S’élancer vers le ciel, frapper le sol d’une foulée sûre, fendre l’aplat bleu d’un bassin d’une nage impeccable : voilà pour "le muscle." À celui-ci, en référence aux Jeux de la Grèce antique, Pierre de Coubertin entendait associer "l’esprit."
C’est ainsi qu’est né, au début du XXe siècle, le Pentathlon des Muses : des concours olympiques artistiques, au cours desquels plus de 3.500 œuvres ont été présentées, à l’origine devant s’inspirer "de l’idée sportive" (un principe qui a perdu en vigueur au fil des ans).
Pierre Lagrue, qui a retracé l’histoire de ces compétitions oubliées, dépeint certaines de leurs caractéristiques et partage plusieurs anecdotes.
Le désintérêt des artistes de renomLes concours d’art n’ont jamais obtenu le succès qu’appelait de ses vœux Pierre de Coubertin. D’abord du fait du moindre retentissement qu’avaient les Jeux à l’origine, explique Pierre Lagrue : "En 1912, à Stockholm, ça n’intéressait personne. Et puis, les artistes n’avaient guère envie que l’on juge leur travail, que l’on fasse un classement. C’était contraire au principe de l’art pour l’art, où la création était libre."
Le spécialiste a bien remarqué quelques noms familiers, exceptions parmi des concurrents dans l’ensemble méconnus : les poètes Géo-Charles ou Maurice Carême, la peintre Laura Knight, la sculptrice Renée Sintenis… Mais, pour la plupart, il s’agissait surtout de lancer ou relancer une carrière, d’un vers habile ou d’un subtil coup de pinceau.
Cinq arts seulementArchitecture, sculpture, musique, peinture, littérature… Et pas un de plus. Théâtre et danse n’ont pas été retenus parce que ces disciplines impliquaient des personnes en mouvement, dévoile Pierre Lagrue. "De plus, on ne pouvait juger de la qualité de l’œuvre qu’une fois celle-ci représentée, et cette organisation aurait été compliquée à mettre en place."
Pour le reste des disciplines, le palmarès s’établissait, en effet, avant les Jeux. Quant au cinéma, il a bien été proposé en 1936 par Theodor Lewald (président du Comité d’organisation), mais Pierre de Coubertin a repoussé le septième art "au motif de la légitimité des cinq formes éternelles de l’esprit créatif humain", écrit Pierre Lagrue dans son livre.
Pierre de Coubertin a participé sous pseudonymeUne initiative due au faible nombre d’inscrits, en 1912, en littérature. Pierre de Coubertin, ne souhaitant pas influencer le jury, a choisi de se présenter sous une double identité : MM. Hohrod et Eschbach. "Il soumet un texte intitulé L’Ode au sport, en allemand et français. Ce n’était pas anodin, à l’approche de la guerre." Si le jury a émis quelques critiques sur le bilinguisme de l’œuvre, il lui a tout de même réservé la première place.
Une seule championne olympiqueEn 1948, "la poétesse finlandaise Aale Tynni a écrit La Gloire de la Grèce sur demande de la fédération finlandaise qui n’avait rien à présenter dans cette catégorie. Elle n’était pas à Londres au moment des Jeux et a appris sa victoire alors qu’elle participait à un festival de poésie à Rovaniemi."
Pour elle, ce n’était pas une médaille de second plan, mais une vraie consécration, et "il était assez rare que les concurrents considèrent ce concours comme important." Une dizaine de femmes artistes seulement ont été distinguées sur la totalité des sept éditions.
Peut-on à la fois couvrir les Jeux et y concourir??Oui, si l’on en croit le cas du journaliste Alex Virot (connu pour avoir été le premier commentateur radio du Tour de France). Repéré par l’athlète Géo André, Alex Virot dessinait souvent autour des terrains, relate Pierre Lagrue.
Envoyé couvrir les Jeux d’Amsterdam par le Miroir des Sports en 1928, il a esquissé une tentative de reconnaissance en présentant des croquis au concours : bien lui en a pris, puisqu’il a reçu pour ses Gestes de Football une médaille d’argent.
Une disparition quasi muetteLa Seconde Guerre mondiale passée, les Jeux de 1948 sont organisés dans l’urgence à Londres, "dans un pays sportif doté des infrastructures nécessaires, et symbole en Europe de la résistance contre le nazisme." Les concours d’art attirent peu, l’exposition est un échec.
Mais le sort de l’évènement sera moins déterminé par les questions de qualité artistique ou d’attractivité pour le public que par le débat portant sur le statut des participants : une commission décide en effet de supprimer les concours "car les artistes, pouvant vendre leurs œuvres, en faire la publicité, devaient être considérés comme des professionnels", ce qui est contraire aux règles olympiques. Le CIO revient sur la décision, mais le temps manque pour organiser les concours pour Helsinki, en 1952, ce qui revient à "un enterrement dans la discrétion."
Et après??Les villes organisatrices ont été invitées à présenter un programme culturel, dépourvu de compétitions. "Celui-ci sera souvent intéressant, avec des expositions d’une qualité supérieure à ce qui figurait dans les concours, comme ce fut le cas à Mexico, en 1968. Ce mariage entre culture et sport va durer assez longtemps", avant de perdre un peu, peut-être, en notoriété et unité. L’Olympiade culturelle des Jeux de Paris, lancée en 2021, s’achèvera le 8 septembre.
À lire. Les concours d’art et littérature aux Jeux olympiques, Pierre Lagrue, L’Harmattan, coll. Espaces et temps du sport, 2024, 29 €.
Alice Forges