Au cœur de l’été à Clermont-Ferrand, une piscine à la drôle d’allure ne manque pas d’accueillir le public qui profite d’une journée ensoleillée et d’une température plutôt élevée pour s’y rafraîchir.
« J’aime beaucoup cette piscine, souffle Monique, une habituée des lieux. Elle est à taille humaine, la rendant très conviviale, familiale et elle dispose aussi d’un certain charme grâce à cette forme en champignon. L’hiver, elle est totalement fermée et l’été, elle a ce toit ouvrant qui laisse passer les rayons de soleil. »
Cette piscine à la forme atypique, donnant l’impression de par sa structure qu’une soucoupe volante s’est posée dans ce quartier de la capitale auvergnate, a été conçue au cœur des années 70 dans le cadre du plan gouvernemental baptisé « 1.000 piscines ». Un petit plongeon dans le temps s’impose pour quelques explications…
En 1968, lors des Jeux olympiques de Mexico, l’équipe de France de natation crée la déception en raison de la faiblesse de ses résultats. Seul un nageur décroche une médaille, Alain Mosconi sur le 400 mètres nage libre, avec le bronze. En parallèle, le pays subit de trop nombreux cas tragiques de noyades sur ses cours d’eau.
Lancement du programme « 1.000 piscines »Au vu de la situation, le général de Gaulle, Président de l’époque, demande donc à Joseph Comiti, alors secrétaire d'État chargé de la Jeunesse et des sports, de prendre des mesures et de lancer un grand plan de construction de piscines sur le territoire afin de favoriser l’apprentissage de la natation. Une initiative indispensable car à l’époque la France comptait sur son territoire 200 piscines dont seulement 60 couvertes.
Le pari est donc lancé pour l’État français : « dans cinq ans, tous les jeunes français sauront nager » grâce à un rattrapage d’équipement. Il faut donc construire vite et à moindre coût. Plusieurs architectes se jettent à l’eau pour répondre à l’appel d’offres. Deux projets en particulier font surface, le type « Caneton » proposé par le cabinet d’architectes d’Alain Charvier, Jean-Paul Aigrot, et Franc Charas et le type « Tournesol » conçu par l’architecte Bernard Schoeller, assisté de l’ingénieur Thémis Constantinidis.
Les piscines Tournesol se caractérisent par leur structure arrondie et leur toit en forme de coupole, soutenu par 36 arches métalliques. Des coques en polyester, appelées “tuiles” et dotées de hublots, permettant d’ouvrir deux arches à 60 degrés pour profiter de la piscine quand le soleil est là. Un système rappelant l’héliotropisme du tournesol (d’où son nom).
Son système d'arche permet une ouverture l'été. Photo Noa Thevenin
La base du modèle a un diamètre de 35 mètres, avec un bassin mesurant 25 mètres de long sur 10 mètres de large. Le plastique, allié à la structure métallique, offre des possibilités techniques de préfabrication industrielle de tous ces éléments permettant une construction de ce type de piscine en série. « Au total, ce sont 181 piscines Tournesol qui vont sortir de terre un peu partout en France (et même deux au Luxembourg), dans un temps record en quelques années. Par exemple, à Clermont-Ferrand, trois mois seulement avaient été nécessaires pour monter cette piscine complètement livrée en kit en 1976 », détaille Catherine Carton, chargée de mission candidature Label Pays d’art et d’histoire à Clermont-Ferrand.
La piscine Jacques-Magnier à Clermont-Ferrand sortant de terre en 1976. Photo d'archive La Montagne Jean-Michel Lebaulch.
En voie de disparition ?Toutefois, ce système de piscine préfabriquée connaît une limite : sa durée de vie. Ces équipements, qui ont su remplir leur mission, ont fait leur temps. Passoire énergétique, vieillissement rapide des matériaux bon marché et un design rétro-futuriste qui n’est plus dans l’ère du temps, ont eu raison d’elles. « 75 de ces piscines ont été détruites à ce jour. 41 ont été reconstruites, en gardant parfois l’aspect coupole, dix sont fermées définitivement, parfois dans une perspective de réhabilitation. Quatre ont été transformées en salle de sport », énumère Catherine Carton.
