Sans moissonneuse-batteuse, le labeur des fenaisons d’autrefois en Haute-Loire

En 1900, il n’y a ni moissonneuse, ni batteuse dans nos régions. On fane le foin à la faux, on moissonne le blé, à la faux ou à la faucille, et on le bat au fléau. Toutes ces pratiques appartiennent à un temps révolu qui a pris fin avec l’apparition de la faucheuse à traction animale. Puis, plus tard, celle du tracteur équipé d’une barre de coupe.

Dans le calendrier de l’année agricole, les fenaisons ouvrent la saison des gros travaux. Les foins commencent 15 jours à trois semaines plus tôt dans les régions basses du Velay. C’est au tour, ensuite, des plateaux puis de la montagne. « Il ne faut pas récolter son foin vert, avant qu’il soit mûr. » Le dicton « année de foin, année de rien » (An de fen, an de ren) ne reflète pas tout à fait la réalité : les bêtes, aux approches de l’hiver, préfèrent avoir la fenière bien garnie ! De l’avis général des anciens paysans, faucher à la faux et moissonner à la faucille sont, de tous les travaux des champs, les deux plus pénibles. Car, en 1900 en Haute-Loire, on fane à la faux et on moissonne à la faucille ! Un bon faucheur doit tout d’abord savoir « enchapeler » sa faux, autrement dit, rebattre la lame de la faux pour réduire les brèches ou la redresser. Battre sa faux est un travail minutieux : il représente facilement une heure par jour.Avant d’attaquer son pré, le paysan prépare son outil. Il la bat assis par terre, à l’entrée de sa grange, sa petite enclume fichée dans le sol, entre ses jambes. Il donne, de façon régulière, sur le fil de la faux, de légers coups mais suffisamment forts pour aplatir le fil, avec un marteau spécial, de section carrée et au bout arrondi, la massette à taper la faux (maceta).La faux « enchapelée » (c’est-à-dire dont le fil de coupe a été refait), il ne reste plus qu’à la fixer sur son manche de frêne à double poignée. C’est tout un travail, et un débutant ne saurait y arriver correctement. Il faut fixer solidement, au moyen de coins, la lame que l’on enfonce entre l’anneau de fer et le manche. C’est tout un assemblage savant qui assure à la lame une adhérence parfaite.

Pour faucher, les muscles du dos et les cuisses sont soumis à rude épreuve en raison de la position du faucheur, penché en avant et fléchissant les jambes. C’est cette position qui est pénible et non pas les coups de faux qui doivent être donnés suivant un mouvement régulier ni trop lent, ni trop rapide, ni trop haut, ni trop bas, et parallèles au sol. Et l’andain doit être large...On mesurait la force d’un faucheur dans sa capacité à faire des andains proches de deux mètres de largeur.  Le faucheur s’arrête de temps en temps pour passer, sur le tranchant, la pierre à affûter qu’il porte dans son étui, à demi rempli d’eau, accroché à la ceinture. La fenaison se poursuit ensuite avec le râteau. Ce n’est pas une sinécure que de faner tout un après-midi, sous un soleil de plomb…En dehors de la chaleur, l’ennemi numéro un pour le faneur, c’est la pluie. Il ne faut pas laisser le foin s’humidifier. Avec l’humidité et la chaleur, il risque de fermenter.Il faut scruter le ciel plutôt que de se fier à l’aiguille du baromètre. Si de gros nuages noirs apparaissent, alors que l’herbe fauchée et fanée se trouve presque sèche, il faut vite faire des tas, des « cuches » dit-on, pour réduire la quantité de foin qui sera mouillée.Dès que le soleil revient, il faut défaire les cuches, étendre le foin de nouveau, attendre qu’il sèche, « le rassembler sous forme de rouleaux (bote lo fen a rotlas) », puis le rentrer.Le faucheur tombe parfois sur quelques reptiles (aduèlh-orvet, ou bòrlhe-couleuvre) ou un nid de cailles (catlhas).

La fourche et le râteau sont les instruments avec lesquels on prépare les foins et les fourrages sur la prairie. Avec la fourche, on tourne et retourne les andains. On amoncelle, on étend le fourrage pour lui procurer une suffisante dessiccation. On le met en meule. On le porte, on l’emporte avec de grandes charrettes toujours trop chargées. Le bailaire, c’est le donneur, c’est-à-dire essentiellement celui qui fait passer, à la fourche, le foin à celui (et souvent celle) qui, juché(e) sur le char, l’y entasse. Car la personne placée sur la charrette et qui charge le foin est généralement une femme : c’est la charjarèlla. « Moi, je faisais la chargeuse et lui le donneur ; il me jetait de grosses fourchées de foin dans la figure, il me recouvrait », dit l’épouse. « Je lui disais : attends que je descende, salopard ! (Li dizià : Mes que davalle, saloparià !) ».Lorsque le foin était trop fin pour tenir dans le char, on le ramassait avec elh barròt, le barròt. C’était comme un traîneau, une luge, mais plus large et plus long, et avec des claies latérales. Il y en avait du côté du Béage. Le barròt glissait sur le gazon et entrait le foin directement dans la grange.Faucheur aiguisant sa faux avec une pierre à aiguiser ou « queue » à Craponne-sur-Arzon. L’attitude des faucheurs diffère selon les régions. Photo Musée Crozatier, fonds NautonOn pouvait aussi utiliser un traîneau à pieux, le menon, pour rassembler les gerbes lorsqu’il fallait faire des meules dans les champs. Le menon avait quatre pieux plantés (aux quatre angles) et puis un crochet devant pour le faire tirer par les bœufs avec une chaîne.Le râteau sert pour ramasser, sur la prairie, le foin et le fourrage. La fourche est à trois branches recourbées. Le râteau porte 16 rangs de dents sur deux faces : les deux sont faits en bois dur et léger. En Provence, c’est le micocoulier qui est utilisé. Dans les Cévennes, la ville de Sauve, à une vingtaine de kilomètres au sud-ouest d’Alès, était réputée. On fait aussi les râteaux en bois de hêtre et de châtaignier.Dans la région de Saint-Didier-en-Velay, à la fin des fenaisons, on devait mettre une branche sur le dernier char. Cela signifiait que tout allait être rentré dans la grange sans pluie. Cette branche conviait également tous ceux qui avaient peiné et transpiré sous le soleil, à venir faire un bon repas chez le maître de maison. n(*)Les photos du fonds Nauton conservé au musée Crozatier, ont été prises dans les années 1951-1953 par Pierre Nauton. Pierre Nauton (1912-1970), originaire de Saugues, docteur ès lettres, directeur de l’Institut de linguistique romane de la Faculté catholique de Lyon, est l’auteur de l’Atlas Linguistique et ethnographique du Massif Central, édité par le CNRS.Les citations sont issues du « Dictionnaire du parler occitan de Pradelles et des communes voisines » de Guy Marcon. Ce dictionnaire est disponible gratuitement sur demande à peyrachas@gmail.com.

Chantal et Jean-René Mestre