Jesse Owens, des miles et des miles
Nous voilà dans une fresque graphique, avec un ton et un dessin qui font de cette biographie de Jesse Owens un magnifique objet de découverte, d’une rare originalité. Originaire de Serbie, l’auteur Gradimir Smudja livre le récit d’une ascension sportive qui a peu d’équivalents dans l’histoire, tout en insistant sur le racisme profond de la société américaine, que même les quatre médailles d’or glanées par Owens sous les yeux d’Adolf Hitler, lors des Jeux de 1936 à Berlin, ne permettent pas d’infléchir. Et l’auteur le fait avec l’aide d’un narrateur surprenant et espiègle, un chat ange gardien du jeune garçon puis de l’athlète, qui permet un subtil décalage humoristique. On a bien aimé les pages qui racontent les débuts difficiles d‘Owens et aussi celles qui insistent sur l’amitié du champion américain avec Luz Long, champion allemand plein d’humanité et alter ego d’Owens aux JO de Berlin. Le dessin de Smudja est poétique et tout à la fois précis pour donner à voir la gestuelle parfaite de l’athlète.
"Jesse Owens, des miles et des miles" De Gradimir Smudja, chez Futuropolis, 128 pages, 24 euros
Un dernier tour de terrain
L’Espagne, le pays du Real de Madrid, où tout agent espère, un jour, placer l’une de ses pépites dénichée dans un club de seconde zone. C’est le cas de Beni, gros nez, grosses lunettes et grande détermination, qui trouve dans Fali un joueur d’avenir, jusqu’à ce que tout s’effondre. On retrouve Beni quelques années plus tard, agent vieille école dans le foot moderne, qui essaie pourtant de se refaire la cerise avec un joueur très bas du casque, qui a préféré un jour flirter avec les lignes de cocaïne plutôt qu’avec la ligne de but. L’agent est resté proche de Fali et vit une relation difficile avec sa fille, devenue arbitre pro. Au scénario, Álvaro Velasco et Iñaki San Román savent de quoi ils parlent et, au dessin, Pedro Rodríguez peint un univers semi-réaliste qui nous rend tous les personnages, Beni, Fali et sa fille, très attachants.
"Un dernier tour de terrain" Álvaro Velasco, Iñaki San Román, Pedro Rodríguez, Éditions Aventuriers d’Ailleurs, 17,90 euros
Plus vite, plus haut, plus sport !Julien Hervieux s’attaque à présent au sport avec son style bien particulier, attaché aux petites choses qui font tout le sel des événements historiques, (Le Petit théâtre des opérations, c’est lui). Là, avec le concours d’une joyeuse équipe de dessinateurs, il nous conte quelques histoires de sport qui ne sont pas, justement, dans les livres d’histoire du sport. le catcheur Raoul Paoli, la vie de Roland Garros, celle de l’archère Kathuna Lorig ou encore Duke, le père du surf devenu shérif d’Honolulu. Chaque histoire se termine par une page un peu plus sérieuse, car, selon la devise de Julien Hervieux, ce sont des "récits improbables, impressionnants, mais toujours vrais".
"Plus vite, plus haut, plus sport ! Les folles anecdotes de l’histoire du sport", de Julien Hervieux. Dessins de François Boucq, Merwan, luigi Critone, Julien Solé, Virginie Augustin, Nicolaï Pinheiro, Etienne leroux, Damien Geffroy, Cédric le Bihan et Fred remuzat. Chez Fluide glacial, 68 pages, 16,90 euros.
PlouhéranUn jour, Isabel Del Real décide de faire un beau voyage, à vélo parce qu’à pied c’était trop long. Elle avait un point de départ, Plouër, en Bretagne. Et un point d’arrivée, Téhéran, la capitale de l’Iran. Mais ce qui compte vraiment, comme toujours, c’est bien le voyage et pas la destination. À travers de multiples rencontres amicales, des compagnonnages attachants avec d’autres voyageurs à vélo, des introspections profondes, des doutes, des joies, Isabel Del Real réussit à nous emmener sur le porte-bagages de ses émotions. En Albanie, à Istanbul, à Erevan, dans les cols éreintants, jusqu’à la découverte de la capitale iranienne, comme une petite mort après tant d’aventures. Dans le récit, elle se demande souvent : "qu’est-ce que je fous là ?". Et elle arrive, au fil des pages, à partager avec nous ce sentiment de "se sentir vivant à dormir par terre dans les montagnes". Rajoutons que son noir et blanc est magnifique, avec des ciels dignes des mille et une nuits. Ne ratez pas ce livre.
