Le digital a transformé le visage des industries culturelles et créatives (ICC) et continue de le faire. Les possibilités et les pratiques ne cessent d'évoluer, ouvrant des marchés jusque-là inexplorés, transformant les modes de production et de diffusion. Artistes, créateurs, professionnels du domaine, institutions culturelles, grand public... le digital impacte les habitudes de nombreux acteurs des ICC. Il présente également des opportunités pour faciliter l'accès à l'éducation artistique et culturelle, et agit comme un catalyseur pour l'innovation et la croissance. Pour les ICC, c'est devenu un facteur déterminant de leur épanouissement et leur dynamisme.
Quatre acteurs du secteur étaient invités à partager leur expertise en matière d'utilisation du digital sur le plateau Big média, lors de Big 9, en octobre 2023 à l'Accor Arena Paris. Leurs activités, diverses, et leurs expériences, complémentaires, nous donnent un bel aperçu du rôle du digital dans le secteur et des nouvelles voies de la création artistique et culturelle.
Marjorie du Manoir, directrice de la rédaction chez Konbini
La directrice de la rédaction de ce média, fondé à Paris en 2008 par David Creuzot et Lucie Beudet, anime ce débat. Konbini est un média en ligne qui se distingue par une forte présence sur les réseaux sociaux et s'adresse principalement aux jeunes adultes, âgés de 18 à 30 ans. Le contenu, orienté vers la pop culture, aborde des sujets d'actualité sociale et politique, le sport, la technologie, et couvre la plupart des verticales des ICC notamment la musique, la mode, le cinéma et les séries, et met en lumière des artistes émergents.
Dylan Suillaud, réalisateur de court-métrages et film makerDylan Suillaud incarne une nouvelle génération de cinéastes qui créent du contenu spécifiquement pour TikTok et ont développé une nouvelle forme narrative parfaitement adaptée à l'ère du numérique. Après une expérience en tant que monteur vidéo pour les non moins célèbres Laink et Terracid, dont la notoriété dans le monde du jeu vidéo a explosé sur YouTube avant de se poursuivre sur Twitch, Dylan Suillaud se concentre le réseau social désormais incontournable, sur lequel il compte actuellement 1,2 million d'abonnés.
Anaelle Malka, cofondatrice du média culturel l'ElogeL'Eloge est un média de curation, où les intéressées partagent leurs coups de coeur culturels, principalement dans le domaine du spectacle vivant. Guides culturels, vidéos coulisses, décryptages, interviews, le contenu se veut ludique, passionné et authentique, pour ouvrir le théâtre, la musique, la danse, l'opéra, la lecture et le cinéma au plus grand nombre et notamment à un public jeune, amateur ou néophyte.
Romane Sarfati, directrice de la stratégie et du développement de Manifesto (Poush Manifesto)Poush est une résidence d'artistes, un lieu dédié à la création contemporaine. C'est le projet phare de Manifesto, agence de conseil et de développement de projets en faveur de la culture et des artistes.
Figure influente du monde de la culture et des arts en France, Romane Sarfati a occupé les postes de directrice générale de la manufacture de Sèvres et des Musées nationaux de Sèvres et de Limoges, conseillère au ministère de la culture et de la communication, directrice de la culture au département de l'Essonne, directrice de cabinet de l'adjointe au maire chargée du patrimoine, responsable audiovisuel et numérique du musée du Quai Branly - Jacques Chirac, productrice de jeux vidéo, directrice de la galerie Templon. Elle est actuellement directrice de la stratégie et du développement de Manifesto.
Ruben Cohen, cofondateur de FollowCet entrepreneur français est le cofondateur de l'agence Follow, agence marketing spécialisée dans l'influence, l'accompagnement des marques et des créateurs de contenu en ligne. L'agence représente notamment les talents Paola Locatelli, Mayadorable, Sundy Jules. Ruben Cohen incarne une nouvelle génération d'entrepreneurs, qui oeuvrent à structurer le métier d'influenceur, à professionnaliser le secteur du marketing d'influence et aptes à se démarquer dans ce domaine devenu un véritable océan.
Comment les ICC trouvent leur public via le digital ?Ces quinze dernières années, les ICC ont adopté les outils digitaux comme moyen d'atteindre et d'engager leurs publics. Ces derniers ont changé de typologie et d'habitudes de consommation culturelle avec l'avènement du numérique. Ils peuvent attendre de ces nouveaux canaux qu'ils se fassent le relai des événements et rendez-vous culturels. Mais aussi, d'y découvrir des formats narratifs innovants, pensés spécifiquement pour les plateformes sur lesquelles ils passent du temps.
Réseaux sociaux : comprendre les codes et s'y investirConsacrer du temps à la plateforme sur laquelle on souhaite partager ses créations artistiques et culturelles avant se lancer, c'est ce qu'a fait Dylan Suillaud. Le réalisateur et film maker (vidéaste) au million d'abonnés sur TikTok témoignage de ses premières expériences en tant que monteur dans une agence d'influence et de son succès jusqu'aux marches du festival de Cannes : " J'ai monté beaucoup de vidéos sur TikTok, et j'ai bien regardé tout ce qui se faisait autour du film making et de la cinématographie. J'ai énormément consommé la plateforme. Quand j'ai créé mon compte et que j'ai commencé à y publier mes vidéos, je connaissais les codes et j'ai su m'y adapter très rapidement, alors l'audience a rapidement augmenté ".
