Cette fois, Jean-Michel Blanquer a devancé la rentrée des classes avec la sortie de son livre « La Citadelle » (Albin Michel), où il n’est pas tendre avec Emmanuel Macron et le tournant que prend le second quinquennat. Entretien avec l’ex-ministre de l’Éducation nationale, professeur agrégé de droit public à Université Panthéon-Assas, président de Terra Academia et fondateur du Laboratoire de la République, qui vient de boucler ses journées de rentrée à Autun (Saône-et-Loire) et vise à donner corps aux valeurs de la République, notamment à destination des jeunes des territoires ruraux.
Pourquoi ce titre « La Citadelle » ?« Pour deux raisons : l’une positive, l’autre négative. La citadelle est une métaphore du risque d’enfermement du pouvoir sur lui-même. On a un premier quinquennat qui part de façon assez lumineuse puis s’assombrit ensuite. Mais on retrouve aussi un aspect positif dans la philosophie stoïcienne de Marc Aurèle quand il parle de cette citadelle intérieure qu’on doit tous avoir afin de traverser les difficultés de la vie. Je mets en exergue une citation d’Antoine de Saint-Exupéry dans Citadelle qui évoque cette double dimension : “Le pouvoir s’il est amour de la domination, je le juge ambition stupide. Mais s’il est acte de créateur et exercice de la création, alors le pouvoir, je le célèbre”.
Un pouvoir trop concentré ?« Parfois, il faut une concentration, une certaine force du pouvoir. L’exemple type, c’est la crise sanitaire où Emmanuel Macron a concentré les pouvoirs de manière légitime, pour prendre des décisions de manière rapide et efficace. Mais notre société a aussi besoin de respirer. Et surtout l’exercice du pouvoir sous la Ve République doit se faire davantage en respectant à la fois la collégialité gouvernementale et les différents secteurs intermédiaires ».
Le quinquennat s’est-il abîmé ?« Il s’est joué quelque chose d’un peu bizarre au moment de la réélection qui se voyait déjà un peu avant et relève d’un manque de boussole de la part du Président alors qu’elle existait lors du premier quinquennat. Il y a un contraste fort entre les deux quinquennats. Il est très important de garder un cap. C’est d’ailleurs ce qu’il faut faire en matière d’éducation ».
Un peu de nostalgie en cette rentrée ?« En tant qu’ex-ministre de l’Éducation nationale, j’ai vécu beaucoup de rentrées donc j’ai un réservoir intérieur qui m’évite la nostalgie, mais c’est toujours un moment émouvant que j’aime. C’est, à chaque fois, comme un printemps, une renaissance. La rentrée, c’est l’illustration d’un esprit d’équipe. C’est en soi l’une des plus grandes illustrations de la République. Je me souviens de la qualité de mes professeurs à l’école primaire qui m’ont donné l’essentiel : la structuration de la pensée à travers les mathématiques, la grammaire, la littérature. J’ai toujours voulu avec force que tous les enfants de France partagent ces savoirs fondamentaux ».
De quoi êtes-vous le plus fier ?« Ministre, ma priorité était le rebond de l’école primaire. Peu de gens le savent, mais nous sommes un pays qui a amorcé son rebond du niveau à l’école primaire, visible à travers nos évaluations nationales et par l’évaluation internationale Pirls. J’explique dans mon livre comment on en est arrivé là. Il est important d’approfondir tous les facteurs qui nous ont permis ce rebond : dédoublement des classes dans les secteurs les plus défavorisés, évaluations de début d’année, plan de formation des professeurs en français et en mathématiques, priorité budgétaire à l’école primaire. Ces quatre éléments étant les marqueurs du premier quinquennat. Énormément de choses se jouent dans les premières années de la vie ».
