La saison touristique bat son plein et pourtant, certains professionnels de l’hébergement font grise mine, dans le Sancy. "Depuis Noël, on constate une perte significative de notre chiffre d’affaires, de l’ordre de 40 à 50 % sur la saison d’hiver", déplore Vincent Gigot, propriétaire depuis 2019 de l’hôtel de l’Aviation à La Bourboule. Un constat partagé par plusieurs professionnels du secteur, dont le gérant du Val Doré, établissement également situé dans la station thermale. Ayant, lui aussi, acquis sa structure en 2019, en pleine période Covid, il reconnaît ne pas avoir d’année normale de référence. Mais il a bien senti un changement que le manque de neige hivernal et l’inflation ne parviennent pas à expliquer. Pour lui, comme pour Vincent Gigot, la réponse se trouve ailleurs.Historiquement, La Bourboule est une ville d’hôtels. En effet, cette baisse de fréquentation ne concerne pas l’ensemble des acteurs touristiques du secteur, qui ont tous plus ou moins souffert du mauvais temps de juillet. "Le problème, à mon sens, déclare le propriétaire de l’hôtel de l’Aviation, c’est qu’il y a une véritable professionnalisation dans les locations de meublés type Airbnb, particulièrement depuis cette année." Une activité concurrente, gérée par des particuliers, qui empiète sur le marché de l’hôtellerie.
Professionnalisation déguisée et concurrence déloyale"Avant, les meublés étaient généralement loués par les curistes ou les vacanciers entre une et trois semaines. Maintenant, ces mêmes meublés ont adopté une stratégie beaucoup plus agressive. Ils proposent des périodes de location très courtes, allant d’une à trois nuitées, à des tarifs qui défient toute concurrence. Aujourd’hui, on peut passer une nuit à La Bourboule pour 35 € », constate le gérant du Val Doré. "On ne peut pas rivaliser avec ces tarifs. Pour une chambre double standard, dans un hôtel classique, il faut compter au minimum une cinquantaine d’euros la nuit, déclare le professionnel. On a l’impression d’une concurrence déloyale", poursuit-il. Luc Stelly, directeur de l’office de tourisme du Sancy, estime que si les tarifs sont différents, c’est parce qu’ils correspondent à des prestations différentes. "Les campings n’ont pas ce problème, affirme-t-il, car ils se sont adaptés à la présence des Airbnb. La difficulté des hôteliers, c’est de réussir à s’adapter." Un propos qui passe mal auprès des hôteliers.
On nous parle d’investissements, alors que nous, on essaye de survivre
s’agace le gérant du Val Doré. Pour ce gérant d'un établissement de 29 chambres, l’ampleur de la pratique est telle qu’elle en devient une forme de professionnalisation déguisée, plus qu’une activité d’appoint.
"Je ne comprends pas leur modèle économique, confesse-t-il. Certains font même appel à des conciergeries. Ce qui intéresse peut-être ces propriétaires, c’est de faire de l’optimisation fiscale, alors que nous, on doit payer nos salariés"
déclare-t-il. De son côté, le propriétaire de l’hôtel de l’Aviation affirme avoir injecté 100.000 € dans son affaire en 2024. Une somme conséquente, mais dont il n’a pas pu tirer le moindre bénéfice. Un autre hôtelier, qui préfère garder son anonymat, avoue même : "Moi, je suis gérant, et aujourd’hui, j’ai 23 mois de retard de salaire."
Des investisseurs se tournent vers Airbnb.Car en tant qu’établissements recevant du public (ERP), les hôtels sont soumis à des réglementations très strictes en termes d’accessibilité et de sécurité. En fonction de leur capacité d’accueil, et parce qu’ils disposent de "locaux à sommeil", ils doivent prendre certaines dispositions, parfois coûteuses (sécurité incendie, accès PMR, etc.), sont soumis à des autorisations d’ouverture et peuvent faire l’objet de contrôles d’après le code de la construction et de l’habitation (consultable en ligne sur legifrance.gouv.fr, NDLR). Obligations auxquelles échappent les propriétaires de meublés touristiques, quand bien même ils détiennent parfois plusieurs logements dans un même bâtiment, voire un immeuble entier.
Une facilité de locationPierre-François, habitant de Châtel-Guyon, travaille dans le domaine bancaire. Il a investi dans l’immobilier il y a une dizaine d’années et dispose aujourd’hui de plusieurs appartements dans le département. Quatre sont situés à Super Besse, dont trois studios dans le même immeuble. Un investissement "par amour du territoire", mais aussi, car les logements "se louent très bien dans la station". "À La Bourboule particulièrement, il y a d’anciennes structures hôtelières reprises par des investisseurs et transformées pour être louées sous forme de meublés touristiques individuels", réplique le propriétaire du Val Doré. Or, bien qu’ils deviennent alors des "bâtiments, locaux ou enceintes dans lesquels sont admises des personnes extérieures", ces immeubles composés ne sont pas considérés comme des établissements recevant du public. Une situation vécue injustement par les hôteliers, bien qu’elle soit parfaitement légale et qu’elle demeure marginale, pour Luc Stelly. "On peut aussi voir les choses d’une autre manière, affirme-t-il. Ces investisseurs ont permis à des structures laissées à l’abandon de reprendre vie, et donc de ramener de l’activité touristique à La Bourboule."