"Plouhéran À vélo de la Bretagne à l’Iran", par Isabel Del real, chez Delcourt/Encrages, 232 pages, 25 euros
Pauvre Meuf !Actrice et vidéaste, dont la série Bouchon est diffusée sur Arte depuis le printemps 2024, Éléonore Coste est lolo, que l’on voit grandir dans cette histoire, avec et contre les hommes. Et le regard qu’ils portent sur elle, surtout.
Récit d’une émancipation féminine – plaire au père, gérer le petit ami, les rapports professionnels –, le livre dresse aussi l’autoportrait d’une femme libre et drôle, capable de s’inventer sa propre histoire, sans le concours du masculin. lolo, qui aime la moto, se dit, un jour : "J’étais au point mort de ma propre vie, entourée par ceux qui passaient les vitesses à ma place. J’allais reprendre la route, ma route." C’est un trait tout en douceur et en couleurs qui donne vie à ce récit, dans une certaine gaîté. Illustratrice belge, Aria publie là son premier album dans le circuit traditionnel de la BD. Depuis 2017, c’est sur Instagram qu’elle publie son travail (et aujourd’hui encore), sous le nom de @puffofaria.
"Pauvre Meuf" Une BD d’Eléonore Costes et Aria, chez Delcourt ; 19,50 euros
Urbance 2Format manga et récit taillé pour les amateurs de bande dessinée japonaise. Après un premier tome, publié en janvier, Joël Dos reis Viegas est de retour avec la suite des aventures de Kenzell et lesya, dans la ville de Neopolis affectée par un virus, où garçons et filles vivent séparés. Dans chacun des mondes, les deux personnages se démarquent vite, ce qui n’est pas sans leur poser de grandes difficultés. On ne va pas vous cacher qu’il n’est pas évident de se faire au format poche de cette BD, plutôt taillée pour les ados. Diplômé de l’école des Gobelins à Paris, l’auteur vit depuis plusieurs années au Canada et travaille essentiellement dans le jeu vidéo et le cinéma. Ce qui explique, sans doute, la force visuelle (mais en petit format) de sa première série manga.
Urbance T 2 De Joël Dos reis Viegas, chez Ankama, 7,95 euros
Grossir le cielC’est une BD coup de poing, peu bavarde et pourtant adaptée d’un roman, un polar de Franck Bouysse, prix SNCF du polar en 2017. Dans ce coin isolé des Cévennes, surtout quand la neige recouvre le paysage, tout le monde a ses petits secrets bien gardés. Mais au fil des pages qui vont se maculer de rouge comme une tache de sang qui se répand sur la neige vierge, tout ce que l’on pensait enfoui vient percuter un présent qui passait doucement au rythme de l’hiver. Et c’est la vie de Gus, paysan taiseux et solitaire, avec sa tête d’Indien et son regard triste, qui va basculer. Il a pour seuls amis sa télévision qui annonce la mort de l’abbé Pierre, son vieux fusil et son chien. Et un passé compliqué qui lui trotte dans la tête. Il y a aussi Abel, ce voisin que les parents interdisait de fréquenter : "De vieilles histoires, j’imagine", lâche Gus dans les premières pages, en allumant une clope. Oui, et le passé va tout chambouler.
"Grossir le ciel" De Franck Bouysse et Borris, chez Delcourt Mirages, 120 pages19,50 euros
Skull and BonesVous aimez les histoires de pirates ? Il y a ici toutes les figures imposées du genre:la cruauté, l’esprit de liberté, la quête des trésors, les trahisons, les abordages, les combats au sabre, etc. l’album est inspiré d’un jeu vidéo produit par Ubisoft, paru en février, et qui a reçu un accueil assez mitigé. Ici, l’histoire est racontée à travers le regard du jeune Waleran, qui décide de s’engager à bord du Sans-Pitié, subjugué par la figure de la belle et cruelle capitaine Dalal. le scénariste Nicolas Jarry mène bien sa barque, on ne s’ennuie pas. La mise en images de Marco Pelliccia est réussie, notamment dans les couleurs et les expressions des visages. Les ados devraient adorer.
"Skull and Bones – Sans pitié" De Nicolas Jarry et Marco Pelliccia, chez Glénat collection Ubisoft, 18 euros
Philippe Cros