"Les crimes commis ou ordonnés par mon grand-père..." : l'émouvante lettre d'un Allemand aux habitants de Bourg-Lastic

Joerg Coqui n’a pas pu participer au colloque de Bourg-Lastic organisé pour le 80e anniversaire de des tragiques événements qui se sont déroulés dans ce village des Combrailles. Petit-fils de Georg Coqui, commandant dans la Wehrmacht lors des événements de l'été 1944, il a envoyé une lettre qui a été lue à la tribune par Laurent Battut, historien qui a publié un livre sur le sujet.

Le 15 juillet 1944, 23 citoyens de Bourg-Lastic, dont le maire, ont été fusillés par les Allemands en représailles à une action de résistance menée queqlues jours plus tôt dans les gorges du Chavanon, entre Creuse et Puy-de-Dôme. Ce crime est l'oeuvre de la brigade Jesser, et plus particulièrement du 1.000e régiment de sécurité (Sicherungs-Regiment), que Georg Coqui commandait.

Voici quelques extraits de ce témoignage exceptionnel.

"Je n’ai pas beaucoup de souvenirs de mon grand-père, car j’étais encore très petit quand il est mort […]. Il y a à peu près 20 ans que j’ai commencé mes recherches sur l’histoire de ma famille. Dans ce contexte, mon oncle m’a informé que son père a été condamné à mort par un tribunal militaire en France et par conséquent, il ne pouvait plus entrer en France après la fin de la guerre. Via Internet, j’ai découvert que mon grand-père a été accusé de crimes de guerre en 1968 en Allemagne, mais que la procédure a été suspendue."

"Dans les années 2000, je suis tombé sur un rapport d’une commission d’historiens italo-allemande dans lequel mon grand-père est mentionné en tant que criminel de guerre ayant commis des crimes de guerre dans un village italien. En plus, j’ai trouvé dans ce rapport les premiers indices qu’il a aussi commis des crimes de guerre dans le cadre de la brigade Jesser ainsi que des crimes dans votre région. […]"

"Après toutes ces recherches, j’ai décidé de présenter mes résultats à ma famille. Les réactions ont été très variées et allaient du silence complet à la volonté de porter le regard en avant. […]"

Si mes informations sont correctes et d’après les sources que j’ai consultées, [mon grand-père] est l principal responsables des crimes dans cette région qui ont abouti en des interrogatoires atroces et finalement dans la fusillade le 14 et 15 juillet 1944, près de Bourg-lastic. Par ailleurs, mon grand-père est, selon mes informations, responsable de beaucoup d’autres crimes de guerre commis pendant la Deuxième Guerre mondiale dans cette région. Il y a des raisons de supposer qu’il a participé activement à d’autres crimes de guerre qui n’ont pas encore été découverts, ce qui est un constat très douloureux pour moi. […].

Neveu de l'un des auteurs des crimes de Bourg-Lastic en 1944, Roland Laich évoque ses fantômes familiaux

"Mes recherches des dernières années et mes découvertes atroces sur les différents crimes ainsi que les détails afférents sont très importants, notamment pour les descendants des victimes. Je peux m’imaginer la peine des descendants concernés […]"

Cérémonie de commémoration à Bourg-Lastic 

"Il est important pour moi de mentionner qu’aucun des actes commis par la Résistance française ne justifie les crimes de guerre commis ou ordonnés par mon grand-père pendant la Deuxième Guerre mondiale. Personne ne peut nous dire où nous serions aujourd’hui sans les nombreux résistants français, polonais ainsi que des autres pays occupés qui se sont opposés au régime nazi. Il est certain que dans leur dévouement et leur opposition, la guerre aurait encore duré beaucoup plus longtemps."

"Il est évident que ces hommes, femmes et même les enfants de la résistance ont incarné les valeurs comme la conscience et la morale. Ce sont eux qui, souvent en sacrifiant leur vie, ont créé la base fondamentale pour une Europe démocratique et libre."

"De nos jours où, dans de nombreux pays européens, des partis politiques de droite gagnent de plus en plus en popularité, il est important de protéger le patrimoine de la Résistance."

À Bourg-Lastic, le maire, Jean-François Bizet, est convaincu que les événements survenus sur sa commune il y a 80 ans sont encore l’origine de divisions profondes entre ses administrés. « Il y a des traumatismes qui se transmettent de génération en génération, souvent par le silence. Le 80e anniversaire est une occasion exceptionnelle : ça permet d’exprimer tout ça avec l’objectif de faire apparaître la complexité des choses. »

Jean-Baptiste Ledys