Situation préoccupante à La BourbouleMais ce flou juridique n’est pas la seule chose qui ralentit l’activité des hôteliers. Le phénomène est largement accentué par l’influence des plateformes de réservation en ligne comme Booking, qui référence les différentes locations présentes dans une ville. Alors que La Bourboule ne compte que sept établissements hôteliers, le site recense pas moins de 137 annonces pour la commune…
542 C’est le nombre de meublés touristiques en location à La Bourboule en 2024. C’est moins qu’en 2023, où il y en avait 600. Pour Luc Stelly, directeur de l’office de tourisme, "cela montre un tassement". 160 À titre de comparaison avec le chiffre précédent, c’est le nombre de chambres d’hôtel à La Bourboule en 2024 (source : Insee).
Si bien que les établissements hôteliers ont parfois la sensation que leur annonce se retrouve noyée au milieu de celles des autres types d’hébergement, dont les meublés touristiques.
Un décalage dans l'offre"Chaque propriétaire d’hôtel possède une entrée unique pour son établissement, indique le gérant du Val Doré. Mais une même personne qui propose plusieurs logements meublés, aura plusieurs annonces, même si ces logements sont situés dans le même bâtiment." Face à ces constats, les hôteliers de La Bourboule ont tenté d’étendre leurs doléances aux autres hébergeurs du Sancy. Mais tous ne partagent pas leurs inquiétudes. Du côté de Super Besse, Mathias Picard, qui gère l’hôtel Perdrix depuis 2021, n’a pas l’impression que les variations de fréquentation de son établissement aient quelque chose à voir avec la présence des quelque 3.000 meublés touristiques loués dans le secteur. "Depuis que je suis installé, nous avons eu trois bons étés. Ce mois de juillet, la baisse de fréquentation a touché tous les commerçants", analyse-t-il. Situé aux pieds des pistes, son établissement a toutefois l’avantage de bénéficier des multiples activités de la station. Au Mont-Dore, Romain Laino estime, lui, avoir "une chance extraordinaire", car après 14 ans à la tête de l’hôtel de Paris, il parvient à se maintenir à flot. "J’ai des bonnes années, des moins bonnes, mais je ne suis pas inquiet", affirme-t-il.
Régulation des meublésSi l’impact des Airbnb sur l’ensemble du massif est encore difficile à évaluer, une menace très concrète plane sur La Bourboule.
"Nous estimons que si rien n’est fait dès à présent, dans deux ans, il pourrait ne plus y avoir d’hôtel dans la commune"
déplore le gérant de l’Aviation. Or, rappelle Luc Stelly, "c’est une des forces du Sancy de proposer différents types et gammes d’hébergements". C’est aussi et surtout l’un des critères pour le renouvellement du label Station de tourisme, qui octroie à La Bourboule une enveloppe annuelle de 900.000 €. Parmi les critères nécessaires à l’obtention de ce label, "70 % des hébergements de la commune doivent être classés (étoilés, NDLR). Or, aujourd’hui, nous sommes autour de 30 % à La Bourboule", évoque Vincent Gigot.
Dans l'attente d'une loiRencontré par les hôteliers, François Constantin, le maire de la station, se désole de son impuissance. "Il a connaissance de nos problèmes, mais faute de moyens, n’est pas en mesure d’apporter des solutions", explique Vincent Gigot. Car tout se joue au niveau national. À ce jour, "dans la loi, il n’y a aucun moyen de mettre sous contrôle ces meublés", relate l’hôtelier. Or, une loi "visant à renforcer les outils de régulation des meublés de tourisme à l’échelle locale" (vie-publique.fr, NDLR) aurait dû voir le jour avant l’été. Mais la dissolution de l’Assemblée nationale a interrompu le processus. Adoptée par le Sénat au mois de mai, la proposition de loi aurait dû faire l’objet d’une commission mixte paritaire afin que son texte soit définitivement adopté. Quelles auraient été, alors, les marges de manœuvre des élus locaux ? Faudrait-il simplement interdire la location de moins de trois jours sur les meublés touristiques gérés par les particuliers, afin de préserver le cœur de métier des hôteliers ? Luc Stelly pense que oui. À ses yeux, il faudrait "redéfinir les rôles de chaque hébergement". Une mesure qui, si elle pourrait être mise en place très rapidement dans le secteur, semble, toutefois, loin de voir le jour.
Elora Mazzini