Que signifie pour vous “réensauvager” le jardin ?
Tout simplement “remettre du sauvage”. Dans la partie cultivée des jardins, on va choisir des plantes, modeler le terrain… La partie sauvage est celle où les plantes germent parce qu’elles correspondent au milieu, au climat, à l’hygrométrie et à l’exposition.
C’est l’endroit où les animaux viennent parce qu’ils y trouvent des conditions qui leur sont favorables. Dans un cas, nous parlons de nature réelle, de “sauvagerie”, de spontané. Et, dans l’autre, de décisions humaines qui devraient être restreintes à certaines zones, en fonction de nos besoins.
Nous pourrions radicalement changer le faciès des espaces qui nous entourent, en s’en tenant uniquement aux usages. Si des gamins veulent jouer au foot, il est possible de tondre un bout de terrain pour cela.
Mais si le seul moment où une personne passe sur un espace tondu est pour le tondre, c’est un problème. Car brûler de l’énergie fossile et détruire ce qui représente une ressource ou un refuge pour des animaux n'a aucun intérêt.
Nous devons reprendre pied dans la nature, car nous avons besoin d’elle. On ne respire pas, on ne mange pas et on ne boit pas par magie. Ces phénomènes sont des fonctionnalités naturelles qui ne sont remplies que s’il existe une diversité et une abondance autour de nous.
D’aucuns estiment que laisser son jardin en friche fait “sale” ou ferait “venir les serpents”. Le sauvage au jardin est encore associé à quelque chose de mal tenu, voire au danger.La nature n’est pas là pour nous bouffer, pour nous piquer… Elle a autre chose à faire. La nature, pour un humain, c’est agressif, c’est vicieux, c’est une compétition. Mais en réalité, les choses sont bien différentes. Les relations à l’œuvre dans la nature sont marquées par la symbiose, l’entraide, le mutualisme… La vie, c’est ça. Lorsque l’on dit “ça fait sale”, de quoi parle-t-on ? Un excrément laissé dans la nature disparaît dans la journée ou dans les deux jours. Et la majorité des “mauvaises herbes” dont parlent les gens sont des plantes alimentaires, médicinales, tinctoriales, dont on a oublié les usages.
Prenons la ronce, que personne n’aime, alors que c’est un élément structurant permettant de transformer la prairie en forêt. En écologie, on l’appelle “la mère de la chênaie”.
Quant à dire que les broussailles attirent les serpents… C’est bien mal connaître la biologie de ces animaux qui ont besoin de trouver de la chaleur. Ils vont plutôt se rendre dans des zones ouvertes ou empierrées et chercher à fuir les broussailles.
Au-delà de l’écologie, est-ce que le sauvage peut être esthétique au jardin ?La beauté est quelque chose d’abstrait. Mais nos canons, nos références, ce dont nous avons l’habitude : tout cela est modelé sur l’hygiénisme haussmannien, la droiture, les jardins à la française… Bref, ces notions esthétiques ne sont pas en adéquation avec la vie sauvage, la diversité, l’abondance et les différences de formes, de couleurs.
La nature n’aime pas les choses droites, lisses, plates. Elle est faite de trous, de bosses, de pierres, de troncs, de mares : tout ce qui est indispensable à l’accomplissement des vies qui nous entourent.
Quels sont les principaux leviers pour favoriser la biodiversité au jardin ?Lorsque l’on intervient, on le fait pour nous, et pour quelques espèces que l’on aime bien, comme le gazon tondu. Mais si l’on continue à le tondre, les fleurs y seront en nombre limité, et donc les insectes, les chauves-souris, les oiseaux… Il convient de laisser des espaces de vie et de fragmenter son jardin en fonction des besoins : pour faire un potager, pour jouer au foot, pour mettre une serre… Et ailleurs, on peut laisser un arbre, des buissons, des ronces et des fruits, parce que cela va servir de refuge aux hérissons, aux écureuils…
Le maître-mot est donc “partage” : partage du territoire, dans l’espace et dans le temps. Là est l’essence de l’ensauvagement.
Réensauvager, c’est tolérer que la vie sauvage entoure nos espaces cultivés. Ce qui est d’ailleurs beaucoup plus efficace et fonctionnel : un pied de tomates se trouvera bien mieux s’il est entouré d’une variété d’autres plantes que d’autres pieds de tomates. Parce qu’une fois que le mildiou ou la chenille arrivent, ils s’attaquent à l’ensemble de la ligne, car il n’y a rien pour les intercepter.La diversité des habitants réduit l’impact des parasites, qui seront perturbés ou arrêtés par d’autres formes de vie situées entre eux et la nourriture qu’ils prospectent. On peut planter de beaux cosmos et de belles échinacées, qui ne sont pas les plantes les plus efficaces pour les insectes. Mais à côté, ça vaut vraiment le coup de laisser des espaces avec des fleurs sauvages.
Cette structure domiciliée dans la région de Lyon compte aujourd’hui 25 salariés qui accompagnent élus, agriculteurs, gestionnaires d’espaces verts dans la mise en œuvre de projets en faveur de la biodiversité.Sensibilisation et plaidoyerArthropologia sensibilise également scolaires et grand public à la préservation de l’environnement, dans le cadre d’animations et de conférences.S’ajoutent à cela, depuis quelques années, « des actions de lobbying ou de plaidoyer, complète Hugues Mouret. Nous portons des sujets auprès d’instances décisionnaires locales, nationales ou européennes. »Mais d’où vient le nom de l’association ? « C’est un néologisme qui désigne la science des arthropodes. Soit les insectes, les arachnides, les crustacés, les mille-pattes… Bref, toutes les petites bêtes que les gens n’aiment pas, renseigne Hugues Mouret. Lorsque nous avons débuté, il n’existait pas de structure qui travaillait sur les insectes. Or 80 % des animaux connus aujourd’hui sur la planète sont justement des insectes. »Insectes, reptiles, botanique…Ce champ d’intervention demeure toujours important pour Arthropologia, mais il est désormais loin d’être exclusif, l’association s’intéressant aussi aux amphibiens, aux reptiles ou encore à la botanique. Autant de sujets qui pourront être abordés sous l’angle du “sauvage”, ce samedi 7 septembre, à Saint-Sulpice-le-Dunois.
(Ré)ensauvager le jardin. Conférence d’Hugues Mouret, samedi 7 septembre, à 16 h 30, à la salle polyvalente de Saint-Sulpice-le-Dunois. Entrée libre.
Propos recueillis par François Delotte