Au-delà de son nombre d'abonnés, comment le créateur a-t-il trouvé son public sur TikTok ? Il explique que les musiques trend, c'est-à-dire les musiques à la mode, les musiques culte de films et les musiques qui passent à la radio, n'étaient selon lui pas utilisées à bon escient par les créateurs de contenus sur TikTok. Il a voulu aller au-delà des danses dites virales, innover, construire un contenu qui sorte du lot et capter dans le même temps un nouveau public en attente de ce type de vidéos.
Cependant, s'adapter aux us et coutumes de TikTok ne s'est pas fait en un claquement de doigts et Dylan Suillaud a mis en place quelques ajustements avant de se sentir complètement à l'aise sur le réseau social. Par exemple, le fait de filmer à l'horizontale au lieu de filmer de manière verticale. " Evidemment, comme tout le monde, je suis un habitué de la télévision et du cinéma alors il m'est arrivé, pour une vidéo, de faire l'erreur de filmer à l'horizontale comme je l'aurais fait avant. Mais bien sûr comme TikTok se regarde sur son téléphone, le vidéaste doit tourner son cadre pour filmer à la verticale ". Avec le recul cela parait logique, mais cela montre que pour trouver son public via le digital, comprendre d'une part les attentes des utilisateurs, et d'autre part les contraintes techniques de la plateforme que l'on choisit sont des éléments primordiaux.
Répondre à un besoin et trouver sa nicheEn plein confinement, la cofondatrice du média culturel l'Eloge, Constance Arnoult, partage un coup de coeur littéraire en prenant simplement son téléphone et en se filmant : c'est le point de départ d'une belle aventure pour ce média en ligne. Anaelle Malka, également cofondatrice, résume : " Nous avons réalisé qu'il y avait une forte demande de recommandations culturelles sur Instagram. Nous avons voulu que l'Eloge y réponde, et reflète aussi notre propre consommation culturelle ".
Comment identifier son audience dans le secteur des ICC, savoir ce qu'elle aime et ce qu'elle attend ? Pour Anaelle Malka, " c'est souvent une question d'équilibre entre ce que l'on a envie de dire et ce que l'audience veut qu'on lui dise ". Pour la cofondatrice, positionnée sur l'activité très spécifique qu'est parler de culture classique sur Instagram, une entreprise des ICC qui souhaite se développer doit trouver sa niche et s'y adresser avec authenticité : " Tant qu'on parle avec le coeur, les gens auront envie d'écouter ", affirme-t-elle.
Faire venir le publicLa magie du digital ? Se rencontrer in real life ! (dans la vraie vie). Les industries culturelles et créatives se vivent physiquement, dans des lieux. Le digital est un moyen d'y parvenir.
Provoquer la venue du public, c'est l'objectif que défend Romane Sarfati dans la stratégie d'utilisation du digital de Poush (projet phare de Manifesto, fondé par Hervé Digne et Laure Colliex en 2015 dont elle est la directrice du développement). Comment partager leur passion personnelle et professionnelle pour l'art, faire venir les gens, orchestrer la rencontre entre l'art et celles et ceux qui l'aiment ? Le digital y joue pour beaucoup. " Les réseaux sociaux, et notamment Instagram, sont des outils majeurs pour faire venir le grand public et mettre en relation les artistes et les professionnels, avec cette idée de communauté. Cette mise en réseau fonctionne très bien ", détaille Romane Sarfati.
L'incarnation, un levier essentiel pour trouver son public et l'engagerUne fois que l'on a trouvé le bon public, comment l'engager sur le long terme ? La réponse se trouve peut-être du côté de l'incarnation de son contenu. Aucun doute pour Ruben Cohen : " La culture et l'influence font bon ménage ", et c'est même cette dernière qui va favoriser des habitudes de consommation culturelle comme la lecture. Une tendance qui se vérifie par l'utilisation du hashtag booktok (TikTok et book). Pour l'entrepreneur, dans l'océan que représente le digital et notamment TikTok, on voit apparaitre de nouvelles catégories de créateurs de contenu qui ont un point commun : les personnes incarnent leur message. L'intéressé précise que dans le secteur des industries culturelles et créatives, le public y sera plus sensible et sera donc plus facilement invité à lire, mais aussi à aller au théâtre ou au cinéma...
Globalement, l'utilisation du digital dans les industries culturelles et créatives permet de démultiplier l'accès à la culture et à l'offre des ICC. Tantôt outils de communication, tantôt vecteurs de formats innovants, ils ont pour objectif de faire venir et d'engager durablement. Et vous, utilisez-vous le digital à bon escient ?
Cet article a été publié initialement sur Big Média Quel est le rôle du digital dans le développement des industries culturelles et créatives ?