« Cela fait 8 ans que j’attends de repartir aux Jeux. Huit ans, c’est long. Il faut continuer de s’entraîner, alors que le niveau global monte constamment et que tu toi tu vieillis. »
Il a beau être dans la force de l’âge, Mathieu Bosredon, 34 ans en novembre prochain, ne peut pas s’empêcher d’avoir un œil sur cette fichue pendule qui ne s’arrête pas de tourner.
Quatrième aux Paralympiques de Rio (2016), il n’a pas pu prendre sa revanche à Tokyo. Pas sélectionné pour ces Jeux décalés d’un an à cause du Covid. « On n’avait que sept places. Sauf qu’à l’hiver 2021 sont arrivés énormément de nouveaux, hyperperformants, notamment sur piste. Pendant le Covid, ils avaient pu avoir des temps de référence sur piste alors que nous, nous ne pouvions pas rouler sur route. Les sélectionneurs ont préféré envoyer des pistards », rembobine celui qui s’est retrouvé cloué dans un fauteuil, à l’âge de 4 ans, suite à un hématome dans le dos.
« Il a comprimé la moelle épinière en D7. J’ai végété pendant cinq jours aux urgences à Brive avant qu’on ne m’envoie sur Limoges. Le diagnostic a été posé en 30 minutes et il a été violent pour mes parents. “Votre fils sera paraplégique, il ne remarchera jamais”. » Il a alors dû faire preuve de résilience, pour employer un terme à la mode, et de patience, pour apprendre à vivre autrement.
« J’ai ressenti beaucoup de colère. Au début, j’étais dans le refus du fauteuil. Ça a vite passé. Je suis parti deux ans en centre de rééducation à Saint-Trojan, sur l’île d’Oléron. J’ai dû réapprendre les gestes du quotidien, à utiliser le fauteuil. J’en suis sorti une fois appris ce que je devais apprendre sur le handicap. »
Le Corrézien est alors retourné à son école, à Yssandon. « Cela a été une chance d’être dans une école de campagne où les gens sont très humains. L’école, cela a été le premier défi de l’intégration. Après, j’ai démarré le sport à 6 ans, pour avoir une vie la plus normale possible. »
Son programme : aujourd’hui : course contre-la-montre, départs entre 14 heures et 17 heures. Demain, course en ligne, départ à 16 h 05. Samedi, relais par équipes mixte, départs entre 14 heures et 17 heures.
D’abord la natation. « Quand tu n’as plus de jambes, tu te sens bien dans l’eau. J’ai découvert que j’étais compétiteur, même si en natation je n’étais pas très bon. » Puis le handbike, à 13 ans, par l’intermédiaire d’une association qu’il préside aujourd’hui, Aventure handicap, et qui organise des raids en France et à l’étranger sous forme de relais entre valides et handicapés.
10, 20, 30 et aujourd'hui plus de 40 km/h de moyenneSon premier handbike ? « Un char d’assaut. Il faisait 25 kilos. J’ai commencé à m’entraîner avec mon père, sur le tour d’Yssandon. On avait un petit circuit de 15 km. Il me suivait en courant. »
Puis Christian Gaillard, président du club handisport pays vert, et fan de cyclisme, a pris le relais. Cela a ensuite été Laurent Lagier, un triathlète. « Il m’a fait progresser. Je suis passé de 10 km/h de moyenne à 20, 30. Aujourd’hui, je fais du plus de 40. Ça ne s’est pas fait comme ça. »
À 18 ans, il connaît sa première sélection en Équipe de France, ma première confrontation au niveau international. « J’ai pris une belle dérouillée. Un bon quart d’heure dans les carreaux. J’ai pris conscience qu’il fallait se professionnaliser, être plus sérieux. »
« Après Rio, j’ai mis trois ans à redevenir performant »Ce qu’il a fait. Les résultats ont suivi. Top 10, top 5, jusqu’à son premier podium en Coupe du monde en 2013 et les Paralympiques de Rio. « Après le Brésil, il a fallu se réadapter. Le niveau avait considérablement augmenté. J’ai mis trois ans à redevenir performant. À chaque Paralympiade, on voit que le niveau augmente. C’est bien, c’est plus intéressant d’un point de vue médiatique. On commence à avoir des courses qui ont de la gueule. »
À 34 ans, il est toujours dans la course. « Avec le recul, j’aimerais avoir 20 ans aujourd’hui. Savoir ce qu’il faut faire, comment le faire. Notre génération, on a dû tout apprendre. Ceux qui arrivent aujourd’hui bénéficient de tout ce que l’on a testé, des grandes roues, des petites, des entraînements différents… Nous, on n’avait même pas idée qu’on puisse aller si vite. Quand, à 20 ans, j’ai vu le premier mec rouler à 36 de moyenne, j’ai trouvé ça incroyable. Aujourd’hui, je roule à 40 pendant 2 heures. »
« Heureux d’être à ce niveau avec potentiellement ma plus grande chance de médaille », Mathieu Bosredon s’est préparé pour Paris 2024 avec Guillaume Toffoli, doctorant en science du sport. « Aujourd’hui, j’ai plus de puissance, d’endurance. J’ai progressé sur tous les aspects, sauf les valeurs maximales au sprint qui baissent avec l’âge. » S’il a fait toute sa préparation en Corrèze, il est évidemment « monté » à Paris reconnaître le parcours. « Je le connais par cœur, ce circuit avec deux grosses bosses. Je sais ce qui va se passer », souffle celui ne dirait pas non à une arrivée en solitaire. « Si tu arrives tout seul, tu as 100 % de chances de gagner. Si tu arrives à dix, tu lances une pièce en l’air. » Lui, ne veut plus rien laisser au hasard.
Texte : Pascal Goumy Photos : Stéphanie Para