Il y a toujours une petite appréhension à rencontrer quelqu’un dont on admire le travail. La peur de la déception certainement. Pas de ça chez Maud Ventura. Son intelligence a la pudeur de la bienveillance et l’échange s’étire bien au-delà du temps prévu. Et on est heureux qu’à seulement 31 ans, il lui reste tant de livres à écrire.
Commençons par la question la plus bateau possible : comment vous est venue l’idée de parler de célébrité après avoir écrit sur le couple ?J’ai une fascination depuis longtemps pour la célébrité. Il y a une dissonance cognitive en moi : j’adore la philo et les potins de stars. Chez des gens infiniment cultivés, il y a des livres de la Pléiade sur la table et dessous, Voici. J’ai eu l’intuition qu’en creusant, il y aurait quelque chose. Et plus on s’y intéresse, plus c’est vertigineux. Plus je creuse, plus je me dis c’est un sujet total. Comme l’amour dans Mon mari.
Quand on devient célèbre, tout change : le rapport aux autres, même les lieux où l’on va. Il y a quelque chose de très contemporain : les pop stars sont nos nouveaux dieux. Et en même temps, ça a toujours existé : Achille rêvait d’être célèbre.
Vous vous êtes documenté ?Beaucoup, j’ai écouté des heures d’interviews. J’ai rencontré des producteurs, des managers de très grosses stars mondiales, et aussi des célébrités. J’avais besoin d’être réaliste.
Cléo, le personnage principal, sait qu’elle sera célèbre. Elle est ambitieuse. L’opposé de la candeur.Je ne crois pas aux stars qui disent « Je ne m’y attendais pas », je n’y crois pas une seconde. Il faut une ambition dévorante, une dalle… Le quotidien est violent, on va au combat. J’adore les grands ambitieux de la littérature du XIXe siècle, les Rastignac.
Cléo est aussi touchante qu’exaspérante. Vous l’aimez ?Oui. J’ai vécu un peu plus de deux ans avec elle. J’ai beaucoup d’empathie. Mais j’ai voulu creuser ses failles, ne pas être complaisante. Les artistes vivent tout de façon démultipliée, donc il y a un risque de devenir totalement méchant ou un héros sans faille. Cléo est méchante, mais elle est aussi fidèle en amitié, talentueuse… Mais la célébrité est impalpable. Taylor Swift est-elle célèbre quand elle boit son café du matin ? C’est à la fois tout et à la fois rien.
Vous aussi, en un sens, êtes devenue célèbre avec le succès de Mon mari. Mais la célébrité littéraire est particulière, non ?C’est le luxe des écrivains. Personne ne vous reconnaît. C’est un privilège. Les gens qui passent à la télé, les chanteuses, incarnent ce qu’elles produisent. Elles sont le véhicule de ce qu’elles font. Les lecteurs, quand ils me rencontrent, se foutent de Maud Ventura. Ils s’identifient aux personnages. C’est d’eux dont ils me parlent, pas de moi.
Vous avez été surprise par le succès de Mon mari ?Cela a été très progressif. Il n’y a pas eu un avant et un après. Comme quand on reçoit un prix. Quand Jean-Baptiste Andrea reçoit le Goncourt pour Veiller sur elle – que j’ai adoré – tout change d’un coup. Mais il y a eu quelques moments quand même. Je me souviens d’un mail intitulé « Mon mari parle anglais ». Sur le moment je ne comprenais pas qu’il y allait avoir une traduction anglaise. Ou un mail dont le titre était « Oprah Winfrey », pour me dire qu’elle avait lu le livre. Oui, il y a quand même quelques moments assez fous.
Dans vos deux romans, le lecteur suit le cheminement des pensées. Nous sommes littéralement dans une psyché. Qu’est-ce qui vous fascine autant dans l’intimité de la pensée ?J’écris avant tout pour aller au bout d’un thème. Pour comprendre la célébrité, pour aller au bout d’un personnage. Ce flux de pensées, c’est pour aller au bout.Chaque chapitre, je creuse un peu plus loin. Même les personnages secondaires posent des questions. Peut-on se réjouir du succès de ses amis ? Milan Kundera, dans L’art du roman, explique la création d’ego expérimentaux. Les romans donnent accès à une vérité parcellaire, qui n’est pas celle de la philo. Il y a une contrainte d’époque, de lieu…
Comme Camus qui abordait chaque thème de travail par un triptyque : roman, essai, pièce de théâtre. Et finalement, le roman est certainement le plus difficile à écrire, parce qu’on ne peut pas dire les choses comme dans un essai. On doit les montrer, les suggérer.Oui. Le roman ne prétend pas à la vérité universelle et pourtant, on y trouve une vérité universelle.
Sans entrer dans votre intimité, vos deux romans abordent des failles communes, qui peuvent faire écho aux vôtres. Écrire aide-t-il dans ces cas-là ?Beaucoup. On résout des choses par la sublimation et l’écriture. Mon mari a été incroyablement thérapeutique par exemple. Le roman creuse là où il fait des nœuds.
Propos recueillis par Simon Antony
