecteur.
Si vous deviez être le guide de futures Rencontres, dans les pas de quel auteur aimeriez-vous cheminer ?Vous me prenez un peu de court… Je dirais Faulkner, parce que je suis en train de le relire. Il faudrait aussi le faire sur Tolstoï. En tout cas, je m’y sentirais à mon aise. Ou sur un autre beaucoup moins lu, russe aussi, Chalamov. Et Primo Levi. Cela ferait un grand livre sur les camps soviétiques et les camps nazis. J’aimerais bien aussi un auteur parmi les moins aimés, Chateaubriand.
Et si les Rencontres partaient dans les grands chemins d’Olivier Rolin, quelles questions aimeriez-vous que l’on se pose à votre propos ? Et quel "guide" pour le faire ? C’est trop compliqué ! Je ne sais pas qui pourrait le faire. Mais il y a des écrivains contemporains que j’aime comme Antoine Volodine, Mathias Enard, Jean Echenoz. Ce sont des amis, j’aime leurs œuvres et ça m’honorerait qu’ils s’intéressent à moi. Mais je ne suis pas sûr qu’ils aient envie de parler de moi… Quant aux thèmes, peut-être ma curiosité du monde. Le titre d’un de mes livres, c’est L’invention du monde.
J’ai presque toujours écrit sur la diversité du monde. Parce que le monde m’intéresse, m’étonne. J’ai envie d’aller partout.
Il y a des écrivains qui s’intéressent à eux, d’abord, au travers d’une auto-fiction, d’un roman familial.
Dans Extérieur monde, c’est une succession de scènes dans beaucoup de pays où je suis allé. Et même dans Vider les lieux, le déménagement me permet de refeuilleter des livres. Ils pourraient se demander aussi pourquoi j’écris des livres qui ne se ressemblent pas. Certains vont par paire et d’autres non. Ce n’est pas très courant.
Parce qu’il y a cette curiosité du monde ?Oui, sans doute. Il y a cet intérêt multiple que je porte à notre monde.
Ça me serait très difficile d’écrire sur moi-même.
Quelquefois, je suis content d’avoir cette diversité d’approche et de style et quelquefois, je suis inquiet : je me dis que je n’ai pas de style propre, que c’est éparpillé.
Pour un écrivain, se dire que son œuvre sera interprétée d’une façon qu’il n’avait peut-être pas imaginée, qu’il la laisse au regard du lecteur, ce n’est pas “dérangeant” ?Non. Ce que, moi, je trouve dans Tolstoï ou Hugo, ça ne leur plairait peut-être pas mais c’est mon droit. On écrit pour qu’un livre prenne des centaines de figures différentes. C’est ça qui est beau. Il n’y a que les œuvres stéréotypées qui se lisent d’une seule façon.