Comment va la République ?« Elle va bien sous certains angles et mal sous d’autres. La République, c’est l’air que nous respirons. Nous sommes habitués aux libertés, à des bienfaits qui ont été rares dans l’histoire et le sont encore malheureusement dans le monde contemporain. Quand on voit ce qui se passe en Afghanistan ou en Iran, on comprend bien que la liberté est un bien précieux qui n’est pas donné pour toujours. Il faut toujours être prêts à se battre pour elle. Le premier des synonymes de République, c’est Liberté ».
Photo Pascal Proust
Des regrets d’ex-ministre ?« J’ai beaucoup réformé l’école et le lycée, j’en suis fier. Moins le collège, hormis la mesure “devoirs faits”. À présent, il faut faire évoluer le collège. Concernant les groupes de niveau, quand c’est pragmatique et adapté aux besoins de chaque élève et de chaque établissement, c’est toujours bon ».
Le Laboratoire de la République, un think tank de plus ?Son ambition : « donner un caractère concret aux valeurs de la République ». « On peut avoir une vision de ce qui peut améliorer la société, de ce qui peut constituer les politiques publiques du futur au travers de l’idée républicaine. Il ne faut pas laisser le monopole du débat d’idées aux extrêmes, ce qui malheureusement est souvent le cas. Or, la vie des idées a un impact concret ensuite sur la vie concrète. Donner plus de vitalité à ce débat d’idées de façon transversale à la gauche et à la droite et avec comme objectif de se diriger vers les jeunes car il faut renouveler leur engagement pour faire en sorte qu’ils ne soient pas attirés par les extrêmes, le communautarisme, l’individualisme… »
Les territoires ruraux, une priorité ?« Le sujet de l’égalité des territoires est central. On doit éviter la métropolisation du monde, de notre pays et faire en sorte qu’il y ait un renouveau – démographique, économique, politique et culturel… – des territoires qui se sentent abandonnés. C’est pour cela que nous allons nous adresser beaucoup à la jeunesse rurale ces prochains temps pour contribuer à ce qu’elle soit engagée, qu’elle prenne des responsabilités municipales, civiques… et qu’elle ait aussi le cadre conceptuel pour agir avec efficacité et donner ce qu’elle a de meilleur en elle plutôt que de la laisser aux mains d’embrigadements négatifs, entre radicalités politiques ou religieuses, drogue, délinquance, phénomène de bandes… Des antennes ont été créées dans des universités et on ambitionne de le faire dans des quartiers et des villages pour stimuler l’engagement républicain des élèves… euh des jeunes pardon, ce sont mes vieux réflexes ! »Photo Pascal Proust
Oui mais la société est individualiste« C’est justement parce que la société est travaillée par l’individualisme, le matérialisme technologique, le communautarisme, l’extrémisme, par ces tendances qui peuvent la fragmenter qu’il faut créer ce qui favorise la fraternité, le débat entre des points de vue différents mais toujours en respectant les autres. Autant de choses qui manquent aujourd’hui où il y a beaucoup d’immédiateté, de nervosité, de brutalité parfois même. Il y a une perte de sens aujourd’hui liée au repli sur soi. On doit redonner aux jeunes le sens du collectif, de l’équipe. Ce sont des valeurs qui ont encore beaucoup de force. On le voit avec l’exaltation autour des Jeux olympiques et de l’esprit sportif. Ce sont des valeurs comparables qu’il s’agit de diffuser dans la société dans d’autres domaines, à savoir des valeurs d’équipe et de recherche du bien commun ».
Quid de l’IA ?« L‘intelligence artificielle a pris plus de place dans le système éducatif grâce à l’instauration de la nouvelle discipline “Numérique et sciences informatiques” au lycée. Elle va avoir un impact pédagogique de plus en plus important. Les professeurs pourront l’utiliser pour augmenter leurs possibilités pédagogiques. Il existe un bon usage de l’IA. Mais comme toujours avec les nouvelles technologies, il y a le meilleur et le pire qui se profilent, comme le fait que des élèves utilisent l’IA pour travailler à leur place ».
Propos recueillis par Florence Chédotal
A lire. « La Citadelle », par Jean-Michel Blanquer (Albin Michel).
