Pour la première fois en 2021, les drapeaux de chaque délégation ne sont pas portés par un seul athlète, mais à la fois par une femme et un homme.
« Avec ma copine »Comme la délégation centrafricaine ne compte que deux sportifs à Tokyo, le comité national n’a pas eu à se creuser la tête pour choisir Francky Mbotto et Chloé Sauvourel. Deux sportifs ayant la particularité d’être aussi en couple. « Être porte-drapeau, c’est déjà quelque chose d’exceptionnel, mais l’être avec ma copine, ça a rendu les choses encore plus incroyables », témoigne Francky Mbotto.
Le coureur de 800 mètres se souvient notamment du moment où il a effectué son premier pas dans le stade. Celui où les émotions ont été les plus fortes. « On représente tous les athlètes de notre pays, le sport de notre pays, les valeurs de notre pays, rembobine celui qui a défilé juste avant la délégation chinoise. C’est l’une des plus grandes reconnaissances que l’on peut donner à un sportif. »
« Froid de canard »Un peu moins de 60 ans plus tôt, en 1964, lors des Jeux olympiques d’hiver d’Innsbruck, en Autriche, Alain Calmat fait son entrée dans un autre stade, celui de Bergisel en tant que porte-drapeau de la délégation française. Alors âgé de 24 ans, mais déjà deux participations aux Jeux à son actif, le patineur artistique emmène une équipe de France comptant dans ses rangs les sœurs Christine et Marielle Goitschel et Jean-Claude Killy, skieuses et skieur d’exception.
« C’était une fierté immense d’avoir été choisi par le Comité olympique français (instance qui a précédé le Comité national olympique et sportif français, CNOSF). On m’avait retenu parce que j’avais la cote. Je restais sur trois titres consécutifs de champion d’Europe et j’arrivais avec le statut de favori. Il n’y avait pas eu à l’époque autant de battage autour de ma nomination comme cela a pu être le cas lors des derniers Jeux. Peut-être parce qu’on accordait moins d’importance à ce rôle, que les médias s’y intéressaient moins. »
De la cérémonie d’ouverture de ces Jeux, Alain Calmat qui, vingt ans plus tard, allait devenir ministre de la Jeunesse et des sports de François Mitterrand (1984-1986), avant d’être élu député du Cher (1986-1993), se souvient surtout du « temps affreux, du froid de canard et de la neige tombée sur nos têtes durant toute la cérémonie. A priori, ça ne devrait pas être le cas à Paris (rires). La compétition avait eu lieu très rapidement après et ce coup de froid ne m’avait pas beaucoup aidé. Mais attention. Je ne me cherche absolument aucune excuse. »
À Innsbruck, sur la glace de l’Olympiaeisstadion, le porte-drapeau français a décroché la médaille d’argent. « Après cette médaille, car le côté sportif reste plus fort, et après l’allumage de la vasque (Alain Calmat avait été choisi comme dernier relayeur lors des Jeux d’hiver de Grenoble en 1968), avoir été porte-drapeau restera assurément l’un de mes plus beaux souvenirs olympiques. C’est tellement fort en émotion que le risque d’y laisser trop d’influx est réel. »
« On ne défilait pas en survêt »En 1968 également, la nageuse Kiki Caron s’envole pour les Jeux olympiques de Mexico avec, bien pliés dans ses valises, pyjama sur-mesure et tenues de soirée créées par les plus grands couturiers. « On était fringuées comme des princesses, se souvient-elle. On ne défilait pas en survêt. »
Quelques mois après la « révolution de la jeunesse », quoi de plus logique que d’offrir la mission de porter le drapeau français à cette « môme pas trop tartignole », comme elle le dit elle-même, au talent éclaboussant toute une nation, quatre ans après sa médaille d’argent au 100 mètres dos à Tokyo ? Afin de rendre l’objet plus maniable pour la jeune femme, une hampe spéciale, plus légère, avait été confectionnée.
« À Mexico, les journalistes du monde entier venaient me voir », décrit encore Kiki Caron. « Tout juste s’ils ne me touchaient pas pour voir si j’étais normale ! » Aujourd’hui encore, l’ancienne championne reçoit du courrier lié à cet épisode. « C’est fou, hein ? », demande-t-elle, avant de faire le constat, avec près de 56 ans de recul, que sa sélection « a donné une ouverture aux femmes ». Enfin, pour la France, il a tout de même fallu attendre 1996 et Marie-José Pérec pour revoir une sportive porter le drapeau…
« Mains énormes et torse puissant. »Porter le drapeau, ça n’arrive qu’une seule fois dans la vie d’un athlète à l’exception de Jules Noël. Il est le seul sportif à avoir porté par deux fois le drapeau tricolore : à Los Angeles 1932 et Berlin 1936. Ce grand costaud (1,90 mètre pour 90 kg), aux « mains énormes, torse puissant et presque pas de jambes » comme décrit dans Le Miroir des sports du 20 septembre 1938, a d’abord été un très bon escrimeur (il a été champion de France et professeur à Berne, en Suisse) avant de se spécialiser dans le lancer du disque et du poids. Dans cet article, Le Miroir des sports pensait aussi « fermement » que « le grand Jules », malgré ses 36 ans, n’avait « pas fini de nous étonner ». C’était compter sans la Seconde Guerre mondiale. Jules Noël, militaire au bataillon de Joinville plus jeune, perd la vie sur le front quelques mois après la parution, en 1940, près de Cambrai (Nord).
Vendredi soir, ce sont la discobole Mélina Robert-Michon et le nageur, Florent Manaudou qui auront l’honneur de porter le drapeau français pour lancer les Jeux, chez eux, à Paris. Se promettant ainsi un moment d’émotions intenses et un destin hors du commun.
Alice Forges, Ludovic Aurégan, Benjamin Gardel et Jean-Adrien Truchassou
