« Enough is enough ! » (trop c’est trop !). Lancé sur les réseaux sociaux dans le sillage du drame qui a coûté la vie à trois petites filles, le 29 juillet, à Southport, une ville côtière du nord-ouest de l’Angleterre, le slogan est désormais repris en boucle aux quatre coins du pays par des centaines de manifestants anti-migrants.
Depuis la sanglante attaque au couteau survenue dans un cours de danse, pour laquelle un mineur de 17 ans a été inculpé et incarcéré, les rassemblements se multiplient. Et les débordements avec. À Leeds, Liverpool, Sunderland, Bristol, Plymouth, Middlesbrough ou encore Hull, des incidents ont éclaté. Mosquées ciblées, jets de projectiles et des cocktails molotov sur les forces de l’ordre, voitures incendiées, commerces pillés… Le bilan s’alourdit jour après jour.
À Rotherham et à Tamworth, près de Birmingham, des hôtels accueillant des demandeurs d’asile ont même été attaqués par des casseurs semble-t-il liés, pour partie, à l’English Defence League, un groupuscule d’ultra-droite. Le tout sur fond de fake news et de rumeurs largement démenties sur le profil du meurtrier présumé, hâtivement présenté sur les réseaux sociaux comme un « musulman récemment arrivé en Grande-Bretagne », alors que l’adolescent est, selon plusieurs médias, né au Pays de Galles de parents rwandais.
— Andy Ngô ????? (@MrAndyNgo) March 21, 2021Sur fond de montée du discours anti-islamMaître de conférences en civilisation britannique à l’université Paul-Valéry de Montpellier, Marc Lenormand reconnaît avoir été « surpris » par ces scènes de violence. Certes, pointe ce spécialiste des mouvements sociaux au Royaume-Uni, « cela fait une vingtaine d’années déjà que l’on voit s’installer une atmosphère et des discours islamophobes et racistes, portés notamment par une partie de la presse conservatrice ». Mais l’élément déclencheur semble avoir pris tout le monde ou presque de court. « À vrai dire, je crois que personne n’avait vu venir cette séquence émeutière », affirme le même.
Les événements de ces derniers jours prospèrent aussi sur un « fort regain du sentiment patriotique et nationaliste anglais » depuis les années 2000. Ce mouvement de fond s’est notamment traduit par la sortie tonitruante de l’UE et la poussée de l’extrême droite aux dernières législatives, qui a permis au parti Reform UK de décrocher pour la première fois quatre sièges à la Chambre des communes. On reste cependant loin, à ce stade, d’un embrasement généralisé.
« Aussi spectaculaires soient-elles, les différentes exactions auxquelles on assiste ne sont le fait que d’une frange très minoritaire. Rien n‘indique non plus qu’elles suscitent une adhésion populaire dans l’opinion au sens large », observe l’enseignant montpelliérain.
Starmer promet une réponse fermeMême contenue, cette brusque poussée de fièvre est un premier test d’ampleur pour le gouvernement travailliste tout juste installé et le nouveau Premier ministre. Lundi, à l’issue d’une réunion de crise convoquée à Downng Street, Keir Starmer s’est engagé à frapper fort, promettant des « condamnations rapides » contre les fauteurs de troubles et l’envoi d’une « armée » de policiers spécialisés – ils seront 6.000 au total.
A Liverpool, le 3 août. Photo AFP
« Sur la question de l’immigration, reprend Marc Lenormand, les travaillistes ont été élus sur la base d’une rhétorique assez ferme, d’ailleurs proche de celle des conservateurs qui les ont précédés. Certaines mesures phares annoncées par les Tories ont été abandonnées, comme le projet d’expulsion des clandestins vers le Rwanda, mais on reste globalement sur les mêmes positions hostiles aux immigrés. »
L’enseignant relève au passage qu’avant d’entrer dans l’arène politique et de décrocher son premier mandat de député, en 2015, l’ex-procureur Keir Starmer a « longtemps été en charge de l’appareil répressif au Royaume-Uni, en tant que “Director of Public Prosecutions” », un poste qu’il a occupé de 2008 à 2013. Il était donc aux affaires en 2011, lors des précédentes émeutes qui avaient secoué le pays suite à la mort d’un jeune Noir tué par un policier à Tottenham, dans le nord de Londres.
« À l’époque, sous l’impulsion de Starmer, la répression avait été très sévère, et des sanctions judiciaires particulièrement lourdes avaient été prononcées », rembobine Marc Lenormand. D’après le dernier décompte publié hier, la police a procédé à 378 interpellations depuis le début des violences. D’autres viendront inévitablement. Par anticipation, la secrétaire d’Etat à la Justice a déjà fait savoir, ce mardi, que 567 places avaient été libérées dans différentes prisons pour les futurs condamnés. Elles pourraient vite se remplir.
Stéphane Barnoin