Il est 9 h 30 en cette fin du mois d’août, au parc animalier d’Auvergne, à Ardes-sur-Couze. Quelques voitures sont garées sur le parking en contrebas. Casquettes sur la tête et sac à dos, des familles commencent à arriver. L’accueil se fait par les chants des gibbons, une famille de primates hominoïdes. Le décor est posé. Comme si on récupérait notre âme d’enfant en arrivant au parc. Et pour l’entretenir tout au long de la matinée, immersion avec Hélène, soigneuse, et des vétérinaires du parc animalier.
Première étape de la tournée matinale (et pas des moindres), le puçage et sexage d’un bébé lémur couronné. Pour épauler Hélène, Denis et Chloé arrivent en renfort. Ils sont tous les deux vétérinaires. La tâche est délicate : il faut réussir à attraper le petit animal sous les cris d’alerte de ses parents et de ses camarades. "Ils sentent qu’il se passe quelque chose…", analysent les deux vétérinaires. Quelques minutes et des galères plus tard, le bébé est capturé par les vétérinaires. Verdict : le petit pèse entre 700 et 800 grammes. Mais pas de certitude complète sur son sexe… "On est à 95 % sûrs que c’est un mâle, mais on ne sait jamais", indique Denis. Le petit lémur est relâché et retrouve ses parents.
"Plus d'imprévus que de journées prévues"Des matinées comme ça, Chloé adore. En fait, c’est son métier de manière générale qu’elle adore. Surtout dans un tel endroit, qui prend à cœur la protection des espèces menacées (le parc héberge 350 animaux de 60 espèces rares et menacées). C’est ce qui fait sa force. "On travaille ici pour la conservation. Naïvement, à la base, nous sommes des gens qui veulent sauver le monde et la planète", sourit Chloé.
Elle ajoute : "Ce qui est bien ici, c’est qu’on fait tout. Il y a plusieurs disciplines. Le matin, on peut anesthésier un animal, puis poser une attelle sur un oisillon avec un capuchon d’aiguille, et l’après-midi, réfléchir sur l’architecture des enclos avec l’équipe. Les journées sont tellement différentes." Hélène reprend : "Il y a même plus d’imprévus que de journées prévues !" Les soigneurs ont un rôle essentiel : ils vont observer, analyser les comportements d’un animal et prévenir le vétérinaire en cas d’altération de sa santé.
Il faut avoir un bon œil pour jeter de la nourriture aux primates ! Ici à l’œuvre, Hélène, jeune soigneuse.
Une "attache" profonde10 h 30. Le soleil cogne de plus en plus. Pour l’équipe du parc, c’est l’heure de faire le point. Sur la table, à côté des talkies-walkies, des gaufrettes et des tasses de café. Certains sont sur le pont depuis 7 heures. D’autres depuis 9 h 30. Ces réunions leur permettent de tenir l’équipe au courant des dernières nouvelles concernant les animaux.
Denis, le vétérinaire, revient sur le sexage du bébé lémur couronné en début de matinée. "On a l’impression d’avoir vu des bourses, donc on est quasiment sûrs que c’est un mâle. Mais en même temps, à cet âge, la vulve et le clitoris sont assez développés. Mais bon, ça vaudra le coup de revérifier un peu plus tard." Il continue son tour d’horizon : "Le bébé alpaga né il n’y a pas longtemps, on ne va pas le garder. On va le confier à quelqu’un à l’extérieur du parc" ; "Les trois œufs de paon que l’on a récupérés continuent à pousser."
Après la réunion, Hélène part de son côté, direction l’île aux primates. L’occasion de revenir avec elle sur le choix de son métier. L’exemple parfait qu’il n’y a presque jamais rien d’inné dans ce travail. "Il y a plus de cinq ans, j’étais au Conservatoire de musique, je jouais du saxophone. Et puis lors d’un voyage à Lisbonne, je suis allée à l’aquarium. J’ai vu un monsieur laver les vitres des loutres. Je me suis dit : 'Il a trop de la chance, je veux faire ça !' Deux mois plus tard, j’avais quitté le Conservatoire." Et puis la machine est lancée. Hélène rejoint le parc animalier d’Auvergne en 2020.
Elle avait fait l'objet d'un épisode du documentaire réalisé par le service vidéo du journal l'hiver dernier.
La soigneuse récupère dans sa voiturette des bassines de nourriture pour les gibbons, aux petits noms de "GG" - pour "Gibbon gentil" - et "Jojo". Au menu : endives et courgettes. Les deux ont 50 ans, au maximum de leur espérance de vie. "Un bel âge !", pointe Hélène. Encore faut-il les trouver… "Le jeu du matin, c’est de chercher les primates dans les arbres !" La tête blanche de "Jojo" surgit. Sur la pancarte à l’entrée de la cabane, on peut lire "Espèce en danger critique". Rappel du fil conducteur des soigneurs : l’engagement auprès des espèces rares et menacées.
Au fil des années s’est installée une relation de confiance entre les primates et la soigneuse. "On suit l’évolution des animaux, depuis leur naissance jusqu’à leur mort pour résumer", poursuit-elle. Sa tournée est indispensable : elle permet de s’assurer que les animaux vont bien et de vérifier l’état des enclos. Selon Hélène, le métier de soigneur animalier est trop souvent idéalisé. "Plusieurs fois, je me suis demandé si je voulais rester et continuer de faire tout ça.
Mais dès que je suis devant les animaux, je me dis que je dois rester, je les aime trop ! Il y a de l’attache par rapport aux autres boulots. C’est pour cela que les soigneurs sont là, malgré le froid, les difficultés…"
Après les primates, changement d’ambiance avec les loutres. Impossible de ne pas craquer. Elles sont alertes : dès qu’elles aperçoivent Hélène avec la nourriture, elles se dressent et couinent. Après un détour par les paresseux et les tatous, Hélène achève sa tournée matinale par le nettoyage. "La partie la moins fun", concède-t-elle. Mais pour autant incontournable, car nettoyer lui occupe 85 % de sa matinée.
Les gamelles sont rangées, les éponges essorées. Hélène repart et sera à l’œuvre jusqu’à la fermeture du parc, 19 heures ce jour-là. Un quotidien qu’elle ne lâcherait pour rien au monde.
Protection des pandas roux. Le 15 septembre prochain, le fonds de dotation Play for Nature organise la première édition du loto des pandas roux. L'intégralité des fonds récoltés lors de cet événement sera reversée à l'association Red Panda Network, qui œuvre au Népal pour la protection de cette espèce. Rendez-vous à partir de 14 heures au Manoir des rêves sauvages, à Parentignat ; 3 € le carton.
Et si vous aussi vous deveniez soigneur??
Le temps d’une demi-journée, le parc animalier d’Auvergne propose de vivre une expérience immersive : celle de devenir soigneur animalier. Seul, en duo ou en trio, l’idée est d’aller au plus près des pensionnaires du parc : visite des coulisses, nourrissages, observation des individus… Quatre programmes sont possibles (deux de 9 heures à midi, deux de 14 heures à 17 heures). Plus d’informations sur parcanimalierdauvergne.fr
En revanche, si être soigneur vous tente vraiment, Chloé, vétérinaire au parc, donne quelques conseils : « Il faut être débrouillard et persévérant. » Il n’existe pas de diplôme officiel pour devenir soigneur animalier, plusieurs portes d’entrées sont possibles. Parfois, il suffit d’une révélation. Comme Hélène, qui travaille au parc depuis quatre ans, et son expérience à l’aquarium de Lisbonne (lire ci-dessus).
Texte : Adrien Fillon - Photos : Frédéric Marquet
