Coups de gueule et tractations secrètes : on vous raconte les coulisses de l'élection de Yaël Braun-Pivet

Si le Nouveau Front populaire a cru (un peu) en début de journée pouvoir installer le communiste André Chassaigne dans le fauteuil de président, c’est finalement Yaël Braun-Pivet qui l’a emporté. La candidate du parti présidentiel a notamment profité du retrait des candidats Horizons et de La Droite républicaine pour rassembler 220 voix lors du troisième tour. On vous raconte les coulisses de ce tour de passe-passe.

L’issue ne faisait finalement guère de doute à l’heure du dépouillement de ce troisième tour de l’élection du président de l’Assemblée nationale. Une première. Ce jeudi 18 juillet, à 20 h 45, Yaël Braun-Pivet a retrouvé le perchoir, qu’elle occupait depuis l’été 2022. Le point d’orgue d’une longue journée où les tractations ont été nombreuses dès les premières heures de la matinée. On rembobine.

Les portes de l’Assemblée nationale ont ouvert il y a une petite demi-heure. Sur le quai d’Orsay, seuls quelques cyclistes, en possession d’un QR code, et les forces de l’ordre, présentes en nombre, cheminent sur le boulevard, barriéré et fermé à la circulation à l’approche des Jeux olympiques.

À l’intérieur du palais Bourbon, l’ambiance est encore très calme. Les journalistes commencent à investir la salle des quatre colonnes et croisent les premiers députés présents. Parmi eux, André Chassaigne, pour lequel la nuit a été courte. La veille, le député communiste du Puy-de-Dôme a été désigné pour porter la candidature unique du Nouveau Front populaire. Entre deux réunions, dans le jardin du Palais Bourbon, il affiche toute sa "sérénité. Je n’ai pas de pression", confie-t-il, sans sembler réellement croire en ses chances. "Je sais que ça va être difficile, on a un petit trou de souris." 

À deux pas de l’Hémicycle, d’autres députés du NFP louent sa personnalité, rassembleuse, respectée, et son expérience. "Je réponds à un portrait-robot, dit-il. Mais on sait que dans ce type de vote, les grandes lignes sont politiques." Il le promet : s’il est élu, "j’assumerai avec le souci de pacifier, d’être au-dessus des joutes, de sauvegarder l’indépendance du Parlement, avec calme et respect. Et si la gauche n’a pas le perchoir, ce sera le choix démocratique des députés, je ne vais pas m’en rendre malade."

D’autres députés du Nouveau Front populaire (NFP) doutent. Là, une élue insoumise craint "des alliances contre-nature contre le Nouveau Front populaire". Ici, cet écologiste s’attend à voir "le RN jouer les arbitres. Tout va dépendre d’eux." Et de croire déjà à un désistement, dès le second tour de scrutin, du candidat du parti de Marine Le Pen pour favoriser une candidature de la droite ou du centre.

"Ce serait un déni de ce qui est sorti des urnes."

La crainte : si la gauche n’a pas le perchoir, elle se retrouve dans l’opposition. "Matignon s’éloignerait un peu plus", souffle un député écologiste.

Notre direct à l'Assemblée nationale

Macroniste de la première heure, Aurore Bergé ne cache pas que "l’essentiel, c’est que le Nouveau Front populaire n’accède pas au perchoir car ils sont minoritaires".

Croisée dans les jardins de l’Assemblée, la députée des Yvelines assure que l’ensemble du groupe est "mobilisé et uni" derrière Yaël Braun-Pivet. Pour chercher une majorité autour du bloc central, de nombreuses discussions ont eu lieu ces dernières heures avec La Droite républicaine, mais aussi des élus de LIOT, divers gauche, divers droite... "Mais à la fin, cela reste un vote individuel, secret, pour lequel il peut toujours y avoir des surprises", souffle-t-elle avant de filer en réunion.

À droite, les réunions se multiplient autour du pacte législatif que Laurent Wauquiez souhaite proposer à l’ensemble des groupes pour faire consensus autour de grandes thématiques (travail, sécurité, immigration...). Pour l’élection de l’après-midi, le groupe fait bloc derrière Philippe Juvin au premier tour. Et pour la suite ? "Notre président, Laurent Wauquiez entre et sort mais il est d’une grande discrétion, concède Frédérique Meunier, députée de Corrèze. Il nous a juste dit : “je ne vous enverrai pas au casse-pipe”".

