Première grande interview pour le magazine Hand Action. À tout juste 19 ans, Nikola Karabatic est à la “une” de ce numéro de juin 2003, six mois après ses débuts en Bleu. Questionné sur « un fantasme », celui qui vient de remporter la Ligue des champions avec Montpellier affiche son ambition : « Devenir le meilleur joueur du monde ».
Vingt et un ans plus tard, à l’heure de tirer sa révérence, le natif de Nis, en Serbie, l’a finalement été, aux yeux de la fédération internationale, trois fois… Comme il a été à trois reprises champion olympique, et une fois médaillé d’argent. Il disait vouloir « faire avancer [son] sport », médiatiquement parlant ; il l’a porté, au gré de générations de coéquipiers exceptionnelles, haut dans les cœurs, en même temps qu’au sommet de la planète handball.
« Il a ça dans le sang »« Ce qui fait Nikola, ce qui l’a rendu meilleur que les autres, c’est cette mentalité », pose d’emblée Igor Anic. « C’est inné. Il a ça dans le sang. Il a beaucoup travaillé, avec abnégation, avec cette envie de gagner, inculquée un peu par son père aussi », explique l’ancien pivot des Bleu, trois ans plus jeune que l’aîné des “Kara” et un an plus âgé que Luka, mais ami des deux frangins depuis tout petit. Comme eux, son papa était un handballeur yougoslave expatrié – Branko Karabatic était un gardien croate, Zeljko Anic un demi-centre/arrière gauche bosnien – et les deux familles se sont côtoyées du côté de Frontignan, quand le premier entraînait le club local et le second menait le jeu de Montpellier, en N1B (2e division).
« Je me souviens des journées où j’étais chez eux », reprend Igor Anic. « On jouait à Mario sur la Nintendo et Branko rentrait dans la pièce pour lui dire : “Niko, c’est l’heure d’aller courir”. Il devait avoir 10 ou 11 ans. Il n’était pas forcément heureux de le faire, il préférait rester jouer à la console, mais il savait qu’il devait aller courir. C’est ce genre de choses qui ont construit l’emblématique joueur que l’on connaît ».
Une détermination sans faille, poussée par père intransigeant, et un caractère qui n’envisage pas la défaite. « Il était très mauvais perdant. J’évoquais la console… il a cassé pas mal de manettes ! », rigole le futur joueur de Draguignan (N1). « Il n’est pas d’une bonne foi absolue lors des parties de cartes, ou n’importe quel autre jeu. Mais c’est un bon camarade, on peut aller boire un coup avec lui », ajoute le Saranais Jérémy Roussel, qui a été son entraîneur durant six mois à Aix-en-Provence (D1), après le licenciement des frères Karabatic de Montpellier, suite à l’affaire des paris sportifs, en 2013.
À 40 ans, toujours là, jamais las« Niko, c’est un compétiteur, un mauvais joueur parfois. Un jour au PSG, lors d’un match entre jeunes et vieux à l’entraînement, le ballon est sorti. Il a assuré qu’il ne l’avait pas touché, on lui a rendu la balle », se souvient le gardien Yann Genty, qui a évolué avec la star à Paris et en équipe de France. « Mais le ton est monté, la suite de la séance a été tendue… Avec un autre, une bagarre aurait éclaté. Plus tard, il s’est excusé, il a reconnu qu’il avait “câblé” ».
Admiratif, l’ex-portier d’Aurillac, Saran ou Limoges retient surtout « un super mec » et un « grand professionnel ».
En deux ans à l’entraînement, je ne l’ai jamais vu souffler une seule fois. Jamais un signe de fatigue ou de lassitude. En 2020, il s’est blessé au genou et pendant sept mois, à 37 ans et bien qu’il ait tout gagné, il a bossé comme un fou pour revenir avant la fin de la saison. Il a fait des sacrifices. Et pourtant, ce n’est pas drôle : tu rentres de déplacement à 3 heures du matin, quelques heures après, tu repars à l’entraînement… Moi, je suis gardien, je m’en fous, mais lui, il prend des impacts sans arrêt !
Et la suite, après les Jeux et, peut-être, un dernier rêve doré ? Le joueur dit vouloir rester dans le hand. « Pour moi, il n’a pas l’âme d’un coach. Je ne le vois pas là-dedans, dans la transmission, l’accompagnement des jeunes, même s’il n’est jamais dans une bulle », pense Yann Genty.
« À Aix, on discutait sur l’aspect tactique… Il a pris toutes les clés, intelligemment, sans jamais rien imposer », précise de son côté Jérémy Roussel. « C’est plutôt lui qui a entraîné tout le monde. Le premier arrivé à la salle, le dernier parti. On était relégable quand il nous a rejoints et on doit être 5e ou 6e de la phase retour (9e au final). Il a rendu tout le monde meilleur ». En club comme en sélection, il semble que ce soit le cas depuis près de 23 ans.
Nikola Karabatic11 avril 1984 : Naissance à Nis (Serbie). Il arrive à Strasbourg à l’âge de 4 ans, où son père Branko, croate, est gardien et entraîneur à La Robertsau (D3-D2) depuis l’automne 1984. Sa mère, Radmila, est Serbe.26 septembre 2001 : Première de ses 344 apparitions en D1 avec Montpellier, contre Toulouse, lors de laquelle il inscrit ses deux premiers buts (sur 1.160) en championnat de France. Il a aussi évolué six saisons à l’étranger (Kiel, Barcelone) pour un total de 877 matchs en club, toutes compétitions confondues (3.645 buts, 61 titres). 2 novembre 2002 : Débuts en équipe de France, avec qui il compte, avant les Jeux Olympiques de Paris, 360 sélections (1.300 buts). Avec les Bleus, il est triple champion olympique, mais aussi quatre fois champion du monde et d’Europe.25 août 2023 : Le “Joueur mondial de l’année” 2007, 2014 et 2016, selon la fédération internationale (IHF), annonce la fin de sa carrière, effective après les JO.
Sébastien Devaur