« C’est bluffant, toutes les perspectives qu’ouvre la technique de l’ADN environnemental?! », assure Sylvain Vrignaud, naturaliste et chef de projet sur la connaissance de la faune à l’Office national des forêts (ONF), pour le Cantal, la Haute-Loire et le Puy-de-Dôme. Depuis qu’il utilise cette méthode pour répondre à des missions d’expertise, les surprises se succèdent, notamment avec la découverte dans une rivière du Forez d’un petit mollusque tout juste décrit pour la science en Europe, ou d’espèces invasives localement inconnues.
Méthode digne de la police scientifiqueLa méthode de l’ADNe bouscule les lignes en permettant aux enquêteurs environnementaux d’utiliser les mêmes principes de base que la police scientifique. Tout être vivant laisse du matériel génétique dans son environnement, sur son passage, ou dans et sur les supports qui ont été à son contact. Pour prélever un échantillon de qualité séquençable, le dispositif ressemble vaguement à une perceuse. Le moteur permet d’aspirer l’eau via un tuyau stérile, et de l’amener sur un filtre. Ce qui est retenu part dans l’un des rares laboratoires experts, tous privés
L’Office national de la biodiversité (OFB) utilise cette méthode depuis 2014 pour le suivi des espèces de poissons d’eau douce en France, ou encore pour étudier et préserver les bousiers en collaboration avec des parcs nationaux.
Cette technique – non invasive et non discriminante – repose sur le prélèvement d’échantillons dans un milieu naturel donné. Eau, air… Elle permet de récupérer les fragments d’ADN des organismes vivants qui l’ont fréquenté. Les prélèvements sont adressés à des laboratoires qui amplifient puis séquencent les « codes-barres d’ADN ». « À terme, l’ADNe pourra fournir un inventaire de la faune et de la flore et ainsi apporter des données précieuses pour l’évaluation de la biodiversité », estime l’OFB.
Les promesses de l'ADNeÀ Lempdes, Sylvain Vrignaud s’attend même à voir l’ADNe finir par remplacer les indices biotiques qui permettent d’évaluer la qualité de l’air et de l’eau?! « Depuis deux ans, il y a des tests pour l’air, et ça marche. Ils sont même parvenus à trouver dans les échantillons d’air des traces d’animaux qui ne sortaient jamais en extérieur.
Et il y a mieux encore, avec les toiles d’araignées : on a récupéré, dans les toiles, l’ADN d’animaux qui n’étaient ni les araignées ni leurs proies?! » Dans le Puy-de-Dôme La méthode a réservé l’une de ses premières grandes surprises locales sur l’Ance du Nord. Le résultat d’un prélèvement d’eau a livré la présence d’un mollusque bivalve totalement insoupçonné, et inconnu pour la science jusqu’en 2022 : la pisidie ténébreuse (Euglesa interstitialis, photo ci-dessous).
Dans le Forez, sur l’Ance du Nord un prélèvement d’eau initialement destiné à délimiter le périmètre d’une espèce menacée (la moule perlière) a livré la présence d’un mollusque bivalve totalement insoupçonné : la toute petite pisidie tenebreuse (Euglesa Intersiitialis). L’animal, de la taille d'un ongle, n’avait été décrit pour la toute première fois au monde qu’en 2022. Photo Ira Richling – Journal of molluscan studies Oxford Academics
Inquiétantes révélations, aussiMais les révélations de l’ADNe sont moins réjouissantes quand il s’agit d’espèces exotiques envahissantes dans des secteurs que l’on pensait protégés : la moule zébrée sur des petits cours d’eau vers Thiers, des corbicules qui progressent dans les Combrailles, l’anodonte chinois, redoutable pour son interférence dans le cycle de mollusques autochtones.
Les limites et mauvais tours de l'ADNeLe séquençage reste encore coûteux. Et l’on est loin de pouvoir utiliser l’ADNe en outil d’exploration exhaustif du vivant?; ni même en surveillance de routine pour la biodiversité. « On a récupéré les traces d’animaux, qui n’étaient ni des araignées ni leurs proies, les toiles » Pour l’instant, les ADN sont comparés à ce qui existe dans les bases d’espèces déjà référencées : la méthode permet seulement d’identifier la présence ou l’absence de ces organismes dans l’échantillon. Impossible, aussi, de savoir à quelle distance se trouvent les organismes, les traces qu’ils ont laissées, d’estimer l’âge des spécimens dans des fragments dégradés, ou encore une densité de population.
Certaines traces sont même parfaitement trompeuses. Si l’on trouve dans nos rivières de l’ADN de moules de Bouchot ou de saumon en quantité… c’est parce que les gens en mangent et que leurs eaux de vaisselle ou de toilettes terminent encore dans les milieux naturels sans traitement.
Anne Bourges anne.bourges@centrefrance.com