Après le renoncement de Joe Biden dimanche, qui a propulsé sur le devant de la scène sa vice-présidente, Kamala Harris, une nouvelle campagne s’ouvre. Marie-Cécile Naves, directrice de recherche à l’Iris et spécialiste des États-Unis, en décrypte les enjeux et les points clés.
1. Joe Biden, l’inéluctable renoncement« Depuis le débat raté face à Donald Trump le 27 juin dernier, c’est un ensemble de choses, dont la baisse des collectes de fonds, qui a finalement amené Joe Biden à se retirer. Le point le plus important me semble être les enquêtes d’opinion. La baisse au sein des populations cibles dans les États clés a fini de le convaincre. Mais il faut quand même saluer l’habileté dans le sens du timing de cette annonce. Les Démocrates ont laissé passer la convention républicaine à Milwaukee et le meeting de Trump dans le Michigan. Cela chamboule complètement la stratégie du camp trumpiste et toute l’attention se détourne du candidat républicain pour se braquer sur Harris. »
2. Kamala Harris, candidate naturelle du camp démocrate ?« Nous en saurons plus cette semaine. Le parti démocrate doit encore clarifier le changement de candidat, notamment sur le plan juridique. Une réunion est prévue deamin pour décider de la suite. Mais à ce stade, le parti donne l’impression d’être aligné derrière Kamala Harris, adoubée par Joe Biden lui-même. Ses principaux rivaux d’envergure nationale, le gouverneur de Pennsylvanie Josh Shapiro et le gouverneur de Californie Gavin Newsom, lui ont immédiatement apporté leur soutien. Tout ceci sera entériné à la convention démocrate qui débute le 19 août à Chigaco. L’équipe de Kamala Harris est en train d’appeler tous les délégués dans chaque État pour être sûre d’obtenir leur soutien. L’hypothèse la plus plausible à ce stade est l’absence de concurrent dans la course à l’investiture démocrate. Face au danger de division, le parti a tout intérêt à s’unir derrière, après les sueurs froides de ces dernières semaines. Les Démocrates ont certainement en mémoire le traumatisme de la convention de 1968 après le retrait de Lyndon Johnson où les divisions étalées au grand jour avaient grandement facilité la victoire du candidat républicain Richard Nixon. »
3. L’argent, le nerf de la guerre« En théorie, les fonds collectés par la campagne Biden devraient automatiquement basculer vers Kamala Harris. En tout cas, pour l’instant, c’est la seule à y avoir accès pour financer les clips et les publicités. Mais ce volet va entraîner également un certain nombre de clarifications dans les jours prochains. Depuis l’annonce du retrait de Joe Biden, Kamala Harris a déjà collecté près de 50 millions de dollars, en grande partie en provenance de petits donateurs. Un peu à l’image d’Obama en 2008. Cela dit qu’il y a un engouement du côté des électeurs démocrates visiblement soulagés de ce passage de témoin, vu comme capable de donner un nouvel élan. »
4. Les forces et faiblesses de celle qui pourrait devenir la première présidente des États-Unis« Parmi ses principales forces, on peut citer l’envergure nationale acquise depuis qu’elle est vice-présidente, ainsi qu’une expérience du pouvoir au plus haut niveau. Elle est très présente sur le terrain où elle a assuré le service après-vente des grandes réformes économiques. Ce travail de fond s’est aussi concentré sur le combat pour le droit des femmes depuis l’arrêt de la Cour suprême de juin 2022 laissant les États américains libres d’interdire l’IVG. Or, c’est un gros point faible des Républicains qui veulent aller encore plus loin dans les restrictions, très impopulaires dans l’opinion. Ensuite, elle a été procureure générale de Californie. Elle va beaucoup attaquer Trump sur le fait que c’est un criminel condamné. Une fragilité que le candidat républicain craint particulièrement. Au niveau des faiblesses, elle a encore un peu trop l’image de la bonne élève disciplinée. Mais cette campagne sera justement un test pour faire émerger une personnalité exceptionnelle que certains n’ont pas encore vue. Au niveau électoral, la principale incertitude est sa capacité à conserver un électorat tout acquis à Biden, à savoir les séniors blancs de la “Rust belt”, tout en allant grignoter d’autres voix chez les minorités et les jeunes comme chez les Républicains modérés anti-Trump. Un premier signal positif a été envoyé par un groupe soutenant la candidature de Nikky Haley qui a appelé à voter pour elle. »
5. Le choix d’un vice-président« Il est quasiment assuré que l’heureux élu soit issu d’un État-clé. Ce pourrait être soit Josh Shapiro, le gouverneur de Pennsylvanie, soit Mark Kelly, sénateur de l’Arizona ou pourquoi pas Roy Cooper, le gouverneur de Caroline du Nord. Pour moi, Josh Shapiro est le favori. Car il est très populaire dans son État et les Démocrates ne peuvent pas se permettre de perdre la Pennsylvanie, le Michigan et le Wisconsin. »
6. Une nouvelle campagne« C’est une toute nouvelle campagne qui démarre. Les Républicains sont obligés de revoir l’intégralité de leur stratégie. Ce n’était le plan et ils ne sont pas contents. Le vieux maintenant, c’est Trump. C’est lui qui apparaît comme le plus fragile, physiquement et mentalement. Il va faire face à quelqu’un de très pugnace. On attend de voir les débats télévisés entre l’ancienne procureure versus le condamné. Ceci dit, l’électorat américain sait dans son immense majorité pour qui il va voter. Tout va se jouer sur la capacité à aller chercher des voix à la marge, chez les primo-votants, les indécis. Il ne faut pas oublier qu’en 2016 l’abstention avait été fatale à Hillary Clinton. Aujourd’hui, les cartes sont rebattues. Il n’est plus question d’attaquer la personne de Kamala Harris comme celle de Joe Biden. Trump ayant besoin d’une partie de l’électorat noir, il lui sera difficile de cibler ses origines.
Du coup, les Républicains ont commencé à présenter Kamala Harris comme comptable du bilan de Biden et de la décadence, de la faillite de l’Amérique. Sauf qu’elle ne se laissera pas faire. Comment Trump va-t-il se défendre sur le projet 2025 de la fondation Heritage, une plateforme programmatique axée sur des purges dans les administrations et sur la fragilisation de la séparation des pouvoirs et sur le droit des femmes?? Ce dernier point, qui peut décider du sort de l’élection, est justement le grand combat de Kamala Harris et la grande fragilité des Républicains. »
Propos recueillis par Dominique Diogon