Assis dans les tribunes du Stadium Pellez, qui recouvre l’ancienne aire de lancer, là où, jusqu’au début de ce siècle, il balançait l’engin de 7 kg, David Chaussinand sort d’une solide séance de muscu avec Yann. Le fiston, 1,95 m, 26 printemps, a déjà refermé le sac et quitté les Cézeaux. Le papa, 1,93 m, 25 bougies de plus, est prêt à rembobiner le fil des ans.
En commençant par chasser les préconçus qui enferment sa discipline, malgré un physique qui l’avait fait approcher par Bayonne en 2002 pour évoluer en deuxième ligne. Lanceur armoire à glace, monde de la force, non. « Le marteau, ce n’est pas brutal, c’est de la finesse et de l’équilibre. Petits, grands, il y a tous les gabarits. »
Lui faisait 1,90 m longiligne sous la toise, à 15 ans. Mais dès les premières séances en UNSS avec Roland Dufour, l’historique inspirateur du lancer clermontois, « j’ai lancé très vite, très loin. »
Premiers moulinets prélude à une carrière longue de 14 années. En mode fortius comme le dit la devise olympique. Record de France cadets, battu de 8 m, à 17 ans ; meilleure performance mondiale de l’époque et marque nationale toujours en cours ; record juniors à 19 ans, deuxième perf au monde.
Une vilaine mononucléose sur deux ans, puis la hausse à nouveau, les JO en 2000, de 30e lanceur mondial à 11e et premier Français à Sydney, et puis le record personnel planté à 80,99 m en Suisse. « Le centimètre manquant ? Non, je ne l’ai jamais regretté », sourit-il.
Le meilleur souvenir jaillit sans hésitation.
« Les Jeux ! C’est une fête. Et pour un athlète, le Graal. Et cette ambiance autour avec toutes les disciplines ! », revit les yeux ouverts le Clermontois si attaché à l’humain.
Viennent en effet, en second mais dans la foulée, « les relations avec Roland Dufour, avec le groupe d’entraînement, avec Cécile Lignot, Jérôme Soupe et les autres. »
Le grand blond pose le marteau définitivement en 2002. Le petit Yann né en 1998 l’a vu lancer. Mais il ne rentre pas dans la carrière dès que possible. Handballeur d’abord. Avant de se rapprocher. L’athlé, le javelot…
« Je ne l’ai poussé dans rien. Je voulais que ça vienne de lui. Mais je pense qu’il est allé vers le marteau un peu par identification paternelle », analyse-t-il. Pas maternelle donc, malgré une maman, Mylène, discobole de niveau national. « Il serait allé vers le disque, il aurait été bon », garantit le père.
David, pas un papa étouffant. « Je l’ai laissé faire. Il y a trois-quatre ans, il m’a demandé de le suivre une fois par semaine, le samedi matin. J’ai dit oui, comme observateur, pas comme coach. Ça m’allait assez bien. »
De son côté, la compète manque au paternel, homme de défis. Celui de la cinquantaine l’emmène avec son pote Freddy Maso en vélo de Clermont à Athènes, deux mois, par le nord des Alpes. A son retour, Yann l’attend.
« Là, il me demande de l’entraîner à 100 %. Je ne l’ai pas trop vu venir. Après un petit délai de réflexion, notamment par rapport à mon boulot, je me suis dit que je ne pouvais pas refuser à mon fils et que c’était un nouveau défi ».
Un oui synonyme d’investissement à « 150 %. Yann s’entraîne 5 à 6 heures par jour, je l’accompagne à tous les stages et sur toutes les compètes. C’est un peu compliqué pour le chef d’entreprise que je suis, mais ça vaut le coup, on a une relation privilégiée. Et sans conflit alors qu’on n’a pas les mêmes caractères car le sien est plus trempé, plus impulsif. Il a bien séparé le côté coach et le côté père. Il m’a donné les clefs pour que je l’emmène à la haute performance et il a une confiance totale à la fois parce que je suis son père et par ma carrière. »
Le plus technique se mesure, 3 m en quelques mois, balançant le fiston de la 22e perf mondiale à la 6e perf d’engagement (79,88 m) à Paris. « Vous savez, je m’en suis aperçu au fur et à mesure, il a un potentiel énorme et il en est très loin ».
Comme Thibaut Collet, Yann Chaussinand guigne d’ailleurs ouvertement le record familial. « S’il le bat, j’en serai le premier content. De toute façon, il ne m’a jamais déçu et quoi qu’il fasse, il ne me décevra jamais. »
L’autre progression se situe en concomitance :
« Il avait un problème en grandes compétitions. Il avait besoin de mon expérience au niveau du mental, de la gestion de l’enjeu. Car il faut être en équilibre avec le marteau et dans sa tête », insiste David qui retient en premier « une belle perf (5e) aux Europe avec quasiment tous les meilleurs du monde. »
Un père, des repères. Il sera dans la zone coach dyonisienne tout près du fils pour son entrée dans la cage olympique dès ce vendredi matin. Et il le sait. « En fait, Yann a besoin de moi, d’une présence. Je le sens. »
Au reste, ce retour sur les aires et plus particulièrement aux JO, 24 ans plus tard, développe un sentiment « étrange » chez David. « Tout ça fait revenir les souvenirs, les bons souvenirs. Ça me rajeunit. »
« Et puis je vis une expérience incroyable. Pour moi, les relations avec les autres, c'est ce qui est beau dans le sport et avec Yann on s’est rapprochés très fortement. On est quasiment tout le temps ensemble. Surtout, on est allés ensemble vers les Jeux. On s’est rapprochés dans un défi commun. » Plus que deux fous de marteau, un père et son fils.
La compétitionLes épreuves de lancer du marteau hommes commencent ce vendredi, au Stade de France, avec deux concours de qualifications, à 10 h 10 et 11 h 35, et la finale se déroule le dimanche 4 août à 20 h 30.
L’hommeNé le 19 avril 1973 à Clermont-Ferrand. 1,93 m. Marié avec Mylène ; 2 enfants : Yann et Tina. Grossiste en produits de communication (président de DCS Organisation).
Le sportifClubs successifs : Stade Clermontois Athlétisme (1998-2003), Clermont Athlétisme Auvergne (2004-2021), Clermont Auvergne Athlétisme (2022-2024). Sélections : 8 internationales jeunes, 14 internationales A. Record (au 7,26 kg) : 80,99 m, le 20 août 2001, à Rudlingen (Suisse).
Les compétitionsJeux Olympiques : à Sydney (Australie), le 22 septembre 2000, 11e avec 75,26 m ; 77,12 m en qualifications. Championnats du Monde seniors : à Edmonton (Canada), le 3 août 2001, 76,66 m en qualifications ; à Séville (Espagne), le 21 août 1999, 74,02 m en qualifications ; à Athènes (Grèce), le 1er août 1997, 71,20 m en qualifications.