Il faut dire que, de nos jours, il n’est pas forcément simple d’entretenir au quotidien une « Tournesol », comme l’explique Bruno Oculy, directeur adjoint de la piscine Tournesol Jacques-Magnier à Clermont-Ferrand :
En France, il existe seulement une seule entreprise qui est capable d’assurer l’entretien de ce type de structure. Les panneaux ne se fabriquent plus. Il faut parfois faire preuve d’ingéniosité pour assurer certaines réparations ou améliorations. Par exemple, la coupole formait une grande caisse de résonance et pour atténuer cette nuisance sonore, des panneaux suspendus ont été installés afin qu’ils absorbent le bruit. Pour contrer sa faiblesse en termes d’isolation thermique, nous allons prochainement poser une jupe qui fera le tour de la structure.
Dans le patrimoine et le cœur des FrançaisLes piscines Tournesol sont-elles donc en danger ? Peut-être pas pour toutes celles qui restent encore. Il semblerait qu’un mouvement nostalgique flotte dans l’air accompagné d’une vague de reconnaissance architecturale. Comme en témoigne le jeune architecte Julien Beneyt et cofondateur de l’association Tournesol clubs :
Nous sommes trois passionnés à nous être investis dans cette aventure. Avec moi, il y a Solène Vincens, créatrice du compte Instagram @laffairetournesol et Julien Recours, collectionneur de vestiges du futur, fondateur de la galerie d’art Recours Exploration. Solène et moi avons tous deux appris à nager dans une piscine Tournesol, c’est une partie de notre enfance. Nous nous sommes rendus compte que nous n’étions pas les seuls à avoir cet attachement pour cet équipement réalisé par l’architecte Bernard Schoeller. C’est un objet hyper bien pensé qui correspondait à une attente de l’époque et qui n’était pas vraiment faite pour durer. Ainsi, avec notre association, nous militons pour que celles qui sont encore là aujourd’hui, restent. Nous prenons contact avec les collectivités et nous les accompagnons afin qu’elles soient préservées et qu’elles gardent au moins leur structure, et donc l’esprit de base.
Et les exemples ne manquent pas… À Loos, dans la métropole lilloise, un grand dojo a été créé en lieu et place de l’ancienne piscine Tournesol. Le bâtiment, la structure métallique et le dôme trônent toujours, offrant aujourd’hui 700 m² de tatamis. Dessous, on peut même accéder aux traces de l’ancien bassin. En Haute-Loire, à Langeac, la Tournesol qui était sortie de terre en 1974 a été réhabilitée avec l’installation de nouveaux équipements et le dôme a pu être conservé.
À Langeac, en Haute-Loire, la piscine est devenue un centre aqualudique et le dôme a pu être conservé. Photo Lucas Jacquet
Et à Clermont-Ferrand, tout est fait pour maintenir en état la piscine Tournesol Jacques-Magnier. La ville a même déposé un dossier afin que celle-ci soit labellisée « Architecture contemporaine remarquable ». En effet, en France, plusieurs piscines Tournesol ont obtenu ce label dont celle de Bonneveine à Marseille (Bouches-du-Rhône) en 2000, celle de Carros-le-Neuf (Alpes-Maritimes) en 2006 ou encore celle de Biscarrosse (Landes) en 2012.
La Tournesol est toujours dans le cœur de nombreux Français. Il ne faut pas oublier que de grands champions olympiques, à l’instar de Laure Manaudou ou encore Alain Bernard, ont appris à nager dans ces piscines. Et d’autres champions émergeront peut-être encore de ce type d’infrastructures du patrimoine français…
Stéphanie Merzet