Comme pour le centre, l’adversaire est bien identifié. "On ne veut pas d’un président issu du NFP", insiste Jean-Pierre Taite. Et le député de la Loire de lâcher : "Je ne pourrais pas concevoir qu’il y ait un président LFI, et je pense ne pas être le seul". Olivier Marleix, député d’Eure-et-Loir, se range derrière les partisans d’un pacte législatif entre la Droite républicaine et l’exécutif, malgré le peu d’atomes crochus qu’il a avec le chef de l’État :

Pour cohabiter, pas besoin d’aimer. Est ce que Chirac aimait Mitterrand ? Ou Jospin ?

"Il faut être pragmatique. Construire des majorités successives sur des textes de bon sens. Projet par projet."

Une défaite du Nouveau Front populaire qui pourrait être facilitée par un potentiel désistement du candidat RN au perchoir, Sébastien Chenu ? La rumeur enfle mais Julien Odoul, député de l’Yonne et porte-parole du RN, la balaie d’un revers de manche, tout en marquant une opposition catégorique à la candidature d’André Chassaigne : "Il n’y a pas de consigne, il n’y a pas de tractations, de marchandage. Contrairement aux autres, nous ne sommes pas dans la démocratie des marchands de tapis. Après on sait toute la dangerosité du programme du Front populaire, donc c’est évidemment une opposition ferme à son candidat. Mais nous on choisit notre candidat déjà, et on verra ce qu’il se passera. Je pense qu’il y aura plein de rebondissements."

Dans son bureau de la rue de Rivoli, juste avant de rejoindre l’Assemblée nationale, François Hollande évoque "un vote incertain car il y a des pourparlers depuis hier et encore tout l’après-midi. Il y aura forcément des arrangements, des désistements. André Chassaigne a une chance qui n’est pas la plus grande, ce sera difficile, on ne sait pas quel sera le jeu du RN. Il y a encore beaucoup d’aléas. On y verra plus clair après le deuxième tour, d’autant plus qu’entre le deuxième et troisième tour, il n’y a pas de suspension de séance, c’est pendant le dépouillement que peuvent se faire les négociations..."

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Doyen de l’Assemblée, le député RN des Bouches-du-Rhône, José Gonzalez ouvre cette dix-septième législature, appelant de ses voeux « un climat apaisé et respectueux ». Les 577 députés défilent pour voter, dont Gabriel Attal et Gérald Darmanin, revenus à la hâte de Nice, où ils s’étaient rendus sur les lieux de l’incendie. 17 h 15 : Statu quo après le premier tour. Quelques minutes auparavant, Eric Coquerel (LFI) l’annonçait : "ce premier tour va donner les résultats attendus. C’est un round d’observation où chacun mesure ses forces".

André Chassaigne arrive logiquement en tête (200 voix), devant le RN Sébastien Chenu (142 voix), et la présidente sortante, Yaël Braun-Pivet (124 voix). Dans la foulée, Philippe Juvin (LR, 48 voix) et Naïma Moutchon (Horizons, 39 voix) annoncent leur désistement. "Le retrait de la candidate Horizons et surtout du candidat des Républicains traduit l’accord passé entre « Ensemble pour la République » et Les Républicains pour un partage des postes de l’Assemblée", glisse par SMS André Chassaigne.

Si la très grande majorité des députés sont en réunion de groupe pour déterminer la marche à suivre pour le troisième tour, tandis que les résultats du deuxième ne sont pas encore connus, ils sont quelques-uns à passer la tête dans la salle des quatre colonnes. Sarah Legrain, Eric Coquerel... "La seule question, c’est de savoir si les députés macronistes refuseront les voix du Rasemblement national, ou s’ils accepteront enfin de le reconnaître", lâche Sandrine Rousseau.

Profitant du désistement des deux candidats de droite, Yaël Braun-Pivet arrive logiquement en tête du deuxième tour avec 210 voix, juste devant André Chassaigne (202), Sébastien Chenu (143) et Charles de Courson (12). Le chef de file du groupe LIOT annonce dans la foulée son retrait de la course, au moment où débute le troisième et dernier tour. 20 h 45 : Yaël Braun-Pivet l’emporte, le NFP s’emporte.

Treize voix séparent finalement André Chassaigne (207) de la candidate d’Ensemble (220). Du côté du Nouveau Front populaire, la colère ne retombe pas. Contre LR, qui a finalement permis la réélection de la candidate macroniste, et contre le parti présidentiel, dont les membres du gouvernement démissionnaire ont pu voter. Dans la chaleur parisienne, la soirée s’annonce électrique. Tout comme l’élection des six vice-présidents, des trois questeurs et des douze secrétaires, prévue ce vendredi 19 juillet à partir de 15 heures.

Récit : Estelle Bardelot, Maxime Escot, Sophie Bardin, Sébastien Couratin, Arthur Cesbron

Photos : Richard Brunel, Pierrick Delobelle, Marion Boisjot